Intervention de Loïc Prud'homme

Séance en hémicycle du mercredi 15 mai 2019 à 15h00
Agence nationale de la cohésion des territoires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme :

On nous demande aujourd'hui de nous prononcer sur la création d'une agence nationale de cohésion des territoires, l'ANCT – un acronyme de plus pour un objet bien mal identifié, qui ajoute une nouvelle couche, bien superficielle, au millefeuille de la politique des territoires.

Cette agence, promise en 2017 par Emmanuel Macron, aurait « vocation à travailler en lien direct avec les régions », dans « une logique de guichet unique et de simplification de projets », notamment en direction des territoires ruraux les plus en difficulté : on retrouve là tout le vocabulaire technocratique et hors-sol de la start-up nation, quand elle veut faire semblant de s'intéresser aux zones rurales et périurbaines. Alors que votre politique vise à assécher les provinces et à donner toujours moins de moyens aux élus locaux, vous usez des mots d'« aménagement », de « cohésion » et de « gouvernance » quand, dans les collectivités concernées, on ne voit que démantèlement, fermeture, fracture et abandon.

Le territoire, objet géographique non identifié, est à la mode chez les macronistes, au point donc de justifier la création de cette nouvelle agence. Or, ce projet de loi annonce un programme bien ambitieux, mais très flou, un fourre-tout de missions, mais sans aucune augmentation des moyens alloués aux collectivités locales – communes et départements.

C'est pourtant assez simple : voilà des mois que les zones les plus en difficulté s'expriment sur les ronds-points avec la mobilisation des gilets jaunes et des élus locaux. Ces gens subissent au quotidien votre logique d'aménagement : la mise en concurrence desdits territoires au profit de grandes métropoles qui sont, quant à elles parfaitement identifiées, et le démantèlement des services publics.

La circonscription dont je suis élu connaît deux cas très concrets des ravages de cette vision technocratique de l'aménagement, ou, plutôt, du déménagement, du territoire.

Ainsi, le projet Euratlantique, gigantesque programme immobilier qui investit les derniers quartiers populaires de Bordeaux pour y centraliser des sièges d'entreprises, obligeant des centaines de salariés à allonger leurs trajets quotidiens, est un véritable trou noir qui aspire les emplois et assèche tout le département dans le seul but de rivaliser avec les grandes métropoles européennes. Dans ces quartiers, les loyers augmentent, les habitants n'ont d'autre choix que de s'exiler pour vivre hors métropole, au-delà de la rocade, limite à partir de laquelle la voiture sera leur seul moyen de transport. Où est la cohésion des territoires dans ce projet ? Il s'agit plutôt de cloisons qu'on érige autour des grandes villes au profit d'une seule population : celle qui en a les moyens.

De même, le démantèlement des services publics se poursuit à vitesse grand V et les fermetures de services de proximité se multiplient – bureaux de poste, écoles, trésoreries. À deux pas de ma permanence, c'est un hôpital public de proximité, l'hôpital Robert Picqué, qui devrait fermer ses portes. Là encore, les citoyens ont du mal à voir en quoi cela profite à l'aménagement du territoire et aux habitants, et ce n'est pas la création d'une nouvelle agence qui viendra renverser cette logique mortifère.

Au-delà de la coquille vide, le projet de loi contient des points d'alerte, notamment, l'article 6 bis, qui permet à l'ANCT de créer des filiales pour faciliter l'accès des porteurs de projets aux différentes formes, publiques ou privées, d'ingénierie juridique, financière et technique. En d'autres termes : le soutien au privé. Cette vision est à rebours de celle que nous défendons au sein du groupe La France insoumise. La cohésion des territoires nécessite une planification nationale et publique, dont les pivots sont les services publics et des collectivités territoriales auxquels on donne les moyens de réaliser leurs missions.

Enfin, sujet qui nous tient particulièrement à coeur alors que nous venons d'atteindre le jour du dépassement, cette agence se veut également à la pointe de la lutte contre le changement climatique. Ce voeu pieux est en incohérence totale avec ce qui se pratique aujourd'hui dans les territoires : étalement urbain, explosion des loyers, fermeture des petites lignes de train, bétonisation des derniers espaces verts qui permettent de lutter contre les îlots de chaleur en ville et fermeture des services publics de proximité, comme je l'ai déjà rappelé. Votre politique condamne les territoires ruraux au tout-voiture et les métropoles à une gentrification qui étouffe sous le béton et les grands projets inutiles.

Notre groupe de La France insoumise défend une planification publique et écologique pour tous les territoires. Les zones rurales meurent de votre ségrégation économique et spatiale. Il est urgent de rouvrir les services publics de proximité et de réinvestir notre réseau de lignes ferroviaires au service de la transition écologique.

Quant à nos grandes villes, elles sont devenues le terrain de jeu des bétonneurs privés et des plateformes comme Airbnb, au profit des plus aisés. À Bordeaux, le phénomène a explosé, mettant tous les logements à disposition des touristes – 13 000 logements figurent sur Airbnb – , alors que les étudiants dorment dans leur voiture. Sur la métropole bordelaise, ce sont 22 000 logements qui demeurent vides.

Nous défendons, au contraire, le droit à une ville pour toutes et tous, le droit de vivre à côté de son travail, dans un logement décent au loyer raisonnable, le droit aux services publics, qui disparaissent aussi en ville, et le droit d'habiter dans des villes moins polluées.

Derrière vos éléments de langage, il y a votre idéologie et, derrière cette idéologie, la dislocation de notre République, que vous habillez du mot de « différenciation ».

Aux antipodes de cette vision d'une compétition entre les métropoles, nous plaidons pour que l'égalité, pilier de notre triptyque républicain, soit le guide des politiques publiques menées par l'État. Cette égalité, les collectivités locales, où qu'elles se situent – en milieu rural ou urbain, en montagne ou en plaine – , doivent avoir les moyens d'en faire une réalité quotidienne pour les Françaises et les Français dans l'accès aux services publics. Je pense, en premier lieu, à l'éducation et à la santé, mais également à des infrastructures de transport qui permettent la transition écologique.

Plutôt que la création d'une nouvelle agence qui n'aura pas de moyens budgétaires à la hauteur de la tâche, nous aurions préféré que la règle verte soit inscrite dans la feuille de route de tous les ministères. À cette condition, les zones rurales ou périurbaines délaissées auraient retrouvé une place centrale dans notre politique pour une reconquête économique au service des gens et de la transition écologique.

Pour toutes ces raisons – ou, plutôt, pour toutes ces lacunes – , nous nous abstiendrons de voter pour la création de cette agence nationale de dislocation de l'égalité.

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