Ils sont au nombre de 800 000. Nous trouvons que c'est une très mauvaise idée.
C'est une condition extrêmement abaissée que celle du contractuel.
Je sais qu'il arrive qu'on ne puisse faire autrement, et je n'aurai pas la folie de plaider que tout contractuel doit être titularisé. J'ai été ministre de l'enseignement professionnel : j'ai pu constater que des personnes exerçant par ailleurs un métier assuraient un enseignement dans les lycées professionnels – nous en étions d'ailleurs très heureux, car les professionnels qui proposaient leurs services ou que nous sollicitions étaient généralement les meilleurs dans leur domaine. Il n'était pas question pour eux de travailler à plein temps dans la fonction publique.
Toutefois, il s'agit là de situations exceptionnelles, qui ne concernent qu'un très petit nombre de personnes, pour lesquelles il est en effet possible de prévoir des dispositifs particuliers. Mais là, nous parlons de 800 000 personnes, qui ne sont évidemment pas toutes des professeurs enseignant une spécialité ! Et nous ne parlons pas de personnes venant faire quelques heures d'animation le mercredi dans un centre de loisirs communal, mais d'un grand nombre de salariés, dont j'ai eu à connaître. Je m'honore en effet d'avoir organisé un examen professionnel destiné à rendre titulaires de leurs postes des professeurs de l'enseignement professionnel qui, pour certains, étaient contractuels depuis dix ans et dont les établissements ne pouvaient se passer pour dispenser leur enseignement dans de bonnes conditions.
Cet examen professionnel a été mis en place afin de ne pas violer le statut de la fonction publique, et pour vérifier que les enseignants concernés rendaient effectivement les services irremplaçables que l'État attendait d'eux. C'est pourquoi l'une de nos tâches sera, le moment venu, de titulariser tous les contractuels – à l'exception de ceux qui ne le voudront pas ou qui ne seront pas titularisables.
Chaque fois que nous faisons cette proposition, je vois les yeux s'arrondir comme des soucoupes. Comment, nous dit-on, pourrait-on titulariser tout le monde ? Tel est désormais l'esprit public, à qui répugne que quelqu'un ait à vie la garantie de l'emploi. Pourtant, en tant qu'élus locaux ou administrateurs de l'État – je l'ai en effet été, comme d'autres sur les bancs de cette Assemblée – , nous connaissons le prix d'un fonctionnaire qui sait faire son travail.
À ce propos, je tiens à préciser que l'emploi à vie ne signifie pas le poste à vie. L'emploi à vie, c'est la sécurité de l'emploi ; mais si vous travaillez dans une collectivité locale, vous pourrez par exemple passer du secteur de l'administration communale des sports à celui de l'administration communale de la culture. Ces respirations qui interviennent au cours de la carrière d'un fonctionnaire font progresser son niveau de qualification, lui permettant d'être toujours plus efficace au service du bien public.
D'ailleurs, nombreux sont ceux, notamment dans la jeune génération, qui perçoivent que l'un des aspects attrayants de la fonction publique communale est de pouvoir, au cours d'une carrière, passer d'une branche à l'autre, en s'occupant de théâtre et de culture pendant trois ou quatre années, après avoir été chargé du sport pendant deux ou trois ans et avant de travailler par la suite dans d'autres domaines qui nécessitent une formation, donc l'élévation du niveau de qualification que l'on possède.
L'emploi à vie est la condition sine qua non de cette flexisécurité qui est la seule à laquelle je crois. Oui, il faut que les gens puissent changer d'activité, parce qu'ils le demandent ! Mais il faut qu'ils puissent le faire dans des conditions de sécurité et de stabilité de l'emploi.
De ces conditions d'emploi dépendent non seulement l'épanouissement personnel des fonctionnaires, mais aussi leur neutralité et leur incorruptibilité. Telle est en effet la raison pour laquelle les fonctionnaires le sont à vie, sans qu'il soit possible de les mettre à la porte. Si bien que lorsque l'organisation d'une administration, tant communale que d'État, est modifiée, l'un des premiers soins de ceux qui sont à sa tête est de décider où redéployer le personnel chargé de telle activité que l'on juge obsolète ou qui ne nécessite plus ses services.
Avec l'emploi à vie, l'État se donne ainsi à lui-même la garantie que ses agents seront neutres et incorruptibles, car ils ne seront pas soumis à la tentation de ne pas l'être. En effet, la longueur même de leur carrière et leur permanence dans les postes qu'ils occupent font qu'ils sont, en quelque sorte – je mets le mot entre guillemets – sous la « surveillance » du collectif de travail, qui connaît le contenu de la tâche qu'ils réalisent et qui est capable de dépister, des années plus tard, les cas de corruption.
La corruption est un mal endémique. Chers collègues, l'expérience qu'apporte la vie nous a appris que la corruption commence toujours avec ceux qui ne font que passer au sommet. Une fois qu'elle a été supportée au sommet, la corruption contamine, comme le ferait la lèpre ou la gale, toute l'institution, si bien que nous avons été nombreux, sur tous les bancs, à devoir faire la chasse à ce fléau dans des administrations où nous n'imaginions pas qu'il était si répandu.
Si vous supprimez l'emploi à vie, vous élargirez les failles par lesquelles la corruption s'infiltre. Disant cela, je ne pense pas seulement à la corruption de ceux que l'on stipendie dans l'espoir d'obtenir une décision ou un acte qui ne sont pas fondés en droit. Je parle de cette autre corruption consistant à effectuer, avec bonne conscience, une « mission » comme celles que vous prévoyez de mettre en place, et à tout changer en sachant que l'on est en train de tout détruire, avant d'aller travailler dans des sociétés privées qui bénéficieront des nouveaux domaines ainsi ouverts à la concurrence.