Pour être bref, je voudrais souligner que nous avons un problème de tempo. Les citoyens ont de plus en plus conscience que les problèmes des inégalités, de la biodiversité et du climat sont criants. Pourtant, on continue à se projeter sur un horizon à vingt ou trente ans, soit en 2050. Or les études les plus récentes montrent que les moments où l'on commencera à dépasser des seuils irréversibles se situent dans les années qui viennent, entre maintenant et 2030.
Vous avez vu le rapport du GIEC. Les industriels du secteur pétrolier, notamment BP et Shell, ont des scénarios internes qui tablent sur des chiffres bien plus élevés en 2050. Au-dessus des seuils de réchauffement de 2 degrés, ou même de 1,5 degré, se déclencheraient en effet des « boucles de rétroaction positive » accélérant le réchauffement et le rendant quasiment incontrôlable. Cela tiendrait à des mécanismes que vous connaissez certainement : dégel du pergélisol, libération des carbones séquestrés ou affaiblissement des mécanismes océaniques régulateurs. La chute de la biodiversité à un rythme effréné vient encore renforcer ces phénomènes, comme elle aggrave les inégalités entre populations, augmentant les difficultés à vivre, donc les risques de migrations, de conflits armés, d'émeutes de la faim, rendant le système politique de plus en plus instable. Les marges de manoeuvre des politiques se réduiront d'autant. Plus la situation sera grave, plus il sera difficile d'agir.
Nous sommes aujourd'hui dans la dernière petite fenêtre de temps où il est loisible d'agir de façon relativement démocratique. Il ne faut pas se leurrer, au-delà des seuils dont j'ai parlé, les solutions ne pourront qu'être autoritaires. Ce n'est certainement pas ce que l'on veut. Je ne sais pas si vous connaissez cette modélisation réalisée par le directeur de l'institut de recherche climatique de Potsdam. Il a calculé que si l'on atteignait un réchauffement de 5 degrés par rapport aux températures actuelles, la population mondiale devrait revenir autour d'un milliard d'êtres humains. Après une conception linéaire du progrès dans les années 1970, la science montre maintenant que l'on va vers des ruptures.
Pour moi, les trois priorités des toutes prochaines années sont d'abord d'arrêter le réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité. À cet égard, les stratégies sont multiples. Je suis de ceux qui tentent de faire en sorte que la population vous aide à construire une majorité « culturelle » au sein de la société sur ces sujets : marche du siècle, marche des étudiants, désobéissance civile. La deuxième priorité, dont on parle peu, est de construire de la résilience. Comme malgré tout, on va vers des chocs, il nous faut préparer nos territoires à les encaisser : production locale d'un maximum de nourriture et d'énergie, sécurisation de l'approvisionnement en eau, mise en place de mécanismes régénératifs. La troisième priorité est justement de régénérer. Régénérer les écosystèmes : replanter des forêts ; aider la vie marine à repartir : mangroves et coraux ; mais aussi régénérer les systèmes sociaux : faire en sorte que l'ensemble de la population puisse bénéficier de la création de richesses.
En poussant le raisonnement, il convient d'éviter les logiques révolutionnaires, qui rendraient encore plus difficile l'action politique. C'est pourquoi nous devons rénover nos systèmes démocratiques afin de permettre d'élaborer ensemble des solutions. Vous savez peut-être que nous sommes en discussion avec le ministère de la transition écologique et solidaire pour permettre qu'une assemblée de citoyens tirés au sort puisse délibérer pendant plusieurs mois pour nous aider à élaborer des solutions acceptables par l'ensemble de la population sur tous les sujets actuellement bloqués faute de consensus : par exemple taxe carbone, pesticides, implantations d'éoliennes. Ces décisions seraient ensuite validées par référendum. On pourrait ainsi susciter une adhésion dans la société : chacun ayant contribué à élaborer les solutions, chacun participerait à leur mise en oeuvre. Vous auriez un vrai rôle à jouer, en tant que représentants de la population française, pour accompagner et stimuler ce mouvement. Je vous exhorte à le faire. La majorité, aidée par un groupe de travail comme Accélérons, qui est transpartisan, peut faire en sorte que le Parlement joue un rôle moteur dans ces évolutions.