Je suis très honoré et très heureux d'être auditionné par votre commission pour la première fois depuis que j'ai pris mes fonctions en 2016. Je me rends souvent à la commission des affaires étrangères et je m'y rendrai prochainement, car mon mandat est soumis à un renouvellement et le Président de la République et le Premier ministre m'ont fait l'honneur de proposer ce renouvellement au Parlement. Je crois à la diplomatie parlementaire et à l'action internationale de nos territoires et, en tant que magistrat à la Cour des comptes, je crois également au contrôle parlementaire.
Huit parlementaires siègent au conseil d'administration de l'AFD : votre voix est donc forte dans la gouvernance de l'Agence, et la commission des finances y joue un rôle singulier. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, nous sommes une société de financement. Notre bilan dépasse les 40 milliards d'euros et nous approcherons probablement en 2019 les 50 milliards d'euros. Nous sommes donc une entreprise publique en forte croissance, qui porte des risques financiers que nous suivons avec beaucoup d'attention, sous le contrôle de notre conseil d'administration et du Parlement.
À la demande du Gouvernement, nous mettons également en oeuvre une politique que je crois essentielle à l'heure où, dans le choix entre l'ouverture et le repli, l'action internationale revêt une dimension cruciale pour notre économie. Nous réalisons chaque année un sondage portant sur les Français et l'aide au développement, dont les taux de réponse sont extrêmement positifs. Nos concitoyens sont conscients des enjeux globaux, climatiques, de migration, de biodiversité et de mondialisation économique, et ils soutiennent les instruments permettant de contribuer à leur régulation. L'ensemble des questions reçoivent un taux de 80 % de réponses favorables au soutien à cette politique, et ce taux est en très forte croissance, puisqu'il était de 62 % en 2014 et il est particulièrement élevé chez les jeunes. À l'évidence, il s'est passé quelque chose en 2015 autour du climat et de la COP 21, qui a fortement accru la conscience des enjeux internationaux et globaux.
Le Président de la République s'est saisi de ce sujet et a pris l'engagement de porter l'aide publique au développement de la France à 0,55 % de notre revenu national brut à l'horizon 2022. Une grande séquence s'ouvrira à partir du mois d'août pour évoquer le sujet régulièrement. En outre, lors du sommet du G7 à Biarritz, les questions de développement seront très présentes et une loi d'orientation et de programmation sera annoncée sur ce sujet. En outre, la loi de finances constitue un rendez-vous cardinal pour cette politique, et nous verrons le 10 octobre prochain, à Lyon, la reconstitution du Fonds mondial pour le sida, la malaria et la tuberculose. Le Fonds vert pour le climat, autre instrument financier important, sera également reconstitué avant la fin de l'année. Un sommet entre l'Afrique et la France aura lieu à Bordeaux au printemps 2020 et une grande saison, appelée « Afrique 2020 », se tiendra en France sur les enjeux africains. Nous évoquerons donc ces sujets à de nombreuses reprises, et il nous appartiendra d'apporter les preuves que l'action internationale, et notre coopération avec l'Afrique, produisent des résultats. Notre maison sert une politique régalienne, avec un pilotage politique fort, faisant partie des « trois D », avec la diplomatie et la défense.
À l'image du Conseil de défense, le Président de la République a souhaité réunir périodiquement un Conseil du développement, sans doute moins régulièrement, à l'Élysée, pour présenter les grandes orientations et décider des grands arbitrages. Le Premier ministre est également impliqué, puisqu'il préside le comité interministériel qui fixe les principes et l'organisation de cette politique. L'AFD a trois ministres de tutelle, le ministre de l'économie et des finances, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et la ministre des outre-mer. En outre, son conseil d'administration est pluriel et offre une grande place au Gouvernement et au Parlement.
L'Agence possède une taille critique internationale, étant un instrument de plus grande taille que la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) ou qu'un certain nombre d'organisations multilatérales. Nous finalisons un mouvement similaire à celui accompli en 2012-2013 avec la constitution de Bpifrance, en vue de rassembler dans un seul groupe public l'ensemble des instruments bilatéraux de la politique de développement. Si vous votez, dans ce sens, le projet de loi qui sera présenté prochainement, l'AFD sera alors constituée de trois entités : la maison mère, qui traite avec les partenaires publics de la France (gouvernements, entreprises publiques, banques publiques), la filiale Proparco, qui traite avec les partenaires du secteur privé dans les pays où nous intervenons, et l'établissement public Expertise France, que le gouvernement souhaite intégrer au groupe AFD, pour produire de l'assistance technique et renforcer la partie « soft » de notre métier de développement. Une fois que le groupe AFD sera constitué, il nous appartiendra de trouver l'instrument qui répond le mieux à la commande politique.
Avec ses 2 500 personnes et ses 4 000 projets en cours d'exécution, l'AFD est la plus ancienne maison de développement du monde. La France a accumulé dans l'Agence une expérience unique, notamment technique, avec ses ingénieurs, financiers et économistes, qui connaissent les pays du Sud. Notre ancêtre, la Caisse centrale de la France libre, créée le 2 décembre 1941 par le général de Gaulle à Londres, est devenue progressivement un instrument positif avec le reste du monde.
Nous distinguons quatre zones d'intervention, parmi lesquelles l'Afrique représente la moitié de notre activité. Nous considérons toute l'Afrique, puisque nous avons cessé de diviser l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne, et la directrice de ce département peut donc vous présenter les enjeux africains dans leur globalité. Nous avons un département appelé « Orient », qui va des Balkans jusqu'en Chine, et son directeur, compétent sur les « routes de la soie », coordonne nos agences sur le terrain. Il constate notamment l'effort chinois, les résistances et les réactions à l'oeuvre, et il pourra vous présenter un avis informé et concret sur le sujet. Nous avons enfin un département « Amérique latine », plus classique, et un quatrième département que nous avons appelé « Trois océans », dans lequel nous avons regroupé les territoires ultramarins de la République française, où nous intervenons depuis quatre-vingts ans, et leurs voisins. L'action du directeur de ce département consiste à encourager les enjeux de développement durable dans nos outre-mer et leur voisinage, ainsi que, de façon très forte, l'intégration régionale. L'avenir économique de nos outre-mer se joue en effet dans leur relation avec la métropole, mais aussi dans leur environnement océanique, dans le Pacifique, l'océan Indien et l'Atlantique.
Notre activité est en forte croissance. En 2015, notre financement s'élevait à 8,5 milliards d'euros environ. Depuis cette date, nos engagements ont augmenté régulièrement de 1 milliard d'euros par an, pour atteindre 11,5 milliards d'euros à la fin de l'année dernière. Notre cible est encore plus ambitieuse pour 2019, puisque le gouvernement nous a fixé l'objectif d'atteindre 14 milliards d'euros, sachant que l'AFD finance près de 850 projets par an. À titre de comparaison, nos homologues allemands bénéficient d'un financement de 8 milliards d'euros et il s'élève à 50 milliards d'euros pour la Banque mondiale. Notre capacité d'action au sein de l'écosystème du financement du développement s'avère donc particulièrement active.
L'Afrique constitue notre première priorité. La moitié de notre activité est consacrée à la lutte contre le changement climatique, de façon mesurable. Nous avons pris ce virage depuis très longtemps. L'autre moitié de notre activité contribue à l'égalité entre les femmes et les hommes, grande priorité de ce quinquennat.
Enfin, dans un cadre plus technique, nous nous distinguons de nos pairs par le fait que la moitié de notre activité passe par des canaux financiers non gouvernementaux, que nous appelons « non souverains ». Nous avons donc la capacité de passer directement par les entreprises privées du Sud et les collectivités locales, sans demander une garantie de l'État et des entreprises publiques. Nous cherchons ainsi à atteindre les populations et à créer du lien avec la France sans forcément passer par les gouvernements, sachant que ce circuit nous impose une certaine prudence. Nous sommes particulièrement vigilants sur ce point.
Nos instruments sont donc diversifiés, incluant des prêts aux États, aux collectivités et aux entreprises, ainsi que des subventions et des dons, moyennant des crédits que vous votez dans chaque loi de finances. En outre, principalement à travers Proparco, nous disposons d'une capacité de prise de participation, de fonds de garantie et d'instruments plus actifs pour mobiliser le secteur privé du Sud.
Notre ressource principale est constituée par nos emprunts sur les marchés, que nous combinons avec nos ressources publiques : en 2018, vous avez voté environ 1 milliard d'euros en loi de finances. Nous sommes également devenus une « machine » à mobiliser les crédits européens, qui se sont élevés à près de 500 millions d'euros en 2018. Nous avons donc acquis une capacité budgétaire en forte augmentation. La loi de finances pour 2019 comptabilise plus de 2 milliards d'euros de crédits budgétaires, puisque vous avez ajouté 1 milliard d'euros d'autorisations d'engagement, augmentant ainsi notre capacité d'intervention en dons. Une telle dotation nous est précieuse pour intervenir dans le Sahel et sur les sujets sociaux que sont l'éducation, la santé et l'égalité femmes-hommes. Compte tenu de notre objectif ambitieux, nous continuons à mobiliser les crédits européens, sachant que l'accroissement des crédits nationaux nous permet de renforcer notre présence à Bruxelles et facilite notre accès au financement international.
L'AFD ne dispose pas de subventions de fonctionnement, les crédits que vous votez étant transférés à nos contreparties et clients. Sans prétendre à la rentabilité d'une entreprise privée, nous dégageons chaque année un résultat, et nous payons un dividende à hauteur de 20 % à l'État. Notre fonctionnement peut être rapproché du modèle de la Caisse des dépôts, qui est notre alliée en France.
Nos moyens sont concentrés d'abord dans les pays prioritaires, à savoir les pays les plus pauvres, en Afrique et dans les pays du monde émergent. Nous suivons une logique de concentration de nos moyens budgétaires là où ils sont le plus nécessaires, et nous déployons en parallèle, dans une logique plus bancaire, notre capacité financière dans les pays où la France souhaite renforcer son influence et nouer des relations avec le reste du monde. Nous répartissons les pays en trois cercles, où nous intervenons avec des outils financiers différenciés. Les « pays en subvention » sont ceux où l'aide publique au développement de la France est la plus importante, notamment au Niger, à Haïti et au Burkina, avec un effort important dans le Sahel. Nous déployons ensuite l'effort financier de l'État, c'est-à-dire les ressources en dons et les prêts bonifiés à un taux proche de 0 % et de longue durée, principalement dans les pays émergents d'Afrique, le Cameroun, le Nigeria, la Côte d'Ivoire, le Maroc et l'Afrique du Nord, pays avec lesquels la France souhaite poursuivre une relation forte et nourrie. Enfin, nous proposons des produits financiers à taux de marché, en levant l'argent sur les marchés et en couvrant nos charges. D'autres pays émergents sont concernés par cette action, tels que la Colombie, le Brésil, l'Indonésie et nos territoires ultramarins. Nous distinguons ainsi notre intervention suivant ces trois « cercles », sur la base d'une logique politique et économique.
Grâce à notre capacité de prêt, nous transformons le milliard d'euros de crédits budgétaires que vous nous allouez chaque année en 11,5 milliards d'euros de financements. En réalité, nous pouvons mobiliser des sommes plus importantes encore, en créant des liens, en coopérant et en cofinançant avec la Banque mondiale et d'autres acteurs internationaux, ce qui nous permet de transformer ces crédits budgétaires en 30 milliards d'euros de financements au total.
La phase de très forte croissance dans laquelle est engagée l'Agence nous impose des enjeux de productivité et d'efficience. L'effet de volume ainsi créé a induit une réduction de notre rémunération. Nous cherchons régulièrement des gains de productivité et, en tant qu'établissement public industriel et commercial à statut, nous allons engager la négociation du statut du personnel de l'AFD dans les mois qui viennent, en vue d'augmenter notre efficacité.
Nous sommes particulièrement attentifs aux impacts de nos actions, sachant que l'Agence peut produire un effet macro, comme le montrent les chiffres que je vous ai présentés. Nous avons contribué à la scolarisation de près de 500 000 jeunes filles l'année dernière, nous avons assuré un accès à l'électricité à 7 millions de personnes et nous avons protégé et restauré 50 000 kilomètres carrés d'espaces naturels.
Nous portons en outre une grande attention à l'évaluation, qui constitue une préoccupation forte de la commission des affaires étrangères et, bien sûr, de votre commission. Nous avons réalisé un grand effort de transparence, avec la production d'un rapport sur notre activité d'évaluation, et nous avons mis en ligne la totalité des évaluations disponibles. Nous les mettrons dorénavant à disposition de façon régulière. Nous réalisons des évaluations à plusieurs niveaux, incluant des évaluations scientifiques, dans une logique d'apprentissage.
J'ai pris des engagements devant le Parlement visant à accroître ces activités, et j'invite fortement les parlementaires à participer à ce travail d'évaluation, sous une forme qu'il vous reviendra de déterminer. Notre programme d'évaluation annuel est à votre disposition. Je vous invite également à vous en saisir et à vous informer sur nos projets, pour qu'ils soient mieux connus, évalués et critiqués le cas échéant, notamment par nos concitoyens. En effet, 80 % des Français considèrent qu'ils ne sont pas informés de la politique de développement. Une information indépendante, reconnue et légitime, comme seul le Parlement peut l'assurer, est donc nécessaire.
Dans le cadre de notre nouvelle stratégie, je mentionne simplement nos cinq engagements, que nous allons dérouler au cours des prochaines années. L'année 2015 s'est révélée cruciale dans notre domaine, avec la tenue de trois grands sommets : le sommet de New York, qui a approuvé les objectifs de développement durable (ODD), le sommet de Paris sur le climat, en décembre, qui a pris des engagements dans la lutte contre le changement climatique à travers un accord international, et le sommet à Addis-Abeba, en juillet, sur le financement du développement.
L'année 2015 a été marquée par l'établissement d'objectifs communs qui transforment nos institutions en profondeur. Il n'y a plus de pays en développement et de pays développés, puisque nous avons souscrit dix-sept ODD communs à horizon 2030, qui concernent aussi bien le Burkina Faso, la Colombie et l'Indonésie que la France. Un Français sur deux déclare avoir entendu parler des ODD et j'ai pu constater, au salon du Bourget, que les entreprises affichent l'ODD auquel elles contribuent. Le grand message des ODD consiste à rappeler que nous sommes tous en transition vers un monde doté d'un haut niveau d'indice de développement humain et une empreinte écologique soutenable.
Le monde est désormais divisé en deux groupes de pays, à savoir les pays très pauvres qui ne dégradent pas l'environnement et les pays très riches qui dégradent massivement l'environnement. L'ensemble de ces pays doit réaliser des efforts pour permettre à tous d'être en bonne santé et bien éduqués, sans dégrader l'environnement. Les solutions pour assurer cette transition émergent partout dans le monde, y compris, et assez souvent, dans les pays les plus pauvres. Un instrument comme l'AFD peut également contribuer à cet objectif, et c'est la raison pour laquelle nous avons bâti une alliance avec la Caisse des dépôts et consignations, qui constitue la banque de développement interne de notre pays.
Notre nouvelle stratégie vise à échanger davantage et à créer du lien pour réussir cette transition, dans le cadre d'un changement profond de la politique et de la nature de notre intervention. En effet, nous ne sommes plus simplement une caution, ou un simple instrument de solidarité, qui demeure importante et nécessaire dans de nombreux pays du monde. Nous sommes devenus un instrument bien plus important, qui doit créer du lien au sein même de notre pays et contribuer à renforcer, au plan international, les biens communs que nous avons tous en partage.