Le présent projet de loi suscite de nombreuses critiques. Mes collègues Boris Vallaud et Marietta Karamanli l'ont fait valoir hier soir au nom de notre groupe politique. Réformer la fonction publique et l'adapter aux évolutions de notre société n'implique pas nécessairement de la démolir. Avant de nous engager dans un tel processus, nous devrions nous souvenir que les fonctionnaires sont d'abord des serviteurs de l'intérêt général, qui renoncent à des droits et assument des contraintes fortes pour assurer la continuité, la probité et la qualité du service public.
Être au service de l'État, des collectivités locales ou d'un service hospitalier est souvent un sacerdoce. On ne dit jamais assez que beaucoup d'agents font du bénévolat pour garantir un service public de qualité. J'en ai rencontré de très nombreux dans ce cas. Je sais par exemple que la réforme recentrée et accélérée de Parcoursup a exigé un engagement hors norme de nombreux fonctionnaires au sein de l'université. Ceux-ci n'ont pas compté leurs heures et se sont acharnés pour proposer, dans des conditions très compliquées, le dispositif le plus lisible et le plus juste.
Vous souhaitez étendre le recrutement de contractuels aux postes de la fonction publique, sans vous appuyer sur un éclairage systémique, ni réfléchir sur les missions. Nous nous y opposons, car cela reviendra, nous le savons, à placer l'agent dans la main de l'employeur, avec tout ce que cela implique de négatif pour l'usager. En outre, c'est prendre le risque de voir des personnels sans formation occuper, par exemple, des postes d'enseignant, en particulier dans nos campagnes, faute de filières construites et suffisamment rémunératrices. Enfin, nous voyons tous quel est le risque de conflit d'intérêts, voire de corruption.
Cette dernière préoccupation étant centrale à mes yeux, je consacrerai l'essentiel de mon propos aux orientations nouvelles que nous avons dégagées en matière de déontologie, à l'article 16, qui constitue une avancée.
Permettez-moi de jeter un bref regard en arrière et de formuler quatre observations.
La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires est issue de la volonté du législateur de dédier, pour la première fois, un corpus déontologique commun à l'ensemble des agents publics, fonctionnaires ou non. Elle apparaît comme un texte fondateur, comme l'analyse le professeur Olivier Dord.
Un pas vers un même corpus déontologique a été effectué par la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, et une proposition de loi organique votée par l'Assemblée nationale en 2017 a consacré de telles obligations aux membres du Conseil constitutionnel. Le Sénat n'a plus qu'à s'en saisir, mais nous attendons toujours.
Enfin, la loi de 2016 sur la transparence et la lutte contre la corruption, qui s'inscrit dans ce cheminement tracé par la loi de 2013 mettant en place la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, complète ce dispositif qui fait honneur à l'Assemblée nationale, comme l'a dit – et je l'en remercie – M. Olivier Marleix lors de l'examen du présent texte en commission des lois.
Mais, nous avons, nous aussi, connu des déceptions au constat de décrets réduisant la portée de la loi quant au rôle transparent des lobbys sur la décision publique. Un long chemin reste donc à parcourir.
Ces critiques et remarques préliminaires étant faites, je formulerai quatre observations.
Premièrement, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique est une autorité administrative indépendante majeure par son objet et particulièrement originale tant par sa composition que par la nomination à sa tête d'un magistrat de la Cour de cassation. Au-delà de la personnalité bien connue de Jean-Louis Nadal qui a défendu une vision exigeante et pragmatique dans un domaine très nouveau et explosif, le recours à un magistrat ayant exercé des responsabilités juridictionnelles au plus haut niveau a démontré toute sa pertinence, un tel choix étant au demeurant unique s'agissant des autorités administratives indépendantes.
Lors de l'examen de l'article 16, fortement amendé par beaucoup d'entre nous, il est vite apparu que le maintien de la commission de déontologie de la fonction publique au sein de la HATVP avec la création de deux collèges distincts, voire deux autorités administratives indépendantes, était pire que de ne rien faire. Vous proposiez en quelque sorte une greffe qui ne pouvait pas prendre et constituait un danger vital pour l'autorité administrative indépendante que nous défendons.
Deuxièmement, la HATVP doit devenir la tête de réseau de la déontologie de la vie publique. La réduction du périmètre des avis soumis à la commission de déontologie de la fonction publique avec le renforcement du rôle du supérieur hiérarchique et du référent déontologue au sein des administrations ayant été posée par le présent projet de loi, il importe dès lors de conforter la HATVP en tête de réseau de la déontologie.
Rappelons que cette institution, depuis sa création, a une démarche proactive. Elle a pris contact – et elle seule l'a fait – avec les référents déontologues pour apprécier le travail sur le terrain. Ceux-ci évoquent d'ailleurs avec beaucoup d'intérêt le travail d'accompagnement qu'elle a déjà mené et saluent son esprit d'initiative. Elle vient d'ailleurs de publier sur son site un guide pratique fort utile à l'attention des référents déontologues et des responsables publics. Elle est donc prête à aller plus loin.
Le réfèrent déontologue, dont le rôle va devenir central, doit disposer d'une jurisprudence cohérente issue des avis rendus par l'institution dans tous les domaines de sa compétence et dans ce champ complexe de la prévention du conflit d'intérêts. Il doit donc disposer d'une expertise déontologique lui permettant d'affirmer son rôle de conseil.
C'est aussi une des raisons – ce qui constitue ma troisième observation – pour lesquelles je partage, après réflexion, l'objectif repris ici par la rapporteure Émilie Chalas et le député Fabien Matras, de rendre publics sans anonymisation les avis rendus par la HATVP.
Nous connaissons le risque d'inconstitutionnalité au regard du principe de protection de la vie privée qui pèse sur cette mesure. Mais, d'une part, la HATVP qui a publié beaucoup d'avis, a toujours su prendre en considération cette préoccupation et, d'autre part, une telle transparence est déterminante pour enrichir la réflexion et la jurisprudence. Au demeurant, cette publication ne concerne que celles et ceux qui opte volontairement pour un changement appelant des garanties dictées par l'intérêt général.
Ces avis doivent s'inscrire dans les objectifs de la loi de 2016 pour une République numérique : ils doivent être évidemment en open data, mais pas seulement en données brutes. Il nous semble qu'un moteur de recherche doit être mis en place par la HATVP pour permettre aux référents déontologues et aux chercheurs de pousser leurs analyses et participer ainsi à l'animation et la diffusion de la culture déontologique.
Nos amendements traiteront de la composition de cette Haute Autorité confortée ainsi dans son rôle déontologique. Il nous faut veiller à la présence de personnalités qualifiées qui ne soient pas issues des grands corps et reflètent la diversité de l'action publique et les exigences de la société. Je suis particulièrement sensible à la présence d'universitaires spécialistes de ces questions, statutairement indépendants et qui ont été tenus trop longtemps à mon goût éloignés de ces lieux majeurs de décision publique. Une telle ouverture s'inscrit d'ailleurs parfaitement dans la voie ouverte dernièrement par le Président de la République.
Nous allons, je pense, trouver une solution partagée sur l'article 16. Reste son application. Nous devrons être vigilants sur les décrets comme sur les moyens donnés à la HATVP. Le passé nous appelle à cette prudence.
La construction ainsi opérée résulte d'un cheminement rigoureusement pensé depuis 2013 et 2016 pour garantir aux citoyens une forme d'exemplarité de la vie publique et des décisions publiques prises en toute transparence à l'égard des pressions exercées par les lobbys et sans conflit d'intérêts.
Ce combat est majeur pour renforcer la cohésion de notre société. Il n'est pas terminé, loin s'en faut. La prochaine étape sera de débattre prochainement, dans un autre texte, de la constitutionnalisation de la HATVP. L'Observatoire de l'éthique publique, dont nous sommes ici plusieurs, issus de différents groupes, à être membres, porte aussi cette ambition. Il s'agit de pérenniser cette institution, comme la Constitution le fait pour le Défenseur des droits, et la placer ainsi à l'abri des aléas législatifs.
Renforcer juridiquement et symboliquement la déontologie de la vie publique et la lutte contre les conflits d'intérêts et la corruption, à l'heure du numérique, de la mondialisation et des doutes que nous constatons sur la probité et l'impartialité de l'action publique, tel est aussi le sens de cette ambitieuse proposition.