C'est ça. Á l'heure actuelle, le travail avec les enfants et les familles d'accueil n'est plus fait parce qu'il y a un manque de référents. Dans certains départements, les référents ont quarante ou soixante dossiers, c'est-à-dire soixante familles à suivre ; ça n'est pas possible, ils ne peuvent pas. C'est comme une assistante familiale qui accueille cinq ou six enfants : je ne sais pas comment elle peut travailler, ça me pose toujours un problème parce que les enfants doivent être pris individuellement. Chaque enfant est différent, donc on doit prendre du temps avec chacun, même un petit peu, pour expliquer pourquoi ce qui est possible pour l'un n'est pas possible pour l'autre, pourquoi « toi, tu as le droit de faire ça, mais toi, tu n'as pas le droit de le faire ». Il faut vraiment beaucoup de communication, et quand on accueille cinq ou six enfants, ce n'est pas possible.
De la même manière, je ne sais pas comment un référent peut gérer soixante familles puisqu'il doit s'occuper de la famille, de l'enfant, de l'assistant familial… Des familles d'accueil sont en souffrance parce qu'elles appellent en urgence en raison d'un gros problème, et la solution arrive huit jours après. C'est trop tard ! Cela dit, il y a aussi des référents qui n'ont que trente dossiers et qui ne s'en sortent pas plus pour autant, parce qu'ils sont plus dans l'administration qu'autre chose.
Il y a vraiment un travail à faire sur la place de l'assistante familiale dans l'équipe, pour que sa parole soit vraiment entendue. On peut avoir des avis contradictoires sur un enfant, mais au bout d'une heure ou deux, on est obligé de trouver une solution. Il est vrai qu'on se sentira peut-être un peu lésées parce que ça ne sera pas forcément notre solution, mais au moins on aura défini quelque chose ensemble à propos de l'enfant, ce sera une décision commune. Á l'heure actuelle, au moment du renouvellement de placement, on demande à l'assistante familiale de faire un rapport. Soyons positifs : souvent, le référent reçoit l'assistante familiale qui a fait sa synthèse et lui demande si elle a bien retranscrit ce qui se passait ; mais, souvent aussi, ça n'a pas lieu. Les synthèses ne sont plus faites partout. Dans certains départements elles le sont encore, mais ailleurs, c'est en perdition. Or l'assistante familiale doit avoir des objectifs pour travailler avec l'enfant, l'enfant aussi a des objectifs, et les parents doivent également en avoir pour que l'enfant revienne chez eux.
Si rien de tout cela n'est plus fait, que se passe-t-il ? Un parent bat son enfant, l'enfant est placé, l'assistante familiale tricote comme elle peut, les travailleurs sociaux tricotent comme ils peuvent, mais il n'y a plus de concertation, ou peu, sur l'évolution de ces enfants. Nous sommes tout-à-fait conscientes que certains enfants placés pourraient retourner chez eux : si le travail avec la famille était fait, en collaboration avec la famille d'accueil et l'enfant, il pourrait retourner chez lui avec un suivi bien construit.
On sait que des enfants ne retourneront jamais dans leur famille, comme on sait que des enfants ne peuvent pas être en famille d'accueil et doivent être en foyer, et que d'autres ne peuvent pas vivre en foyer et doivent être en famille d'accueil. Mais il y a une déperdition d'assistantes familiales. Notre population est vieillissante, nous approchons toutes la retraite – j'y suis déjà – et ce métier n'attire pas la nouvelle génération. La nouvelle génération, en fin de compte, ce sont des amis à nous, parfois des membres de nos familles, et quand ils nous entendent dire combien on galère, comment on vit, comme on souffre, ils n'ont pas envie de faire ce travail. Si le travail d'équipe qu'il y a eu pendant un temps existait toujours, ce serait autre chose.
J'ai travaillé en équipe de 1986 aux années 2000. Les choses ont commencé à se dégrader vers 2005, et nous avons alerté certains départements après avoir calculé la moyenne d'âge des assistantes familiales : dans l'Aisne, en 2004-2005, la moitié d'entre nous devaient partir à la retraite – enfin, en principe. Le département a pris ça à la légère, nous a répondu que nous n'étions pas irremplaçables, et maintenant des familles accueillent six ou sept enfants parce qu'il n'y a plus de place nulle part. En faisant ça, de nombreux départements mettent les assistantes familiales en danger, mais elles n'osent pas dire « non » de peur de perdre leur travail. Certaines refusent, mais le danger est réel.
Nous nous demandons toutes comment faire pour rendre attrayant ce travail qui est un beau métier, pour susciter des candidatures. On est de plus en plus exigeants vis-à-vis des familles d'accueil, pour les normes de sécurité comme pour le reste, et pendant ce temps, cela a été dit tout à l'heure, comme nous ne savons pas tout de l'histoire des enfants accueillis, nous mettons nos familles en danger sans le savoir.
Quand j'ai commencé à exercer ma profession, ni les situations ni les enfants n'étaient ceux qu'ils sont maintenant. Les enfants sont placés de plus en plus tard, ils arrivent de plus en plus cassés et abîmés, et il faut travailler très vite, puisqu'il ne reste plus beaucoup de temps jusqu'à leur majorité, pour essayer de leur redonner confiance en l'adulte et en la société.