Cher Président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission.
C'est toujours un plaisir d'échanger avec vous sur les sujets d'actualité de notre défense et de notre armée de l'air. Je commence à avoir une idée précise de ses capacités, et des orientations à prendre pour être - demain comme aujourd'hui - au rendez-vous des opérations.
Je souhaitais aussi vous dire que je suis fier des aviateurs. Leur engagement fait honneur à notre pays. J'ai une pensée bien évidemment pour nos équipages de Nancy, les commandant Baptiste Chirié et capitaine Audrey Michelon, tombés en service aérien commandé en ce début d'année, ainsi que pour les premiers maîtres de Pierrepont et Bertoncello, et le médecin Laycuras.
Les aviateurs ont de l'audace. Ils sont précis. Ils sont agiles et passionnés. Ils forment ensemble une armée de l'air de premier rang, qui nous protège et qui gagne en opération. Hier encore, mon homologue Irakien me témoignait son estime et ses remerciements pour le rôle qu'a tenu la France, au sein de la coalition anti-État islamique grâce à notre action décisive par les airs à leurs côtés. Nous avons collectivement réussi à réduire le califat et à rétablir la souveraineté irakienne. Mais ce n'est pas terminé. Il y aura encore un rôle à jouer dans la région. J'aurais peut-être l'occasion d'y revenir.
Je suis très heureux de venir à votre rencontre aujourd'hui. Je vous propose un tour de piste – quoi de plus normal pour un aviateur ! – qui nous conduira à aborder l'un après l'autre tout d'abord l'actualité des opérations aériennes et des coopérations internationales air, ensuite la modernisation et la préparation de l'avenir de l'armée de l'air, et enfin l'expertise des aviateurs, et le besoin de fidélisation de cette ressource rare sans laquelle aucun de nos succès ne serait possible.
Commençons par les opérations.Vous le savez, l'armée de l'air est présente sur l'ensemble du spectre des missions des armées : protection, dissuasion, intervention. Auxquelles s'ajoutent les deux grandes fonctions stratégiques que sont la prévention et la connaissance - anticipation. J'ai choisi plusieurs anecdotes pour illustrer l'engagement des aviateurs, dès le temps de paix, sur et à partir du territoire national, jusqu'en opération.
Je commencerai par la protection des Français, avec la posture permanente de sûreté aérienne (PPS). Le 3 avril, un dispositif aérien de plusieurs aéronefs en rapprochement rapide de nos frontières a été détecté par nos alliés au nord-est de l'Europe. Leur alerte de défense aérienne a décollé pour les intercepter. Deux bombardiers stratégiques de type TU 160 ont été identifiés, alors que le reste du dispositif faisait demi-tour vers l'est. Ces bombardiers stratégiques à long rayon d'action sont des menaces potentielles à prendre très au sérieux : ils sont capables d'atteindre les capitales européennes avec des missiles de croisière. Alors qu'ils faisaient cap via le Danemark vers l'Angleterre puis la France, des avions de chasse alliés les ont escortés. L'objectif est alors de surveiller leur comportement, les maintenir à distance des côtes européennes, et être en mesure d'intervenir immédiatement en cas de commission d'un acte hostile. Notre centre national des opérations aériennes de Lyon-Mont Verdun, ainsi que nos centres de détection et de contrôle ont suivi la situation très en amont. Notamment grâce au partage d'information de défense aérienne que nous avons mis en place avec nos alliés et partenaires européens et de l'OTAN. Notre avion de détection et de surveillance aéroporté (AWACS) a décollé, pour renforcer notre détection et la coordination avec les pays frontaliers. Des Rafale et Mirage 2000 de la posture permanente de sûreté aérienne étaient alors, comme chaque jour, en alerte. Cette fois-ci, ils n'ont pas eu à décoller, les TU160 ayant fait demi-tour en mer du Nord, peu avant d'atteindre les côtes anglaises.
Des épisodes comme celui-ci, il y en a chaque mois, plusieurs. Et il arrive que cela se termine par une interception de chasseurs Rafale ou Mirage 2000 au large des côtes françaises. Cette mission de défense aérienne, qui inclut la protection des sites sensibles et des grands évènements comme le 14 juillet ou le G7, assure également l'assistance aux aéronefs civils et commerciaux. Elle mobilise sept jours sur sept, 24 heures sur 24 :
– les trois centres de détection et de contrôle de Lyon, Tours et Mont-de-Marsan, lesquels s'appuient sur un maillage national de sites radio sol-air et de sites radars de détection à basse, moyenne et haute altitude ;
– ainsi qu'une vingtaine d'avions et d'hélicoptères en alerte permanente et capables d'une très forte réactivité, c'est-à-dire en mesure d'intercepter une menace aérienne n'importe où en France en moins de 15 minutes – à supposer d'être détectée.
Dans le cadre de Sentinelle, un trinôme d'aviatrice et d'aviateurs mécaniciens des bases aériennes de Nancy et de Luxeuil a intercepté pendant les fêtes de fin d'année un individu armé et dangereux dans l'aéroport d'Orly, avant de le remettre aux forces de l'ordre.
Ce ne sont pas les seules missions que conduit l'armée de l'air sur le territoire national. Nous avons aussi, la recherche et le sauvetage des aéronefs, la coordination et la conduite des secours, le concours aux services de l'État lors de catastrophes naturelles, l'ouverture des bases aériennes à la biomédecine, la lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane, le concours à la police des pêches et la surveillance des narcotrafics, la veille spatiale des satellites, et les diffusions de l'alerte en cas de danger de collision et de retombées atmosphériques à risque pour la population.
Comme vous pouvez le constater, l'armée de l'air veille et agit à la protection des Français… « sans média ni projecteur ».
En moyenne chaque année, ce sont plus de 1 000 décollages sur alerte, chasse ou hélicoptère, dans le cadre de la PPS, quatre assistances en vol, 30 vies sauvées ou personnes secourues lors d'opérations de recherche et sauvetage, une centaine d'ouvertures de terrains permettant des transferts d'organe, le suivi d'une centaine de retombées atmosphériques à risque, plus de 4000 aviateurs en posture opérationnelle chaque jour, rien que sur le territoire national.
Notre seconde mission permanente est la mission de dissuasion. La composante aéroportée est structurante pour l'armée de l'air. Elle doit être crédible et robuste, parce qu'elle garantit, en toute occasion, la survie de la Nation, notre autonomie de décision et notre liberté d'action. Elle fait aussi l'objet d'un dispositif d'alerte permanent, et est complémentaire de la composante océanique maritime. Dernièrement, les forces aériennes stratégiques ont conduit une mission de 11 heures avec deux Rafale et un A330 Phénix en vol direct retour depuis l'île de la Réunion. Onze heures de vol depuis le beau milieu de l'océan Indien ! Et le Phénix a été au rendez-vous des capacités opérationnelles, ce qui a été noté par nos alliés américains… Cela vous donne une idée des capacités de la composante aéroportée, qui permet cette démonstrativité, plutôt importante dans le dialogue stratégique. Pour compléter le tableau, nous avons procédé en début d'année à un tir d'évaluation du missile ASMPA depuis un Rafale. Le tir a été une pleine réussite, après un vol d'une durée équivalente, en France, au travers d'un dispositif de déni d'accès spécialement mis en place, avec une opposition composée d'avions de combat, de systèmes sol-air et de brouillage, de façon à répliquer le type de dispositif de déni d'accès rencontré sur les théâtres d'opération, en Syrie par exemple.
La mission Hamilton de frappe aérienne à longue distance d'avril 2018 illustre bien cette capacité à conduire un raid, qu'il soit conventionnel ou nucléaire, depuis la métropole dans un dispositif fortement défendu.
D'ici 2023, l'armée de l'air aura la capacité de projeter 20 Rafale en moins de 48 heures en Polynésie ou en Nouvelle-Calédonie, grâce au couple Rafale-Phénix, pour intervenir dans une crise régionale et protéger nos Ultra-marins.
Concernant les opérations extérieures, l'armée de l'air est engagée sur trois théâtres principaux, en Europe, en Afrique et au Levant. En Europe, nous conduisons dans le cadre de l'Alliance atlantique des missions de réassurance et de police du ciel au profit des pays baltes et des pays de l'Est européen. Je suis frappé par le dispositif de déni d'accès mis en place dans l'emprise de Kaliningrad, qui est de nature à fragiliser la souveraineté des espaces aériens et maritimes des pays européens limitrophes autour de la mer Baltique.
En Afrique, notre aviation couvre des espaces grands comme l'Europe, apportant renseignement, mobilité, frappe et protection au profit de la force Barkhane depuis plus de six ans. Le bilan 2018 est éloquent, avec près de 200 djihadistes mis hors de combat. Inutile de vous dire que l'aviation y prend toute sa part, aux côtés des forces terrestres. Début février, nos Mirage 2000 sont intervenus à trois reprises à la demande des autorités Tchadiennes. Ils ont stoppé la progression d'une colonne de rebelles d'une cinquantaine de véhicules armés, qui avait fait incursion au Tchad depuis la Libye dans le nord-est du pays. Grâce à la permanence des drones Reaper, à leur capacité à commander une mission aérienne complexe, élément nouveau par rapport à l'année dernière, et à la vitesse d'intervention et la puissance de feu des chasseurs, la colonne a été neutralisée, mettant fin à la tentative de déstabilisation du régime.
Au Levant, après bientôt cinq années d'engagement ininterrompu de nos bases aériennes projetées qui, au passage, forment un outil de combat au couple remarquable entre l'efficacité dans la durée et le coût de fonctionnement, la fin du Califat a été proclamée le 23 mars.
Comme l'a rappelé la ministre, cela ne signifie pas que les combats contre Daesh soient terminés. Mais nous pouvons déjà être collectivement fiers de ce résultat. Daesh occupait en 2014 deux tiers de l'Irak, et était aux portes de Bagdad. Grâce à l'action combinée des forces partenaires – au sol, et de l'aviation de la coalition, nous avons progressivement repris la totalité des territoires occupés, et mis hors de combat un nombre très significatif de terroristes, dont certains étaient à l'origine des attentats sur notre sol, à Paris. Ces excellents résultats opérationnels ne doivent pas nous faire oublier que la menace est toujours présente.
D'un côté du spectre, il y a la menace terroriste. La France a encore une fois été durement touchée, à Strasbourg, lors du marché de Noël. De nouvelles menaces émergent, auxquelles je prête une attention toute particulière, comme celles constituées par les drones et les mini-drones.
De l'autre côté du spectre, certains États développent des stratégies hybrides, des modes d'action cyber et l'espionnage pour affaiblir et déstabiliser des pays européens. Des armes nouvelles sont conçues et développées. J'avais déjà évoqué les avions de chasse de cinquième et sixième génération, les bombardiers furtifs et les drones de tous types. Je pourrais compléter le descriptif avec les missiles balistiques intercontinentaux, les missiles – aéroportés ou tirés depuis la surface – et les planeurs hypersoniques ou les lasers anti-aériens. Des dispositifs de déni d'accès prolifèrent un peu partout aux frontières de l'Europe et de la Méditerranée. En Asie-Pacifique également. L'espace devient un champ de conflictualité, comme en témoigne le récent tir de destruction d'un satellite par l'Inde.
Par ailleurs, de nouveaux enjeux s'ouvrent à nous, comme le développement quasi exponentiel de l'aviation commerciale – qui va doubler d'ici 15 ans pour atteindre huit milliards de passagers, soit l'équivalent de la population mondiale transportée chaque année par air ! Il y a aussi l'ouverture au Ciel unique européen, la révolution des lanceurs spatiaux réutilisables et la généralisation de l'emploi des drones. Après Gatwick l'hiver dernier, c'est au tour de l'aéroport de Francfort d'être immobilisé jeudi dernier par un drone. 150 atterrissages et décollages annulés, une cinquantaine d'avions déroutés et 15 000 passagers impactés en seulement trois quarts d'heure ! Il y a des choses à faire pour prendre en compte cette nouvelle donne. L'objectif est selon moi de fédérer les acteurs des milieux aérien et spatial au service d'une action de l'État encore plus réactive et efficace, notamment en cas de crise sur le territoire national. Je salue à ce sujet l'initiative de votre commission avec la mission d'information sur l'action aérospatiale de l'État.
L'armée de l'air y travaille également, avec les autres acteurs du domaine, notamment dans la perspective des Jeux olympiques de 2024 et de la Coupe du monde de rugby 2023.
Si la menace terroriste persiste – et elle est prise en compte - je considère que ce qui doit en premier lieu structurer notre préparation opérationnelle et notre préparation de l'avenir, c'est le retour des États-puissance. C'est vis-à-vis d'eux qu'il faut veiller à conserver une supériorité opérationnelle. Et cela nécessite le moment venu d'être prêts. La loi de programmation militaire (LPM) va nous y aider.
Pour commencer, il faut pouvoir détecter et attribuer une menace ! Cela paraît évident, mais il y a aujourd'hui certaines fragilités qu'il faut réparer. Dans le domaine aérien, comme dans le domaine spatial. Je pense notamment à notre capacité radar de détection, à très basse altitude pour les objets lents et de petite taille – comme les drones. À notre capacité de détection « au large », c'est-à-dire loin de nos frontières, pour réagir suffisamment en amont vis-à-vis de menaces rapides - comme les missiles balistiques ou les armes hypervéloces. Je pense aussi à notre capacité de surveillance de l'espace, pour des enjeux évidents de souveraineté.
Une fois détectée, il y a besoin de prendre en compte cette menace. Donc avoir la supériorité aérienne. C'est l'histoire du glaive et du bouclier. Au plan qualitatif, cela veut dire disposer de systèmes d'armes performants et de personnels bien entraînés. Là aussi la LPM y pourvoira. Par ailleurs, j'accorde une grande importance aux travaux que nous menons sur l'innovation et la connectivité.
Au plan quantitatif, il faut avoir une masse de combat suffisante. C'est nécessaire pour opposer un rapport de force qui nous soit favorable, couvrir l'ensemble de nos engagements aux quatre coins du monde, compenser l'attrition et tenir dans la durée. Staline disait à l'époque: « Quantity has the quality of itself ! ».