Ce projet de loi vise à nous faire valider un accord conclu avec la Belgique : notre voisin s'engage à acheter à des entreprises françaises pour environ 1,5 milliard d'euros de véhicules blindés.
Je vois bien ce que l'on pense obtenir de nous en nous soumettant ce texte : un grand moment d'union, le couplet d'éloge sur l'excellence de l'industrie française de défense et la célébration des liens d'amitié si profonds qui existent entre la France et la Belgique, liens, il est vrai, historiques.
À quelques jours des élections européennes, la majorité, qui fixe l'ordre du jour de notre assemblée, s'est imaginé disposer d'un beau symbole pour parler d'une Europe qui n'existe pas mais dont elle parle pourtant sans cesse : j'ai nommé l'Europe qui protège et crée des emplois.
Je crois pourtant que ce texte ne mérite pas qu'on verse dans l'autosatisfaction. Il appelle au contraire plusieurs réflexions. Il faut tout d'abord être bien conscient du fait suivant : si le Parlement examine un contrat d'armement, c'est que le texte ne contient en réalité aucune information substantielle, aucune aspérité, rien qui en fait nourrisse un débat démocratique.
Depuis deux ans, nous avons constaté, comme toutes celles et tous ceux qui suivent avec un peu de scrupule les questions de défense, que tout ce qui avait trait aux ventes d'armes était traité par le Gouvernement dans une opacité totale. Je n'ai pas la naïveté de croire que sa manière ait changé pour évoquer la Belgique.
Le rapport qui fait le bilan des transferts d'armement remis chaque année au Parlement est exemplaire de cette volonté de dissimulation. Cette espèce de brochure publicitaire faite pour vanter l'industrie de défense n'a pas grand-chose à voir avec un instrument du contrôle démocratique de l'exécutif par la représentation nationale.
Personne ici n'ignore avec quelle obstination le Gouvernement cultive le secret sur ce sujet. S'il parle, c'est qu'il n'y a rien à apprendre, ou presque. Pour ma part, puisque nous parlons de vendre des équipements produits par Nexter, je souhaiterais plutôt évoquer les transferts d'armement à l'Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis. Mais, bien sûr, le Gouvernement n'en parlera pas vraiment, bien qu'il ait été trop souvent interpellé sur le sujet ; sa réponse sera celle d'un automate : La France ne vend pas des armes comme des baguettes de pain... bla-bla-bla... autorisation par procédure robuste… bla-bla-bla... partageons votre souci de la transparence… bla-bla-bla...
Pourtant, voilà des mois que le Gouvernement nous fait violer le traité sur le commerce des armes que la France a signé. Les articles 6 et 7 du traité sont très clairs : un État autorisant des transferts d'armement doit s'assurer que ces armes ne serviront pas à commettre des crimes. Si un doute existe à ce sujet, cet État doit absolument arrêter ces livraisons d'armes.
Dans le cas de l'Arabie Saoudite et des Émirats, le doute n'est pas permis : puisque l'ONU affirme que ces deux États ont déjà commis des crimes de guerre au Yémen, comment douter qu'ils soient capables d'en commettre encore ? Là-bas, des milliers de gens meurent littéralement de faim du fait d'un blocus inique, des bombes tombent sur des civils, mais ici le Gouvernement ne pense qu'à une chose : ne pas laisser la place à d'autres sur ce marché si lucratif.
Heureusement, désormais, c'est l'opinion elle-même qui se soulève. Elle obtient même des succès qui sauvent l'honneur de notre pays. Je veux remercier toutes celles et tous ceux qui ont fait échouer le chargement d'armes prévu il y a une dizaine de jours au Havre. Ils font la fierté de notre patrie républicaine, soucieuse du droit international et du bien des peuples du monde. Honte au contraire à ceux qui laissent faire ou se frottent les mains.
À ce propos, qu'on me permette une parenthèse. J'observe que, pour faire son chargement, le cargo saoudien a choisi l'Italie de Matteo Salvini, et que le grand ami de Mme Le Pen ne trouve rien à redire au fait d'armer la monarchie wahhabite. L'extrême-droite en France et en Europe a effectivement ce genre de contradiction.
En cela aussi, elle ressemble beaucoup au « système », et à notre gouvernement qui, au nom d'un prétendu réalisme politique, détourne le regard et attend que ça passe. Il espère amuser la galerie en parlant de ce qu'il croit être une grande réussite : la vente de blindés à la Belgique pour 1,5 milliards d'euros.
Mais même cela n'a pas grand-chose d'enthousiasmant. Cette vente est un lot de consolation. Emmanuel Macron et les siens s'exaltent sans cesse en parlant de l'Europe de la Défense, d'une fumeuse souveraineté européenne et de la solidarité entre les États du continent : vous croyez en tenir ici un bel exemple, mais cela reste à prouver.
Celles et ceux qui s'imaginent que l'Europe, et singulièrement l'Europe de la défense, est la voie royale pour s'émanciper de la tutelle des États-Unis en seront pour leur frais. Quant au Gouvernement, il n'y croit peut-être même pas, mais il continuera à faire semblant. C'est pour lui un article de foi, auquel il s'interdira de déroger.
Pour le reste, n'imaginez pas que c'est la défense qui « relancera » l'Europe. Seules la justice sociale, la justice fiscale et l'écologie populaire sont susceptibles de rendre un peu d'attrait au projet européen.
L'Allemagne, notre voisine, ne recherche nullement la construction d'une Europe fondée sur la stricte égalité entre la France et elle. On l'a vue, ces dernières années, asseoir son hégémonie économique, grâce notamment aux institutions de l'Union européenne, l'euro et le marché unique où règne la concurrence libre et non faussée.
Cette hégémonie, la droite allemande est désormais disposée à l'obtenir dans le domaine politique. Cessons donc de jouer avec le feu. Le successeur de Mme Merkel à la tête de la CDU vous l'a dit : la France doit céder à l'Europe son siège au Conseil de sécurité, et dans les cénacles de la droite allemande, on en est à réfléchir au cofinancement de la bombe atomique française. Réveillez-vous !
Pendant ce temps, Emmanuel Macron et ses ministres veulent « une véritable armée européenne ». C'est absurde et dangereux ! L'armée n'existe qu'au service d'un peuple souverain. Or il n'y a pas un mais des peuples européens. Et cette armée que vous appelez de vos voeux, qui donc la commanderait ? où donc serait son état-major ? à Bruxelles, à Berlin, à Washington ?
Il est temps de changer de grille de lecture. Quand on parle de défense, on ne parle pas de conquérir des parts de marché, mais de préserver l'intégrité du territoire de la République, la sécurité du peuple français et sa souveraineté.
Pour cela, il faut faire le choix d'un nouvel indépendantisme : refuser de s'aligner sur les positions d'une grande puissance ; ne pas diluer notre souveraineté dans une Europe de la défense informe ; ne pas abandonner notre destin aux intérêts financiers ; défendre un monde ordonné, où le droit international et l'ONU sont respectés ; s'abstenir de participer au réarmement global et enfin lutter contre le dérèglement climatique qui est déjà un immense facteur de guerre.
C'est en raison de ce contexte global et de cette vision de la défense portée par le Gouvernement que nous nous abstiendrons de voter pour ce partenariat.