Intervention de Pierre Morel-À-L'Huissier

Séance en hémicycle du mercredi 15 mai 2019 à 15h00
Agence nationale de la cohésion des territoires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-À-L'Huissier :

Après l'intervention de mon collègue Thierry Benoit, je souhaitais revenir sur le contexte dans lequel s'inscrit votre projet de loi, madame la ministre, et je me montrerai quelque peu caustique car je connais les obstacles qui se sont dressés devant votre action dans un pays qui, comme vous le savez, est très sclérosé.

Je me permets de rappeler qu'il y a quelque temps, j'avais pris l'initiative, avec Thierry Benoit et Philippe Vigier, de proposer la création d'une agence nationale de revitalisation rurale. Cette proposition était d'ailleurs inscrite dans plusieurs programmes de candidats aux élections présidentielles. Il s'agissait de prendre en compte les difficultés que rencontrent les territoires ruraux et de répondre au triptyque ingénierie administrative, ingénierie financière et ingénierie technique.

Les communes rurales ont longtemps été accompagnées par l'État à travers l'ATESAT, l'Assistance technique des services de l'État pour raisons de solidarité et d'aménagement du territoire mais, également, le concours des directions départementales de l'équipement et des directions départementales de l'agriculture, à un moment où la déconcentration était plus départementale que régionale.

Nous sortons d'un grand débat national où de nombreux citoyens se sont exprimés mais, également, de nombreux maires ruraux, dont j'ai fait partie pendant dix-sept ans. Ils ont tous souligné la complexité administrative et réglementaire ainsi que le fossé qui s'est peu à peu creusé entre le citoyen, les élus et l'administration. Ils ont évoqué un manque de proximité.

Vous le savez, le problème crucial est celui de la réponse de l'État en matière de proximité vis-à-vis des citoyens, des communes et des intercommunalités. Avec le Gouvernement, vous avez choisi une voie, celle de la création d'un établissement public d'État dont le champ d'intervention concerne l'ensemble des territoires. Dont acte. Nous n'avons pas le même objectif mais je ne souhaite pas à ce stade développer une position hostile à cette orientation. Vous vous situez sur un autre plan consistant, pour l'État, à s'organiser et à tendre peut-être à recréer une véritable politique nationale d'aménagement du territoire.

L'ANCT que vous appelez de vos voeux peut-elle être ce nouvel outil permettant aux territoires d'aller de l'avant ? À ce stade, il est difficile de le dire. J'ai bien noté qu'il s'agissait de réunir des agences, à savoir le CGET, – et encore, de manière partielle, car il reste un service de votre ministère – , l'EPARECA, lequel est compétent en matière de restructuration commerciale et artisanale, et l'Agence du numérique. En réalité, il s'agit d'absorber, à travers le CGET, l'EPARECA et ses quarante emplois, ainsi que l'Agence du numérique et ses trente emplois – créée en 2015 par l'actuel Président de la République.

Vous prévoyez également un conventionnement avec le CEREMA, l'ANAH, l'ANRU et l'ADEME, lesquels restent des organismes indépendants.

Absorption d'une part, conventionnement d'autre part, il n'est dès lors pas très facile d'appréhender ce que la future agence nationale de la cohésion des territoires pourra réellement faire dans les territoires, un certain nombre d'agences, je viens de le dire, restant autonomes.

J'ai bien noté également que d'autres conventionnements pourraient se faire – quand ? – , je pense notamment avec la CDC, la Caisse des dépôts et consignations, les ARS – ces " machins d'État » très compliqués, généralement critiqués dans notre pays – et, plus généralement, avec toutes les agences et administrations d'État, notamment celles qui sont régionalisées. J'ai bien noté également le travail parlementaire effectué à l'Assemblée nationale et au Sénat pour que la gouvernance intègre des élus locaux et des parlementaires.

Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une agence d'État. Quels seront ses moyens ? Nous n'avons pas de visibilité sur les financements, qui semblent être à enveloppe constante. Quelle sera son autorité sur l'organisation institutionnelle française pour faire aboutir tel ou tel projet ? À ce stade, je ne perçois pas sa capacité d'agir, notamment, sur les fonds publics comme les fonds structurels européens, qui sont gérés par les régions. Je ne perçois pas non plus sa capacité à transcender les lourdeurs et la complexité administratives. Je ne perçois pas non plus son rôle en matière de simplification des normes et sa capacité à mettre en oeuvre le futur droit à la différenciation.

Ses interlocuteurs locaux seront les préfets de département. Nous pouvons nous interroger sur une reconcentration des pouvoirs de la part de l'État. Est-ce vraiment cette orientation que vous souhaitez ?

Telles sont les questions qui se posent au parlementaire que je suis, également élu local d'un territoire rural – la Lozère – et ancien maire d'une commune de 350 habitants.

J'attends de vous, madame la ministre, vous qui connaissez bien l'ensemble des questions liées à la ruralité, une vision concrète qui permettra à l'État de revenir à une politique d'aménagement du territoire à un moment où se posent incontestablement, à la fois, le problème du millefeuille institutionnel – qui n'est pas réglé et qui empoisonne la vie publique française – et celui de la révision de la loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République, c'est-à-dire le délicat problème des compétences que le Président de la République semble vouloir rouvrir.

J'espère que l'ANCT saura trouver sa place dans ce maelström institutionnel et ne deviendra pas un « machin d'État » qui fera beaucoup d'études mais qui n'agira peut-être pas beaucoup en faveur des territoires. Peut-être aussi que le moment n'est pas le mieux choisi car il aurait été nécessaire d'attendre les réformes de l'État et la révision de la loi NOTRe. Ceci dit je ne demande qu'à être convaincu de la justesse de votre vision tant je connais la volonté qui est la vôtre et celle, je dois le dire, du préfet Morvan.

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