Madame la ministre, mes chers collègues, il y a presque trente-sept ans, la loi d'orientation des transports intérieurs, la LOTI, affirmait un droit au transport devant permettre de se déplacer dans des conditions raisonnables d'accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité. La LOTI a longtemps fait référence, mais les modes de vie et le contexte ont changé. Victimes de plusieurs décennies de grands projets, au détriment de l'entretien des réseaux secondaires et capillaires, les politiques publiques de transport se sont perdues en chemin. Les dernières décennies furent celles des grandes annonces et des projets non financés, des décennies de sous-investissement dans les infrastructures dédiées aux déplacements du quotidien et de politiques encourageant l'usage de la voiture. Les Français aspirent aujourd'hui à des modes de transport moins coûteux et plus sobres en temps, en énergie et en carbone. Il nous faut répondre aux urgences climatiques et de santé publique, aux enjeux géostratégiques de souveraineté énergétique et préparer l'avenir en matière de mobilité.
Dès 2017, les Assises nationales de la mobilité, puis les travaux du Conseil d'orientation des infrastructures et le rapport rendu par M. Jean-Cyril Spinetta ont permis une large concertation. Les propositions retenues dans le présent projet de loi sont également, je m'en félicite, le fruit d'échanges nourris entre la ministre chargée des transports et les exécutifs locaux. Ce projet de loi d'orientation des mobilités change radicalement de paradigme, se détachant d'une vision centrée sur les grandes infrastructures et s'attachant au quotidien et aux nouvelles mobilités, au plus près des besoins des Français et des territoires, tout en traduisant une forte exigence environnementale.
Le titre Ier A du projet de loi, à l'origine son titre IV, comportait un article unique établissant la programmation des investissements de l'État dans les transports. Un rapport annexé décline cette stratégie et définit les montants des dépenses de l'AFITF pour sa mise en oeuvre. Cet article devenu article 1er A fixe la stratégie d'investissement de l'État dans les transports pour les dix prochaines années. Il définit quatre objectifs : nous voulons réduire les inégalités territoriales en renforçant l'accessibilité des zones enclavées et des territoires mal connectés aux grandes agglomérations ; nous voulons concentrer nos efforts sur les déplacements du quotidien et améliorer la qualité des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux ; nous devons accélérer la transition énergétique en favorisant le rééquilibrage modal vers les transports les moins polluants ; nous devons aussi améliorer l'efficacité des transports de marchandises, en facilitant le report modal. Ce titre Ier A prévoit, pour y parvenir, cinq programmes d'investissement prioritaires : l'entretien et la modernisation des réseaux nationaux routiers, ferroviaires et fluviaux existants ; la désaturation des grands noeuds ferroviaires ; le désenclavement des villes moyennes et des régions rurales ; le développement de l'usage de mobilités moins polluantes et de mobilités partagées ; le soutien à une politique de transport de marchandises ambitieuse.
Le rapport annexé décline la stratégie sous trois aspects.
En premier lieu, la programmation des investissements, qui fixe les dépenses de l'AFITF, prévoit une trajectoire d'augmentation importante, à hauteur de 40 % entre les périodes 2014-2018 et 2019-2023, soit une enveloppe quinquennale de 13,4 milliards d'euros entre 2019 et 2023, qui sera portée à 14,3 milliards d'euros pour la période 2023-2027.
En deuxième lieu, le rapport annexé passe en revue les cinq programmes prioritaires pour préciser les modalités de leur mise en oeuvre et pour indiquer les masses budgétaires globales prévues pour les principales opérations.
En troisième lieu, il confirme l'objectif d'achèvement des grands itinéraires routiers, ferroviaires et fluviaux, en rappelant le choix du Gouvernement de se fonder sur le scénario 2 défini par le Conseil d'orientation des infrastructures dans son rapport du mois de janvier 2018. Ce scénario privilégie la mise en oeuvre des priorités de restauration et de modernisation du patrimoine et d'amélioration des mobilités du quotidien pendant une dizaine d'années à un niveau d'ambition élevé qui s'inscrit en rupture avec les pratiques antérieures, centrées sur les grands projets.
En ce qui concerne ce titre du projet de loi et ce rapport annexé, les modifications apportées au Sénat me semblent traduire une adhésion globale quant aux objectifs, même si la Haute assemblée a souhaité en modifier par endroits l'ordre et la formulation. Ces évolutions montrent que chacun a su s'affranchir des postures et travailler en se fondant sur des priorités communes. Des différences d'appréciation existent, évidemment, et nous y reviendrons à l'occasion de l'examen des articles, mais cette partie programmatique du projet de loi doit pouvoir faire consensus sur le fond. C'est d'ailleurs le sentiment qui ressort des nombreuses auditions que j'ai pu mener dans le cadre des travaux préparatoires avec l'ensemble des acteurs des mobilités – je rends également hommage à la concertation menée par Mme la ministre avec les exécutifs locaux, qui a permis de dégager des diagnostics et des priorités partagés.
Le Sénat a souhaité faire figurer dans le « dur » de la loi d'orientation, à l'article 1er B, les montants des dépenses de l'AFITF prévues pour la décennie à venir. Or certaines composantes des ressources de l'AFITF sont plus incertaines que d'autres ; nous l'avons vu récemment avec l'attribution du surplus de recettes engendrées par les amendes radar. Nous sommes nous aussi attachés à la pérennité des ressources de l'AFITF, et nous serons tous attentifs à la sincérité et à la transparence du financement de cette programmation. C'est pourquoi nous réfléchirons avec le Gouvernement aux moyens de consolider et d'augmenter les recettes de l'AFITF. Plusieurs amendements ont été déposés en ce sens, qui nourriront notre réflexion. Nous partageons la volonté d'aboutir à ce que des orientations claires soient définies et à ce que rendez-vous soit pris pour les lois de finances.
Le Sénat a également su contenir les velléités d'allonger la liste des projets prioritaires du COI. Les travaux du COI sont le fruit de mois, voire d'années, d'observation du réseau d'infrastructures national. Il nous appartiendra de conserver les équilibres du scénario 2 retenu comme base de cette programmation ; il doit rester notre boussole.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, par le passé, la programmation des transports s'est trop souvent traduite par des échecs et des abandons. Ce texte, par son pragmatisme et son volontarisme, est un atout majeur pour réussir une politique des mobilités plus proche du quotidien de nos concitoyens. C'est un acte politique inédit et fort que celui de soumettre pour la première fois au Parlement cette programmation des investissements. C'est donc en toute confiance et avec enthousiasme que je m'engage avec vous dans l'examen de ce projet de loi tant attendu.