Intervention de Muriel Eglin

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 15h10
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Muriel Eglin, sous-directrice des missions de protection judiciaire et d'éducation à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) :

Je vous remercie, et vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser ma directrice, Madeleine Héraud-Mathieu, qui n'a pu être présente aujourd'hui.

Lors d'un bref échange avec vos services, il m'a été indiqué que vous souhaitiez essentiellement nous entendre sur le rôle de la protection judiciaire de la jeunesse en matière de protection de l'enfance ; l'articulation avec les départements ; la détection des doubles suivis et toutes les questions d'agrément des établissements et des services de protection judiciaire de la jeunesse. Ces quatre points vont structurer mon intervention.

Comme vous le rappelez très justement, la protection judiciaire de la jeunesse est une direction du ministère de la justice dont la mission se divise en trois parties : une mission normative ; une mission d'animation des politiques publiques et une mission d'exécution des décisions judiciaires, en matière civile comme en matière pénale.

L'administration centrale concentre ses interventions sur les aspects normatifs et les questions d'organisation. C'est un décret de 2008, modifié en 2017, qui fixe notre compétence. En 2008, la compétence de la PJJ portait sur la justice des mineurs. En 2017, le décret a été modifié pour mentionner spécifiquement la protection de l'enfance. Au sein du ministère de la justice, nous sommes chef de file sur la protection de l'enfance. Lorsque des textes doivent être rédigés, par exemple sur l'assistance éducative, nous intervenons systématiquement au côté des grandes directions légistiques et de la direction des affaires civiles et du sceau. Nous avons à ce titre des relations régulières avec les magistrats de la jeunesse, puisque nous animons un groupe de travail de magistrats coordinateurs des tribunaux pour enfants que nous réunissons chaque trimestre.

Notre mission a été élargie par la loi du 14 mars 2016, qui impose de faire remonter nos données d'activité éducative pénale au titre de la protection de l'enfance pour alimenter les travaux de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). J'insiste sur ce point car il démontre la volonté de considérer le travail éducatif réalisé par la protection judiciaire de la jeunesse comme une part de la politique de protection de l'enfance. J'y reviendrai à plusieurs reprises, car c'est très important. Avec le ministère des solidarités et de la santé et le groupement d'intérêt public enfance en danger, nous sommes en train d'achever la rédaction du décret mettant en oeuvre cette procédure. Nous avons connu quelques petits soucis techniques qui nous prennent du temps, mais nous allons partager nos données d'activité en matière éducative avec l'ONPE pour élaborer des observations de parcours en protection de l'enfance et mieux détecter les doubles suivis, les suivis consécutifs, et savoir qui sont les jeunes que nous suivons et comment ils ont parfois affaire à la justice pénale.

Toujours au niveau national, dans le cadre de notre mission d'animation des politiques publiques, nous sommes membre de droit du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE). Nous participons à son bureau, et nous sommes très investis dans toutes ses commissions, notamment la commission « formation ». Celle-ci est présidée par Mme Devreese, que vous avez déjà auditionnée à l'instar de Mmes Créoff et Derain de Vaucresson, vice-présidente et secrétaire générale du CNPE.

Enfin, nous jouons également un rôle pour la mission « mineurs non accompagnés ». Au sein de ma sous-direction, une mission est contactée par les magistrats du parquet lorsqu'ils sont saisis d'une demande de placement pour un mineur non accompagné. Le parquet nous saisit lorsqu'il souhaite orienter ce mineur vers un autre département, car depuis la loi du 14 mars 2016, le mode de répartition des mineurs non accompagnés entre les différents départements est prévu par la loi, en fonction d'une clé de répartition qui tient compte de données démographiques. Nous répondons donc aux sollicitations des parquets, mais nous intervenons également dans tous les travaux interministériels sur les mineurs non accompagnés, qui sont nombreux car c'est un sujet de frictions assez complexe, pour nous comme pour les départements. Nous intervenons donc souvent conjointement avec le ministère des solidarités et de la santé, le ministère de l'intérieur et les collectivités territoriales sur ces questions.

Au-delà de notre activité au niveau central, nos services déconcentrés comptent neuf directions interrégionales et cinquante-cinq directions territoriales qui regroupent un ou plusieurs départements.

À cet échelon, notre première mission consiste en l'exercice de mesures d'assistance éducative. Sur les 108 000 jeunes suivis par la PJJ en 2017, à tous titres confondus, nous avons exercé 36 000 mesures judiciaires d'investigation éducative. Il s'agit d'enquêtes sociales et de personnalités ordonnées par le juge des enfants une fois qu'il a été saisi par le procureur à la suite d'un signalement de l'aide sociale à l'enfance.

Nous avons exercé 390 actions éducatives en milieu ouvert (AEMO), ce qui est très peu car suite à la décentralisation de la protection de l'enfance il s'agit d'une compétence de principe des départements. Ce chiffre est néanmoins important symboliquement : il démontre que nous n'avons pas abandonné l'exercice des mesures d'assistance éducative. Ces mesures sont très résiduelles, et l'articulation avec les conseils départementaux est fine et doit être précise, mais cette compétence existe toujours.

Nous comptons quelques placements, de l'ordre de la dizaine, en assistance éducative dans nos établissements du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce sont essentiellement des jeunes qui ont été confiés en matière pénale et pour lesquels l'intervention en matière pénale s'est terminée car le suivi se termine quand la mesure éducative a été exécutée. Pour ne pas interrompre l'action éducative au risque de provoquer une rupture brutale, nous permettons la poursuite, dans le cadre d'une procédure éducative ouverte spécifiquement pour maintenir le jeune dans cet établissement ; il peut s'agir d'une unité d'hébergement collectif ou une famille d'accueil.

En 2017, nous avons exercé 105 mesures de protection « jeunes majeurs ». Ce sont des mesures civiles ordonnées sur des critères similaires à celles appliquées par les départements dans le cadre des contrats « jeunes majeurs ». Il s'agit là aussi d'une compétence tout à fait résiduelle, puisqu'elle a été créée en 1975 suite au passage de l'âge de la majorité de 21 à 18 ans. Le décret n'a jamais été abrogé, il est très peu utilisé, mais il a du sens car il permet d'éviter des ruptures de parcours lorsque certains jeunes atteignent 18 ans et que les mesures éducatives s'interrompent. Pour ne pas risquer une rupture brutale, source de désocialisation ou de récidive, nous permettons à nos services, à titre exceptionnel, des mesures civiles de protection « jeunes majeurs ».

À l'avenir, nous souhaiterions développer certaines structures communes en matière de protection de l'enfance. Je pense notamment à l'internat socio-éducatif médicalisé pour adolescents (ISEMA), situé à Illiers-Combray en Eure-et-Loir. Il permet de répondre aux difficultés des établissements de protection de l'enfance qui doivent prendre en charge des jeunes au carrefour de l'intervention civile, de l'intervention pénale et de l'intervention de soins. Il s'agit notamment des jeunes relevant de diagnostics de handicap ou qui requièrent des prises en charge psychiatriques ou psychologiques assez lourdes, et qui ne trouvent leur place dans aucune structure de l'APJ ou de l'aide sociale à l'enfance. Nous aimerions pouvoir développer cette structure qui répond vraiment à un besoin, en tout cas c'est une attente des juges pour enfants, qui expriment ce besoin.

Au sujet de la protection de l'enfance, il est important de rappeler que nos publics, essentiellement des adolescents, sont souvent partagés avec l'aide sociale à l'enfance, notamment pour le suivi pénal. C'est pourquoi il y a parfois des doubles prises en charge, ou des prises en charge successives. Ce n'est pas forcément redondant, parfois il s'agit de la manière la mieux adaptée pour collaborer sur des cas particulièrement lourds de prises en charge très complexes de jeunes souvent en grande difficulté, qui ont connu de nombreuses ruptures et ont besoin de prises en charge globales. Parfois, les situations sont trop complexes pour être mises en oeuvre par une seule institution et il en faut plusieurs pour partager la charge sur la durée, tout au long de la semaine. C'est le même principe qui s'applique aux jeunes en difficulté scolaire importante et dont le comportement scolaire est difficile : ils sont placés dans des classes relais à temps partiel car quand on partage la difficulté, il est moins difficile de la résoudre.

Environ 20 % des jeunes que nous prenons en charge en matière pénale ont un passé à l'aide sociale à l'enfance au titre de la protection. Nous le voyons notamment pour les jeunes détenus, dont les parcours sont parfois très heurtés, à l'image des jeunes que vous avez auditionnés.

Je tiens à insister sur le rôle de l'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse. Je sais qu'Anne Devreese l'a déjà évoquée, mais cette école fait partie intégrante de notre exercice de mission de protection de l'enfance.

Nous avons développé des outils de formation sur la protection de l'enfance, et nos formations ont été ouvertes aux partenaires de la justice des mineurs : magistrats, conseils départementaux ou secteur associatif habilité. Nous proposons des formations spécifiques à la protection de l'enfance, par exemple sur l'évaluation des mineurs non accompagnés. Cette formation a été co-construite avec l'outil de formation des départements, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Nous avons également mis en place des formations concernant les mineurs de retour de zones de conflit, notamment de la zone irako-syrienne. Elles sont non seulement dispensées sur le site central de Roubaix, mais également dans les pôles territoriaux de formation. Nous proposons toute une cartographie de ces formations, auxquelles nous invitons des magistrats, des services de l'aide sociale à l'enfance, ainsi que des familles d'accueil. En Seine-Saint-Denis, les familles qui accueillent des enfants de retour de ces zones peuvent se trouver en difficulté de par la nature des problématiques qu'ils peuvent présenter ou les traumatismes qu'ils ont subis. Un travail de formation est donc mené à leur bénéfice. L'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse est également en pointe dans la politique de diffusion d'outils et l'organisation de colloques sur la protection de l'enfance. Elle s'est notamment saisie de tout ce qui a été fait sur les besoins fondamentaux de l'enfant, grâce à Anne Devreese qui y a beaucoup travaillé.

Je souhaite développer cette question des outils communs. Si j'ai un message à faire passer lors de cette intervention, c'est qu'il est de notre responsabilité à tous – État, départements, élus, professionnels – de construire des outils de compréhension commune de ces difficultés pour que nos institutions agissent de façon cohérente autour des jeunes qui ont besoin de protection, s'agissant du repérage, de la détection, de la prévention, de l'accompagnement, afin de ne pas les laisser au bord de la route tant que le travail n'est pas terminé. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, la loi du 14 mars 2016 nous a donné des outils, et la présence de nos directions territoriales dans les observatoires départementaux de la protection de l'enfance poursuit cet objectif.

Nous sommes membres de ces observatoires depuis leur création par la loi de 2007, et la loi de 2016 a prévu spécifiquement que la protection judiciaire de la jeunesse y soit présente tout en leur attribuant une mission complémentaire de bilan des formations en matière de protection de l'enfance et des formations communes. Dans la circulaire de protection de l'enfance que nous avons transmise aux juridictions en 2017, nous avons demandé à nos directions territoriales de faire remonter auprès de l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse les besoins de formations communes émis par les observatoires départementaux de la protection de l'enfance.

La loi de 2007 prévoit ces formations communes, la loi de 2016 va un peu plus loin en prévoyant des outils pour les mettre en place. Nous essayons concrètement de mettre ces mesures en musique, avec nos directions territoriales et les pôles territoriaux de formation de l'école nationale de protection judiciaire de la jeunesse, puisque l'une des richesses de notre école est d'avoir des antennes déconcentrées dans chacune des interrégions, donc de pouvoir organiser des temps de formation regroupant diverses institutions, à proximité, pour que tout le monde n'ait pas à se déplacer à Roubaix.

Concernant la protection de l'enfance, la PJJ est chargée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice d'organiser et d'écrire un projet de réforme de l'ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs. Nous avons décidé de consulter le CNPE sur ce projet, car nous estimons que la réponse pénale à la délinquance des mineurs passe certes par la prison et la dimension rétributive de la peine, mais nous avons en premier lieu une mission de protection et d'éducation qui fait partie intégrante de la politique globale de protection de l'enfance.

L'articulation de la PJJ avec les départements est un point de difficulté, car beaucoup de frustrations sont nées ces dernières années. La PJJ a été créée par l'ordonnance de 1945, c'était à l'époque l'éducation surveillée, pour prendre en charge les mesures éducatives en matière pénale. En 1958, quand l'assistance éducative a été créée, l'éducation surveillée a commencé à intervenir également dans le domaine de la protection de l'enfance. Jusqu'aux années 2000, elle intervenait fortement pour la protection de l'enfance, et prenait régulièrement en charge, dans ses établissements et ses services, des adolescents compliqués qui étaient en difficulté dans des foyers plus tranquilles, des maisons d'enfants à caractère social ou dans des familles d'accueil au titre de la protection de l'enfance. Nous prenions en charge de nombreuses filles, ainsi que de jeunes garçons, dans les établissements du secteur public. De même, la PJJ intervenait beaucoup au titre de la protection des jeunes majeurs, puisqu'à l'époque, au moins 8 000 mesures de protection étaient prises par an à ce titre, ce qui est sans commune mesure avec les 105 mesures décidées actuellement.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a rappelé que le président du conseil départemental est le chef de file s'agissant de la protection de l'enfance, qui est une politique décentralisée. Une mission de la Cour des comptes contrôlant la mise en oeuvre de cette loi de 2007 a indiqué qu'il était important de rétablir le fonctionnement des institutions en recentrant l'action du ministère de la justice sur la prise en charge pénale, qui n'est pas du ressort des conseils départementaux, et en assurant que la compétence civile soit pleinement assurée par les conseils départementaux.

Une grande réorganisation de la protection judiciaire de la jeunesse a suivi, concomitamment à la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques. Les directions régionales ont été regroupées en interrégions et tous nos établissements et services ont été réorganisés en établissements composés de plusieurs unités, alors qu'il s'agissait auparavant de structures plus petites et plus autonomes les unes à l'égard des autres. Le nombre de mesures de protection jeunes majeurs a été réduit de manière drastique pour se conformer à cette orientation. Cette réduction a été partiellement compensée par une augmentation de l'intervention éducative en matière pénale pour les jeunes majeurs, mais dans une bien moindre mesure. Certaines mesures éducatives prévues par l'ordonnance de 1945, notamment la mise sous protection judiciaire, peuvent s'étendre au-delà de la majorité à condition que le jeune l'accepte. Un certain nombre de prises en charge pour le jeune majeur peuvent se poursuivre en matière pénale, mais encore faut-il qu'une affaire pénale soit en cours pour pouvoir le faire.

Le domaine de compétence de la PJJ et des services d'aide sociale à l'enfance en matière de protection des jeunes majeurs et de protection de l'enfance était le même, les compétences étaient concurrentes, et toutes les actions que nous avons cessé de mener ont été déversées dans l'escarcelle des conseils départementaux. Ces derniers revendiquaient cette compétence exclusive, mais ils se sont sentis un peu abandonnés par la protection judiciaire de la jeunesse qui prenait en charge des mineurs, et notamment des adolescents particulièrement difficiles pour lesquels sa compétence était reconnue. La PJJ intervenait aussi en partage de prise en charge pour des situations particulièrement complexes.

Actuellement, notre présence auprès des conseils départementaux relève plus de l'accompagnement : je citais l'exemple des observatoires départementaux de la formation, s'y ajoute l'habilitation des établissements et services. La PJJ intervient donc moins dans la prise en charge et plus dans l'accompagnement, ce qui a pu conduire des conseils départementaux à contester sa légitimité pour fixer des cadres normatifs ou des exigences en matière de protection de l'enfance.

Nous avons cherché à reconstruire des articulations pertinentes autour des situations les plus complexes, c'est l'un des objectifs de la loi du 14 mars 2016 qui prévoit par exemple le protocole d'accès à l'autonomie des jeunes sortants des dispositifs d'aide sociale à l'enfance et de protection judiciaire de la jeunesse. L'objectif est de réunir les services d'aide sociale à l'enfance, la PJJ ainsi que les services en charge du logement, des soins ou les services sociaux, afin que les jeunes qui sortent des dispositifs aient accès aux outils exorbitants du droit commun afin qu'ils ne se retrouvent pas sans rien lorsque les mesures de protection prennent fin. Il en va de même pour notre place dans les observatoires départementaux de la protection de l'enfance, je n'y reviens pas.

Je souhaite mentionner spécialement la circulaire du 19 avril 2017 sur la protection de l'enfance, c'est la circulaire d'application de la loi du 14 mars 2016, sortie un an après la loi car nous avons attendu la publication des décrets. Nous en avons fait un outil très technique et pratique pour les juridictions, mais nous leur avons aussi demandé d'en faire un outil de travail avec les conseils départementaux. Le ministère de la justice n'est pas habilité à donner quelque instruction que ce soit aux conseils départementaux, mais nous avons voulu produire, avec les quatorze annexes de notre circulaire, des outils informatifs sur l'état du droit regardant la protection de l'enfance et fournir des explications assez approfondies sur l'articulation des procédures entre l'assistance éducative et les déclarations judiciaires de délaissement parental, le retrait et les délégations de l'autorité parentale. L'un des objectifs de la loi du 14 mars 2016 est d'adapter le statut des enfants placés à leurs besoins fondamentaux. Lorsque leurs besoins fondamentaux sont la stabilité et la permanence de la personne qui va prendre des décisions à leur égard, il faut pouvoir passer à un autre statut. Nous expliquons donc les modalités concrètes de saisine du tribunal civil, du juge aux affaires familiales, et l'articulation entre ces différentes procédures. Une annexe est consacrée aux mineurs non accompagnés, une autre à l'articulation entre la PJJ et l'aide sociale à l'enfance.

Ce sont autant d'outils qui peuvent servir de base pour des protocoles, et nous avons demandé à nos directions territoriales de faire de cette circulaire un objet de travail dans leurs relations avec les conseils départementaux. Nous rencontrons chaque année les directions interrégionales à l'occasion de dialogues stratégiques qui sont le pendant des dialogues de gestion, et nous avons fait des relations avec les juridictions et les services de protection de l'enfance une question particulière pour nous assurer que nous jouons notre rôle de soutien auprès des conseils départementaux. Même si notre surface financière rapportée à celle des cent départements est trop petite pour que nous puissions vraiment être perçus comme soutenants, nous souhaitons être présents pour l'élaboration de la prise en charge et la construction de parcours autour des mineurs les plus complexes. Nous n'y arrivons pas toujours, mais c'est notre ambition.

Les doubles suivis peuvent être des redondances auxquelles il faut faire la chasse pour réaliser des économies, mais ce n'est pas toujours le cas. Je prends souvent l'exemple d'un enfant placé en famille d'accueil au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) depuis quatre, cinq ou six ans et qui commet un acte de délinquance, même grave. Si ce n'est pas un acte de délinquance dans la famille d'accueil qui compromet sa relation avec cette dernière, les juges des enfants tiendront à la continuité du parcours et de la prise en charge des jeunes au titre de l'accueil et de la vie quotidienne en maintenant le placement au titre de l'aide sociale à l'enfance, et demanderont à la PJJ d'assurer un suivi pénal avec des mesures de sûreté, et même un temps d'incarcération s'il s'agit d'affaires graves. Nous ne voulons pas que l'intervention pénale casse quelque chose qui a pu fonctionner en matière de protection de l'enfance. Il est vraiment important que certains doubles suivis continuent d'exister.

Le double suivi fait aussi l'objet d'une expérimentation législative dont vous avez pu entendre parler : la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a prévu que, pour une durée de trois ans, les juges des enfants pourraient doubler un placement auprès de l'ASE d'une mesure d'AEMO confiée à la PJJ dans certaines situations particulièrement complexes. Jusqu'à présent, les textes ne le permettaient pas, il ne pouvait y avoir de milieu ouvert que si le jeune n'était pas confié à l'ASE, c'était possible s'il était confié à un particulier ou à un établissement. Nous avons permis ce double suivi dans le cadre d'une politique de prise en charge des enfants de retour de zone irako-syrienne, car nous ne savions pas dans quel état ces enfants allaient rentrer, nous savions qu'ils avaient des problèmes de santé, des traumatismes. Une action interministérielle de préparation au retour a été décidée, avec l'instauration d'un bilan de santé, la mise en place systématique par la PJJ de mesures d'investigation éducative, le soutien de toutes les formations que l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse a organisée autour de la prise en charge des personnes radicalisées et des enfants de parents radicalisés.

Ce travail de doubles mesures s'est accompagné de la mise en place d'un comité de suivi qui est actuellement copiloté par le ministère de la justice – la PJJ en l'espèce – et le secrétariat général des ministères des affaires sociales ainsi que le ministère de l'intérieur. Il se réunit tous les deux ou trois mois, avec des juridictions et des représentants des associations et des conseils départementaux, pour identifier les difficultés spécifiques soulevées par ces jeunes. Nous devons rendre un rapport à votre assemblée avant la fin de l'année, nous sommes en train de le finaliser. Cela ne concerne pas un nombre important de jeunes : 91 mineurs sont revenus de zone irako-syrienne en France au cours des dernières années, 68 sont actuellement suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, 88 ont bénéficié d'une mesure de protection ou d'assistance éducative. D'autres ont fait l'objet de mesures d'évaluation administrative ou de signalements qui n'ont pas encore été traités. Il s'agit d'un petit nombre de situations, mais elles permettent de bien identifier les points d'articulation complexes entre nos différentes institutions, et comment nous pouvons être institution soutenante.

Prenons l'exemple de l'accompagnement en détention des enfants qui vont voir leurs parents détenus. Pour la plupart, ces enfants sont revenus avec un ou deux de leurs parents, qui ont été placés en détention, et des droits de visite sont accordés par les juges des enfants. Ces droits de visite fournissent l'occasion de réaliser un travail d'accompagnement, de médiation et de repérage de la qualité de la relation entre les parents et les enfants. Ce sont les services de la protection judiciaire de la jeunesse qui accompagnent cette démarche, d'abord au titre d'une mesure judiciaire d'investigation éducative, et ensuite au titre de mesures d'AEMO. Cela fonctionne plutôt bien.

Actuellement, nous ne sommes pas très performants pour repérer et dénombrer les doubles suivis, mais lorsque l'organisation du recensement des prises en charge de la protection judiciaire de la jeunesse aura été validée par décret auprès de l'ONPE, nous connaîtrons mieux la proportion de doubles suivis. Surtout, nous sommes en train de modifier notre outil numérique en passant d'un instrument qui fonctionne sur une logique de dossier vers un instrument qui fonctionne sur une logique de mineur, pour permettre la construction de parcours de prise en charge et ainsi repérer les jeunes pris en charge en matière pénale et en matière d'assistance éducative par les conseils départementaux et la PJJ.

Enfin, s'agissant des agréments, tous nos établissements et services publics de la protection judiciaire de la jeunesse sont des établissements médico-sociaux qui doivent respecter les règles du code de l'action sociale et des familles, ce qui répond à une partie des questions que vous devez vous poser sur les agréments.

Il existe 216 établissements et services du secteur public. Nous travaillons également avec des établissements et services du secteur associatif habilité, notamment pour l'exercice des mesures judiciaires d'investigation éducative en matière civile, et en matière pénale, pour des prises en charge au titre de placements. Certains lieux de placement du secteur associatif sont conjoints : ils prennent en charge des jeunes au titre de l'enfance délinquante et au titre de l'enfance en danger. Ils reçoivent des habilitations et des autorisations conjointes, puisque les établissements et services qui prennent en charge des jeunes confiés par décision judiciaire ont un régime un peu particulier d'autorisation. Les établissements sociaux et médico-sociaux sont normalement autorisés pour une durée de quinze ans, tandis que ceux qui prennent en charge en matière judiciaire peuvent être autorisés pour une durée indéterminée mais doivent faire l'objet d'une habilitation, qui est une procédure particulière distincte, ce qui permet d'aller voir le projet de service et de contrôler plus régulièrement, tous les cinq ans, la probité du personnel présent au sein de ces établissements. Nous articulons ces deux procédures, et nous avons aussi des accords et des pratiques conjointes avec les conseils départementaux au titre des contrôles de fonctionnement et de la tarification. Cela se fait très bien dans certains départements, moins bien dans d'autres, mais c'est une pratique que nous souhaitons développer.

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