Intervention de Sébastien Nadot

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 16h00
Représentants au parlement européen élus aux élections de 2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Nadot :

L'examen de ce projet de loi sur les élus français au Parlement européen est étonnant : des éléments qui pourraient sembler n'être que techniques révèlent en fait la difficulté fondamentale de nos institutions françaises et européennes à traduire une volonté démocratique pourtant clairement exprimée.

Vous connaissez mon combat pour suspendre les ventes d'armes en direction des pays de la coalition qui font pleuvoir les bombes sur les populations civiles du Yémen, d'abord parce que ces ventes sont illégales eu égard aux traités internationaux auxquels nous sommes partie, mais aussi parce que c'est le seul moyen d'obliger tout le monde à s'asseoir vraiment à la table des négociations en vue d'un processus de paix.

Mais c'est d'autre chose que je veux parler ici. Le 17 juillet 2014, à Gaza, en Palestine, une fillette de 8 ans et deux garçons de 9 et 10 ans sont tués, et deux autres garçons de 9 et 15 ans sont estropiés à vie, à la suite d'un tir de missile. Il s'agit d'un crime de guerre, documenté depuis par un groupe d'expert des Nations unies. Au milieu de la mare de sang dans laquelle baignait encore une poupée, un photographe a identifié du matériel de guerre signé Eurofarad, une société du groupe français Exxelia Technologies.

Au total, trois potentiomètres de fabrication française, dont un encore rattaché aux ailettes du missile, ont été retrouvés sur place en ce jour sinistre.

Les parents de ces enfants arrachés à la vie sont aujourd'hui parties civiles dans un procès contre Exxelia pour complicité de crime de guerre. Ce procès vient de démarrer devant le tribunal de grande instance de Paris.

Personne ici ne souhaitera se prononcer sur une affaire judiciaire en cours, et c'est bien normal. Mes interrogations portent donc sur le contrôle de l'utilisation des fonds européens. En effet, Exxelia a bénéficié d'une subvention européenne de 298 983 euros dans le cadre d'un programme de recherche étalé entre 2014 et 2016. Exxelia a-t-elle répondu aujourd'hui à un appel d'offres pour bénéficier des nouveaux fonds européens de défense ? Ce n'est pas impossible. Est-ce acceptable ? L'acceptez-vous ? Est-ce légal ? Qui le sait ? Qui contrôle ?

En matière de subventions aux industries d'armement et de contrôle des autorisations d'exportations d'armes, plus qu'à un vide démocratique absolu, nous avons affaire à un déni démocratique. Ce déni laisse croire aux industriels de l'armement français qu'ils n'ont aucune responsabilité sociale d'entreprise et que l'autorisation d'exporter des armes délivrée par le Premier ministre les dédouane de tout. Les marchands d'armes seraient, en quelque sorte, irresponsables juridiquement dès l'obtention du précieux permis de tuer. Ni contrôle, ni sanction.

Précisons qu'Exxelia avait bien obtenu du Premier ministre les autorisations d'exportations d'armes nécessaires. Crime de guerre ou pas, cela semble suffire pour que la société Exxelia expose, décomplexée, son matériel tueur d'enfants au salon de l'armement de 2018.

Pour mémoire, le Parlement européen a voté, par 539 voix pour et 13 voix contre, une résolution appelant à suspendre les ventes d'armes à l'Arabie saoudite dans le cadre du conflit au Yémen. La France n'y a pas donné suite. À l'Assemblée nationale, j'ai demandé il y a un an la création d'une commission d'enquête sur le rôle de la France au Yémen. J'attends toujours.

Suite au recours déposé par une ONG en mai 2018 devant le tribunal administratif de Paris, la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale, Claire Landais, a affirmé, au nom du Premier ministre, que les tribunaux nationaux ne sont pas compétents pour faire respecter les positions prises dans le domaine de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne. C'est exactement la réponse inverse que j'ai reçue du Service européen pour l'action extérieure quand j'ai déposé plainte contre le Premier ministre pour violation de la position commune de l'Union européenne sur les exportations d'armes. Cela paraît compliqué, mais en fait, c'est très simple : il n'y a personne à bord pour contrôler, ni au niveau européen, ni en France, ni dans les parlements nationaux, ni au Parlement européen, ni dans la justice.

Que fait la France quand ses violations du droit international sont étalées au grand jour, comme cela fut le cas récemment après la divulgation d'une note de ses propres services de renseignement militaire ? Elle s'attaque aux journalistes d'investigation de Disclose et Radio France, qui n'ont fait que rendre public ce qu'ils avaient constaté.

Face au péril démocratique européen, plutôt que de se focaliser sur l'arbre qui cache la forêt et cette diplomatie de la connivence avec le pire, il serait temps de sonner enfin le réveil démocratique.

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