Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 21h30
Transformation de la fonction publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Je ne vois pas ce que vous voulez améliorer en aggravant encore la situation.

Vous prévoyez également de réduire le rôle des commissions administratives paritaires dans les décisions individuelles.

Laurence Vichnievsky déclarait tout à l'heure que, dans 90 % des cas – 92 % selon vous, monsieur le secrétaire d'État – , la décision ne pose pas de problème, qu'il s'agisse d'une mutation, d'un avancement ou de tout autre sujet. Mais c'est justement grâce à une vision globale de la situation que l'on peut s'attarder sur les 8 % restant, analyser chaque cas et tenter d'y répondre, par exemple en jonglant entre le départ de l'un et la mutation de l'autre. En revanche, si vous confirmez définitivement les décisions favorables à l'agent, du point de vue de l'administration du moins, quelle marge de manoeuvre vous restera-t-il pour répondre aux 8 % restant qui contesteront la décision ? Vous empêchez toute discussion globale et collective. C'est par une vision d'ensemble que l'on peut régler les cas individuels.

Que feront alors les responsables des ressources humaines ? Ils organiseront des CAP informels, tout simplement, avant de prendre leurs décisions. Ils consulteront les syndicats, sans cadre. Ils ne pourront pas gérer autrement ce type de problème. Comment pouvez-vous imaginer un seul instant que le directeur des ressources humaines prenne ces décisions, du haut de sa tour d'ivoire, en appliquant des lignes de gestion discutées collectivement pour établir un beau barème ? Vous rêvez ! Ce n'est pas ainsi que l'administration fonctionne, ni aujourd'hui ni demain. Les gens, d'une manière ou d'une autre, chercheront à contourner votre dispositif et engageront des discussions que vous avez supprimées, hélas dans le chaos le plus total – sans parler de la hausse inévitable du contentieux. S'il y a une mobilité à faire jouer en ce moment, c'est bien vers les services juridiques !

Vous avez beau, monsieur le secrétaire d'État, tenter de nous convaincre que cette réforme ne signe pas la fin du statut, vous ne leurrez personne. Votre objectif, je ne cesserai de le répéter tout au long de cette semaine, est bel et bien de marginaliser le statut de la fonction publique, que vous comptez éteindre à petit feu.

Vous n'êtes pas suffisamment ambitieux – ou honnêtes – pour faire passer tout le monde au statut contractuel. Pourtant, cette mesure radicale simplifierait grandement la vie des gestionnaires des ressources humaines. Je cherche encore, en effet, en quoi il sera plus simple pour eux de gérer, demain, des contractuels, des CDD, des CDI, des fonctionnaires titulaires, d'anciens contractuels devenus titulaires, d'anciens titulaires devenus contractuels, des grilles différentes. Je n'ose imaginer l'usine à gaz que ce sera ! Ne serait-ce qu'aujourd'hui, les contractuels sont très mal gérés au sein de la fonction publique.

Votre objectif, ne le cachons pas, est de passer d'une fonction publique de carrière à une fonction publique d'emploi. Il s'agira demain de servir un employeur, et non plus de remplir une mission de service public. Vous voulez des personnels dociles au service d'un employeur. Pourtant, la fonction publique puise sa force dans la continuité de gens loyaux qui, d'un gouvernement à l'autre, qu'il soit local ou national, servent l'intérêt général. Bien sûr, ils appliquent les décisions avec loyauté, mais ils ont surtout une fine connaissance de leur service qui sert à la prise de décision. On peut critiquer l'inertie de la haute fonction publique, décrier ces hauts fonctionnaires qui dirigeraient à la place des ministres. Pour ma part, je me refuse à jeter la pierre aux hauts fonctionnaires, car seul le manque de volonté des ministres me semble en cause.

Les prochains à être remplacés par des contractuels, du fait de ce texte qui autorise le recrutement de contractuels à des postes de permanents, normalement pourvus sur concours, seront les emplois de direction. Le Président de la République a été formel : il voulait pouvoir confirmer ou non tous les directeurs d'administration centrale, selon leur loyauté au programme de La République en marche.

C'est sûr que, a priori, il est plus simple, pour les hauts fonctionnaires qui dirigent une administration – même si je crois en leur loyauté – , d'appliquer le programme du Président et du Gouvernement s'ils l'approuvent. Finalement, le Président de la République a vu que la chose était un peu compliquée, qu'une certaine résistance lui était opposée au sein du vivier des fonctionnaires, si bien qu'il ne pouvait y trouver son compte. Et là, il s'est dit : « En fait, le mieux serait de placer les copains, ceux qui m'ont fait élire, ceux qui exercent depuis longtemps des fonctions de manager dans les grandes entreprises, ces entreprises profitables qui font réussir le pays et libèrent les énergies ! » Ceux-là, aujourd'hui, ne veulent pas travailler dans l'administration, car ils devraient le faire au tarif de l'administration et selon les règles de l'administration, le gel du point d'indice, la continuité du service public, le devoir de neutralité ou l'indépendance ! Quel embarras ! Un contractuel, c'est bien plus simple : on peut négocier sa rémunération, mettre les candidats en concurrence, confronter trois ou quatre CV avant de choisir celui qu'on avait prévu !

C'est bien tout le problème. On évoque le pantouflage, on incrimine ces hauts fonctionnaires qui passent du public au privé, retournent dans le public puis reviennent dans le privé. Mais on n'a pas l'exemple inverse, celui de gens qui, venus du privé, passent dans le public avant de retourner dans le privé ! En somme, pantoufler exige d'abord de passer un concours, de réussir l'ENA. Désormais, on pourra pratiquer le pantouflage à l'envers : c'est donnant-donnant ! De fait, ce n'était quand même pas juste, pour les copains qui n'ont pas passé le concours, de ne pas pouvoir profiter du système, de ne pouvoir en prendre les manettes au moment précis où le leader charismatique tant attendu arrive au pouvoir !

Je le dis aux directeurs d'administration centrale : le moment est venu de vous mobiliser. C'est à votre tour de passer à la casserole ! Jusqu'à présent, cela n'était réservé qu'aux catégories B et C. On externalisait les services, c'était réputé de bonne gestion, et l'on se disait : « De toute façon, là où je suis, je ne risque rien, jamais il ne m'arrivera quoi que ce soit ! » Eh non ! Preuve que, lorsque l'on ne défend pas l'idée du service public, on est le prochain à passer à la moulinette. Mesdames, messieurs les hauts fonctionnaires, il est donc temps de vous mobiliser.

En fin de compte, les différentes mesures que vous proposez ne visent, ni plus ni moins, qu'à virer des fonctionnaires : en plus de la rupture conventionnelle, dont j'ai parlé, on peut évoquer, à cet égard, cette invention qu'est le détachement d'office. Jusqu'à présent, un fonctionnaire pouvait être détaché dans le privé. C'est le cas, d'ailleurs, d'un certain nombre de collaborateurs parlementaires, qui, engagés sous contrat de droit privé, peuvent retourner ensuite dans leur administration. C'est leur choix. Mais, en l'espèce, le détachement sera d'office. « Et si ça ne vous plaît pas », dit-on à l'intéressé, « vous pouvez de toute façon mettre fin à votre détachement et revenir dans votre administration d'origine, sous réserve d'un préavis de trois mois ». Mais, si l'agent a été détaché d'office, c'est précisément que son poste n'existe plus ! Que va-t-il faire, notamment dans la fonction publique territoriale ? Revenir au centre de gestion en attendant qu'un poste lui soit proposé ? C'est ça, le « new management » public, la prise en compte des désirs de mobilité de l'agent ? Non : c'est une violence supplémentaire qui lui est faite, au seul motif qu'il faut se débarrasser de fonctionnaires.

Les fonctionnaires sous statut seront peu à peu placardisés, et les postes les plus attractifs, ouverts à la concurrence pour les contractuels. Il faudrait bien plutôt remettre le statut au coeur du système, le renforcer pour l'adapter aux besoins des usagers et usagères des services publics. Nous avons d'ailleurs déposé des amendements tendant à renforcer les droits syndicaux et sociaux, et à donner aux usagers un pouvoir de décision au sein des services publics. C'est peut-être eux qu'il faut intégrer à l'équation pour irriguer le service public, pour le rendre le plus adapté possible aux besoins des citoyennes et des citoyens, pour donner une traduction concrète au principe de mutabilité.

D'autres amendements, déposés par nos soins, visent à plafonner le recours aux contractuels et à favoriser la titularisation. Voilà une mesure de simplification de la gestion administrative : la titularisation ! On finirait par croire que c'est un gros mot. Mais je connais au moins un établissement public administratif qui doit se dire : « Mon Dieu, comment allons-nous faire avec ce texte de réforme de la fonction publique, nous qui sommes en train de conférer aux personnels ouvriers des CROUS le statut de fonctionnaire titulaire ? Mince », doit-il se dire, « on est un peu à contre-courant ! » De fait, aux termes du texte dont nous débattons, il sera possible, dans les établissements qui relèvent de la fonction publique d'État, de recruter des contractuels du haut jusqu'en bas, de la catégorie A jusqu'à la catégorie C ! Ce n'était ni le bon tempo ni le bon créneau… Ceux-là, en tout cas, on va sans doute les dégoûter d'intégrer la fonction publique en leur faisant miroiter un statut de contractuel qui offre bien plus de souplesse et une bien meilleure rémunération : voilà la réalité.

Je suis un peu plus long que prévu, et en profite, monsieur le secrétaire d'État, pour vous interroger, de façon directe, sur les mesures d'harmonisation horaire. Tout à l'heure, vous avez interpellé les membres du groupe Les Républicains, leur reprochant tantôt de défendre le service public, tantôt de prôner sa libéralisation, rappelant au passage que leur programme prévoyait la suppression de 500 000 postes, quand vous entendez vous en tenir à 120 000. À vous entendre, ils jouent donc sur les ambiguïtés et sur les contradictions.

À ce propos, j'aimerais m'adresser à l'Olivier Dussopt de 2007 à 2017. Dans la commune d'Annonay, dont il était alors maire, un agent ayant quinze ans d'ancienneté bénéficiait d'un régime horaire annuel de 1 515 heures, au lieu de 1 607. Cette mesure, favorable à l'ancienneté, devait sans doute avoir de justes motifs ; d'ailleurs, le maire d'Annonay de l'époque refusait d'appliquer la journée de solidarité, instaurée par la droite, lui reprochant d'être injuste et inadaptée. Sans doute avait-il raison ; mais que dit celui qui fut maire d'Annonay de 2007 à 2017 au secrétaire d'État aujourd'hui ? Comment se défend-il face à un secrétaire d'État qui lui explique qu'il faut repasser à 1 607 heures ? J'aimerais avoir la réponse à cette contradiction interne, ou peut-être à cette évolution du maire devenu membre du Gouvernement et passé, en quelque sorte, de la gauche à la droite.

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