Intervention de M'jid El Guerrab

Séance en hémicycle du jeudi 23 mai 2019 à 15h00
Accord france-autorité européenne des marchés financiers relatif à son siège et à ses privilèges — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaM'jid El Guerrab :

L'Autorité européenne des marchés financiers est née d'une nécessité, celle d'assurer la stabilité financière de l'Union, de garantir le bon fonctionnement des marchés financiers et de protéger les investisseurs, au lendemain de la grave crise financière mondiale de 2007-2008.

La création de cette autorité s'est inscrite dans un ensemble de mesures, parmi lesquelles le recours, en 2010, à un système européen de surveillance financière – SESF – , lequel comprend trois autres organismes de surveillance, dont un basé à Londres et deux autres à Francfort. Ces deux places financières, Londres et Francfort, sont d'ailleurs en concurrence avec celle de Paris en matière d'attractivité financière.

La création du SESF, ce réseau intégré des autorités nationales et européennes, était impérative et, dans ce cadre, l'adoption du règlement européen qui a porté sur les fonts baptismaux l'Autorité européenne des marchés financiers a doté celle-ci d'une grande diversité de missions. L'AEMF doit notamment « agir en vue d'améliorer le fonctionnement du marché intérieur, notamment en assurant un niveau de réglementation et de surveillance élevé ».

Cette nouvelle approche de surveillance des marchés était indispensable, car la crise financière avait fait apparaître des failles inquiétantes, que l'Union européenne se devait de colmater. Ainsi, le système de coopération qui existait entre les autorités nationales, dont la compétence s'arrête aux frontières des États membres, s'était révélé insuffisant face à une crise globale, née des dérives de la mondialisation.

Un tel changement dans la surveillance des marchés financiers était indispensable, car cette crise a eu des conséquences sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens et sur la stabilité des États européens. La nécessité d'un changement fait écho à cette phrase de Jean Monnet, qui estimait que « les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». C'est réellement ce qui a conduit à l'instauration du SESF et de l'Autorité européenne des marchés financiers.

Celle-ci, également créée en 2010, est basée à Paris. Elle joue donc un rôle essentiel, et ne peut le faire que si les fonctionnaires et agents européens qui y travaillent bénéficient d'un ensemble de prérogatives pour cela. Dans la mesure où ses missions peuvent aller jusqu'à la sanction, il est indispensable, dès lors que le règlement relatif à sa création reste assez elliptique sur ce point, de lui donner les moyens d'agir en toute autonomie vis-à-vis des États membres.

Toutefois, dans ce cas précis, agir en toute autonomie ne veut pas dire doter l'Autorité des marchés financiers d'un pouvoir réglementaire autonome. Son rôle se limite, et doit se limiter, à un pouvoir de proposition, car nous ne devons pas porter atteinte à l'équilibre institutionnel qu'assure le triangle formé par la Commission, le Parlement et le Conseil européens. À ce titre, il paraît intéressant de s'interroger sur la jurisprudence de la Cour de justice du 22 janvier 2014 – « Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord contre Parlement européen et Conseil de l'Union européenne » – , aux termes de laquelle l'AEMF fait partie des organismes de l'Union dotés d'un pouvoir de prendre des actes destinés à produire des effets juridiques à l'égard de tiers. Autrement dit, l'AEMF peut disposer, dans certains cas, d'un pouvoir normatif. Il nous semble donc indispensable de veiller à ce que les délégations qui lui sont conférées soient suffisamment encadrées, tant sur le plan procédural que sur le fond, afin de ne pas menacer l'équilibre institutionnel.

Il importe également de s'interroger sur l'évolution du cadre de supervision des professionnels qui interviennent sur les marchés financiers. En effet, en l'état actuel du droit, cette question relève essentiellement des autorités nationales. Or une tendance à confier de plus en plus de prérogatives à l'échelon européen semble se dessiner.

Aussi, à quelques jours des élections européennes, l'examen de ce projet de loi doit être l'occasion de nous interroger sur le modèle de surveillance des marchés que nous voulons. Faut-il confier la supervision de certains acteurs du marché à une autorité centralisée, telle que l'AEMF, et remettre ainsi en cause le pouvoir initialement reconnu aux autorités nationales ? Pour le groupe Libertés et territoires, il est indispensable de réfléchir à l'évolution de ce modèle afin d'assurer un fonctionnement harmonieux et pleinement opérationnel de l'AEMF et des autorités nationales avec lesquelles elle interagit.

Parallèlement, le bon fonctionnement de cette autorité s'appuie sur des immunités et privilèges qui constituent autant de garants de son autonomie à l'égard des États et de sa capacité à agir avec efficacité. Ne nous y trompons pas, ces immunités ne sont pas accordées dans l'intérêt personnel des membres et des agents de l'Autorité : elles ont un caractère fonctionnel indispensable au bon fonctionnement de l'Autorité des marchés financiers.

Les privilèges et immunités sont d'ailleurs parfaitement encadrés par le protocole n° 7 de l'Union, annexé au TUE – traité sur l'Union européenne – et au TFUE – traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

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