Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 21h30
Transformation de la fonction publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Alors qu'il est bientôt une heure du matin, il faut vraiment être passionné pour résister, et nous sommes encore nombreux dans l'hémicycle.

Le projet de loi dont nous sommes saisis a pour objet de transformer notre fonction publique. Il appelle de nombreuses observations et critiques de notre part, concernant tant la méthode que le fond.

Deux mots me viennent à l'esprit pour caractériser la méthode retenue : elle est fondée sur la défiance et elle est déficiente dans son outillage.

Elle s'est construite, en effet, sur la défiance. D'une part, selon les organisations syndicales représentatives – qui constituent, je le rappelle, un élément de notre démocratie et qui participent à la transparence de certaines décisions – , s'il y a bien eu une cinquantaine de réunions de concertation, elles n'ont pas permis d'engager un véritable dialogue.

D'autre part, sur un certain nombre de points, le projet renvoie à des ordonnances, ce que le groupe Socialistes et apparentés regrette tant sur le fond que sur la forme.

Sur le fond, le débat public et contradictoire au sein de notre assemblée constitue un élément d'appropriation des enjeux et des dispositions, alors que le recours aux ordonnances vient contredire le principe de la discussion avec l'ensemble des agents. En l'espèce, des éléments importants feront l'objet de cette habilitation. Des sujets tels que la santé et la protection sociale, les conditions de travail et la formation sont ainsi sortis du texte. Si l'on veut changer le statut au fond, ce sont autant d'éléments essentiels de l'attractivité qui sont exclus d'une discussion collective.

Enfin et une nouvelle fois, alors même que les discours évoquent le renforcement des droits du Parlement, le projet de loi est examiné en procédure accélérée, ce que nous regrettons. Ce qui devait constituer l'exception – la suppression de la double lecture dans chaque assemblée – , devient la norme, en contradiction avec l'article 45 de la Constitution.

La méthode retenue est également déficiente dans son outillage. À bien y regarder, l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi est déficiente. Nous le savons, conformément au programme présidentiel, le Gouvernement a pour mission de réduire le nombre d'agents publics de 120 000. Le projet de loi est l'un des outils qui doit permettre d'atteindre cet objectif. Le texte repose donc sur le postulat que la fonction publique coûte cher, et qu'il convient de supprimer des emplois pérennes et de recruter des contractuels.

Aussi étonnant que cela soit, le texte ne propose aucune vision des charges en cause ni des effets attendus tant au plan qualitatif qu'au niveau budgétaire des mesures qu'il comporte. J'ai relu attentivement l'étude d'impact et je ne citerai que quelques exemples.

Concernant l'article 3, qui vise à créer une instance unique pour développer une vision intégrée des politiques de ressources humaines et des conditions de travail, la fusion conduit à la suppression de quelque 9 000 instances sous leur forme existante. L'étude indique que « l'impact de la réforme va dépendre d'un ensemble de paramètres complexes qui ne permettent pas d'inférer une évaluation ex ante précise. » Elle ajoute qu'une « évaluation fine de la réforme sera donc incontournable ».

S'agissant de l'article 4, l'étude indique que « la réforme des CAP devrait se traduire par un impact budgétaire positif pour les finances publiques, bien que difficile à mesurer ».

Pour l'article 7 relatif à l'élargissement du recours au contrat pour les emplois de direction, la seule référence citée par l'étude d'impact est le coût supplémentaire lié à l'externalisation de ces recrutements : « Pour la fonction publique territoriale, il convient de préciser que, dans les plus grandes collectivités, la pratique du recours à des prestataires extérieurs peut déjà exister pour le recrutement de fonctionnaires ou de contractuels dans les principaux emplois de direction. »

L'article 8, crée un nouveau CDD de projet dans les trois versants de la fonction publique. L'étude note : « Cette mesure se traduit par des impacts économiques, financiers et budgétaires certains, bien qu'ils soient difficilement quantifiables puisque dépendant de la manière dont les employeurs publics s'empareront de ce nouveau type de contrat. »

Et ce ne sont là que quelques exemples : l'étude d'impact en contient bien d'autres. Autrement dit, pour paraphraser la Cour des comptes à propos de l'analyse des quatre études d'impact sur les projets de loi concernant les ministères sociaux, qui a donné lieu à un référé au Premier ministre, l'étude d'impact accompagnant ce dernier projet de loi apparaît absolument « non éclairante ». L'absence de données objectivant a minima les constats, les objectifs et les effets du dispositif envisagé affaiblit à l'évidence l'objectif constitutionnel donné à l'étude d'impact, c'est-à-dire apporter une démonstration rigoureuse de la nécessité d'un nouveau texte et de la proportionnalité de la réponse juridique envisagée, afin d'assurer un bon équilibre entre les objectifs d'intérêt général qui inspirent la réforme et la prise en compte des différents intérêts particuliers en présence.

Venons-en maintenant au fond. Ce texte est un projet d'affaiblissement du service public, une loi paramétrique qui fait l'impasse sur les enjeux de la qualification, de la qualité du service et de l'engagement, et donc de la confiance de l'État en ses propres agents.

C'est une loi d'affaiblissement du service public, disais-je, parce qu'elle apparaît à bien des égards calculée à l'aune des seules économies qui en sont espérées, mais que l'on ne connaît pas encore. Valérie Rabault, Boris Vallaud, moi-même et d'autres collègues avons écrit dans une tribune : « En France, les services publics sont essentiels à notre vie collective : école, soins, justice, transports, sécurité ou encore régulation économique. Les principes qui les fondent restent modernes : égalité, continuité et adaptabilité. Cette place centrale est aujourd'hui remise en cause par le recul des services publics. Dans de nombreux territoires, ils disparaissent. Leur dématérialisation, loin de favoriser un rapprochement de ces services pour les usagers, éloigne au contraire de nombreux publics de l'accès aux droits. Le périmètre des services publics est également revu à la baisse. Dans ce contexte, les services publics ne seraient plus en mesure de répondre à leurs missions sans le professionnalisme, l'intégrité et le dévouement des femmes et des hommes qui les incarnent au quotidien. Ces femmes et ces hommes, ce sont avant tout les fonctionnaires. » Dans un rapport de France Stratégie établi en 2016, étaient critiquées les réformes dites paramétriques, celles qui sont de circonstance et entendent régler un problème, ici celui du nombre jugé trop important de fonctionnaires et de leur statut jugé trop rigide, en expliquant que l'on va régler une question bien plus large en ajoutant des dispositions complémentaires à des dispositions supplémentaires.

Toujours sur le fond, je souhaite aussi porter à votre attention la réflexion suivante : réformer la fonction publique, c'est réformer un élément déterminant de l'État, ses ressources humaines permanentes et ses compétences administratives et techniques, alors que force est de constater que le texte ne traite que de la gestion de la fonction publique, avec de nombreuses dispositions visant seulement à supprimer des emplois pérennes et à recruter des contractuels, sans apporter aucune vision – cela a été rappelé à plusieurs reprises ici même – du sens de l'engagement de l'État et de ses agents. Supposer que le modèle de la fonction publique à la française est inadapté sans se demander pourquoi nos concitoyens choisissent d'y travailler et donnent ainsi un sens à leur activité professionnelle, avec souvent des rémunérations faibles malgré un niveau de qualification élevé, ne manque pas d'interroger. Il y a une crise des services publics et ce n'est pas le nouveau management public, promu ici, qui va la régler. À l'inverse, il y a un risque réel de déstabiliser le système en ne réglant pas la question de l'attractivité pour les meilleurs, ni celle d'une carrière où le service aux autres reste un élément d'engagement ou celle de la qualité des services.

À cette absence de vision s'ajoute le problème de dispositions qui mettent à mal les valeurs et les principes du service public. Je pourrais prendre pour exemple l'article 4, qui vise à la recomposition du dialogue social. Mais, sans entrer dans les détails, puisque nous aurons l'occasion d'y revenir de manière plus approfondie, je dirai un mot de l'article 16, relatif à l'institutionnalisation de la commission de déontologie de la fonction publique auprès de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique : on ne trouve rien, dans sa version initiale, sur la limitation des allers et retours entre haute fonction publique et grandes entreprises privées, ce qui me paraît paradoxal lorsqu'on entend défendre la transparence et prévenir les conflits d'intérêts.

Une autre réforme était possible pour moderniser le statut et favoriser l'attractivité des carrières publiques. Elle passait par une révision de la forme et du déroulement des concours afin de mieux ouvrir la fonction publique sur la société d'aujourd'hui ; elle passait par le renforcement de la formation continue pour permettre aux agents de mieux s'adapter aux inévitables mutations professionnelles ; elle passait par le rapprochement de l'organisation des trois versants de la fonction publique afin d'encourager les mobilités. Rien de cela ne figure dans le texte, qui apparaît pour ce qu'il est : un texte de circonstance pour diminuer la fonction publique, c'est-à-dire le nombre d'agents publics, sans engager une large réflexion sur son adaptation aux besoins des Français, notamment de ceux qui ont le plus besoin des services publics, à savoir nos concitoyens les plus modestes.

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