Intervention de Sandrine Gaudin

Réunion du mardi 26 mars 2019 à 17h30
Commission des affaires européennes

Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes :

Le Conseil européen a été principalement consacré à la Chine et au Brexit, mais s'il avait disposé de plus de temps, il se serait penché de façon plus globale sur la relation triangulaire entre la Chine, les États-Unis et l'Union européenne. Les pratiques américaines ne sont en effet pas meilleures que les chinoises.

Nous voulons que tout le monde joue avec les mêmes règles du jeu au niveau mondial, d'où l'idée du level playing field. La Chine subventionne ses entreprises et a recours à des pratiques commerciales agressives mais les États-Unis contestent l'existence même d'un système de règles pour le commerce international. Est-ce mieux ou moins bien ? Nous pourrions en débattre toute la soirée.

Nos relations avec les États-Unis sont au coeur des discussions sur le mandat que nous devons donner à la Commission pour négocier un accord commercial avec ce pays. Nous voulons que cet accord soit le plus équilibré possible, ce qui n'est pas chose facile avec un partenaire qui ne joue pas le jeu et qui menace d'imposer de nouvelles mesures tarifaires au secteur automobile européen d'ici au mois de mai. Rappelons que le président Trump a demandé un rapport sur la menace que représenterait le secteur automobile européen pour la sécurité nationale des États-Unis – un choix de titre éloquent.

En arrière-plan de ce Conseil européen, il y avait donc tout de même ce cadre mondial quelque peu désordonné.

Les Américains s'appuient sur l'extraterritorialité de leur droit mais il faut savoir que le droit européen peut aussi être extraterritorial. C'est le cas, par exemple, du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Nous ne sommes donc pas en reste. Simplement, nous n'utilisons pas le droit de façon agressive pour sanctionner des entreprises même si nous réprimons certains comportements comme l'optimisation fiscale ou la corruption.

Quand les Européens franchiront-ils le pas ? J'aimerais que ce sujet figure en haut des priorités de l'agenda de la prochaine Commission européenne et que les Vingt-Sept parviennent à un consensus sur cette question. C'est un voeu personnel qui est sans doute un voeu pieu car ce ne sera pas simple. Les différents États membres n'ont en effet pas du tout la même représentation de la capacité de l'Union européenne à se projeter dans le monde tel qu'il est aujourd'hui et de ses relations avec les grands partenaires. Pour certains d'entre eux, elle est simplement une organisation qui sert à unifier un marché intérieur, à garantir une certaine forme de stabilité économique et politique. Ils n'ont pas envie qu'elle devienne un acteur mondial car ils redoutent d'être ensuite exposés à des sanctions. Ils ont une vision presque nationale de l'Union européenne, alors que nous souhaitons que son action soit globale. C'est tout le sens de la tribune européenne du Président de la République publiée le 5 mars. Si nous voulons que l'Union européenne soit un acteur de poids face à la Chine et aux États-Unis, elle doit être plus forte et savoir se défendre. Je suis d'accord avec vous, ce serait cela le vrai test. Pour l'heure, les Européens se contentent de dresser des listes. Tant que nous n'aurons pas de consensus sur cette question, tant que la Commission européenne ne mettra pas l'accent de manière systématique sur l'application extraterritoriale du droit européen, nous ne changerons pas de dimension.

Il n'a pas été question de la pêche au Conseil européen, tout simplement parce que, outre le fait que le Conseil ne devait initialement pas du tout parler de Brexit, la discussion portait sur la demande de Mme May d'un report de date ; ce n'était donc pas une négociation sur le fond de la relation future avec le Royaume-Uni, sujet qui viendra, je l'espère, après la phase de ratification.

Il s'agit évidemment d'un sujet majeur. Comme vous le savez, soit il y a ratification de l'accord de retrait et l'accès aux eaux britanniques sera alors maintenu pour nos pêcheurs français pendant toute la période de transition, jusqu'au 31 décembre 2020, et une relation s'établira ensuite sur la base d'un accord que j'espère équilibré, soit il se produit une sortie sans accord et nos pêcheurs perdront alors du jour au lendemain l'accès aux eaux britanniques, de même que les productions pêchées par les Britanniques dans leurs eaux pourront toujours être apportées sur le territoire français, notamment à Boulogne-sur-Mer, mais avec application de droits de douane. Ce sera un monde complètement différent, très préjudiciable aux pêcheurs français, mais pas seulement à ces derniers puisque six États membres, dont la Belgique, sont concernés par le sujet.

La Commission européenne a adopté deux mesures de contingence. La première consiste à prévoir que le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) puisse apporter un soutien financier en cas d'arrêt temporaire de l'activité de pêche, pour les pêcheurs de la Manche qui ne pourraient plus sortir leurs bateaux et aller pêcher dans les eaux britanniques. La seconde, au cas où les Britanniques nous feraient une bonne manière consistant, malgré l'absence d'accord, à chercher à éviter les troubles entre pêcheurs et à calmer le jeu, à prévoir la possibilité de continuer à pêcher dans leurs eaux le temps de négocier un accord. Mais nous ne savons pas encore ce que seront l'utilité et la portée de telles mesures. Les pêcheurs français veulent continuer à pêcher. La logique sera donc, en cas de non-accord, d'aller voir les Britanniques dès le lendemain matin pour engager la négociation d'un accord incluant la pêche, avec peut-être un achat de droits de pêche dans les eaux britanniques et donc la nécessité pour l'État et l'Union européenne d'aider les pêcheurs à financer de telles licences.

Vous demandez si le cadre financier pluriannuel est toujours adapté, notamment du fait du Brexit. C'est un seul État membre qui quitte l'Union européenne ; nous restons vingt-sept et il nous faut donc bien un mécanisme de mutualisation de financements pour financer des politiques communes. J'avoue que je ne me suis pas posé la question de savoir si ce système était dépassé. La question que nous nous posons pour la négociation du prochain cadre 2021-2027, c'est plutôt celle des conséquences, pour nous, du départ des Britanniques. Avec le départ d'un contributeur net au budget, nous aurons à payer davantage. Nous nous sommes également posé la question de la durée du cadre : sept ans, n'est-ce pas trop long ? Mais nous sommes plutôt, pour l'instant, plutôt dans une approche, peut-être un peu trop conservatrice à vos yeux, qui reste celle d'un budget financé par les États membres et par quelques ressources propres pour sept ans.

Le président de la Banque centrale européenne (BCE), M. Draghi, a fait au Conseil européen, devant les chefs d'État, une présentation sur la question de la faible croissance mondiale. C'est pourquoi les conclusions du Conseil font état de cette mention de la faiblesse de la croissance et de la question, dans ce contexte, du dynamisme relatif de l'Union européenne et de la nécessité ou non d'un développement intrinsèque de l'Union, comme vous le dites. L'Union européenne est très ouverte et donc très dépendante du contexte extérieur, des prix du pétrole, du marché des changes, des chocs économiques liés au Brexit, du ralentissement ou de l'accélération de la croissance en Chine ou aux États-Unis. Mais nous ne nous posons pas la question de la façon dont vous l'avez posée. L'idée de ce paragraphe des conclusions, c'est qu'il existe énormément de zones d'ombre dans le monde, notamment la perspective d'une aggravation de l'escalade dans la guerre commerciale entre les États-Unis et l'Union européenne ou entre les États-Unis et la Chine, et que, dans ce contexte, il est essentiel que les Européens restent soudés.

L'élargissement est le sujet du mois de juin. Les Balkans, notamment les Balkans occidentaux, constituent une zone dans laquelle les Chinois ont de l'influence, ainsi que d'autres acteurs, tels que la Russie ou les États-Unis. À ce titre, il est important pour la stabilité de l'Union européenne que la zone balkanique soit stabilisée. Comme vous le savez, l'an dernier, la France s'est opposée à l'ouverture des négociations avec l'Albanie et la Macédoine, et nous avons renvoyé un nouvel examen à juin 2019. Cette année, nous allons donc devoir à nouveau nous prononcer sur ce sujet. Il ne faut pas en tout cas laisser ces pays sans perspectives, sinon ils se tourneront vers d'autres alliances et ce ne sera pas forcément à notre avantage, ni les dissuader de continuer à faire des efforts car il faut qu'ils en fassent encore. Un élargissement trop rapide conduirait à des situations telles que nous en connaissons malheureusement avec certains membres de l'Union européenne qui, une fois entrés, se sont écartés de la discipline collective, voire des standards européens les plus basiques, notamment en matière d'État de droit. Nous serons toujours un partenaire très exigeant sur les questions d'élargissement, regardant précisément si le compte y est en termes de réformes, de progrès, de perspectives de progrès supplémentaires, de monitoring et de suivi. Je ne sais pas encore quelle sera la position au mois de juin car nous n'avons pas encore reçu les rapports de la Commission européenne sur le sujet. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

S'agissant du Fonds européen de la défense, des projets ont déjà été présentés sur la base d'appels à propositions que la Commission a organisés, dont des projets français avec d'autres partenaires industriels. Il y a par exemple des projets dans le domaine des drones avec les Allemands, les Espagnols et les Italiens, des projets dans le domaine des radios logicielles avec les Espagnols, les Finlandais, les Polonais, les Italiens et les Suédois. Nous croyons beaucoup à ce fonds et à cette capacité nouvelle pour l'Union de contribuer à la prise de conscience qu'il faut une véritable coopération des industriels de la défense.

Dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, une ambition très forte est proposée par la Commission, visant à porter le fonds à plus de 10 milliards d'euros. Je ne sais pas si on parviendra à ces montants. C'est l'Agence européenne de défense (AED) qui doit aider à la définition des programmes, et tous ces projets sont en lien avec ce qu'on appelle la coopération structurée permanente (CSP). Il existe un lien entre le financement et la constitution d'une communauté de défense. Les industriels français sont ravis de ce fonds, leur réception est très bonne, ainsi que leur engagement dans le système.

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