Je vous présente aujourd'hui une proposition de résolution européenne sur laquelle nous avons travaillé avec plusieurs collègues, relative aux négociations en vue de deux accords commerciaux avec l'Australie d'une part et la Nouvelle-Zélande d'autre part. Ces négociations sont assez récentes puisqu'elles ont été entamées en juillet 2018, le mandat de négociation ayant été donné à la Commission européenne en mai 2018. Nous avons ici l'opportunité de faire jouer un rôle moteur à la France dans ces négociations et de faire entendre notre voix ; notre résolution sera notamment destinée au ministère des affaires étrangères, qui portera nos positions lors du prochain Conseil de l'Union européenne le 28 mai prochain.
Notre texte prend la suite d'un travail de fond déjà effectué par le Sénat, qui a adopté une proposition de résolution en amont du mandat, en février 2018. Nous venons aussi après la discussion sur l'accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande ; à cette occasion, madame la présidente avait proposé de rédiger une résolution sur les questions commerciales. Enfin, une résolution a été adoptée par l'Assemblée nationale très récemment sur l'agenda commercial européen : c'est un texte de portée plus globale.
Je tiens à souligner le travail approfondi réalisé sur ces questions commerciales. Je rappelle que nous sommes dans un contexte plutôt dégradé ; le cadre multilatéral incarné par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est mis à mal et des tensions internationales montent aujourd'hui suite à des prises de position de la part de certaines puissances. Nous sommes face à une montée du protectionnisme aux États-Unis et à des atteintes répétées aux règles de l'OMC, notamment par la Chine, sur la question de la propriété intellectuelle. Renforcer ses accords bilatéraux est une nécessité pour l'Union européenne. Nous avons besoin de maintenir notre rang de première puissance commerciale mondiale et consolider ainsi nos partenariats politiques et commerciaux.
Une clarification a été nécessaire quant aux compétences de l'Union et des États-membres. Nous allons aujourd'hui vers des accords « non-mixtes », ce qui signifie que ces accords ne seront pas soumis à la ratification des parlements nationaux. Par conséquent, nous nous positionnons en amont vis-à-vis des négociateurs pour faire entendre nos recommandations.
On avait jusqu'à peu une approche technique des accords commerciaux. Nous savons aujourd'hui que l'opinion publique s'interroge de plus en plus, que des inquiétudes se cristallisent, et ce à juste titre puisque ces négociations peuvent nous paraître compliquées. Des leçons sont à tirer du CETA (Accord économique et commercial global avec le Canada), qui a eu un impact sur l'opinion publique. Le gouvernement français a publié un plan d'action qui nous permet, pour nos futurs accords, de mieux nous assurer de leur impact et de faire évoluer leur contenu, notamment sur les normes sanitaires appliquées, sur la coopération internationale sur le climat et sur les enjeux à venir de ces accords.
Pour revenir aux pays qui nous concernent, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, ce sont des pays alliés qui partagent des valeurs démocratiques, humanistes, économiques et environnementales très proches des nôtres. Nous avons ici l'opportunité de conclure des accords ambitieux qui seront un exemple pour les accords suivants. Au-delà des contingents tarifaires qui sont au coeur du sujet, tous les enjeux sociaux et éthiques sont mis sur la table et nous permettent d'avancer ensemble et de préparer l'avenir.
Malgré l'absence de proximité géographique avec ces pays, ils représentent pour nous des intérêts défensifs mais aussi des intérêts offensifs que je tiens à souligner. Le commerce entre l'Union européenne et les deux pays est actuellement fortement excédentaire. Parmi nos intérêts offensifs, je tiens à rappeler la réciprocité dans les marchés publics et donc l'accès aux marchés publics à l'échelle nationale et régionale à tous les niveaux de l'administration.
Les négociations ayant débuté en juillet, nous en sommes à trois cycles de négociations avec chaque pays, qui ont eu lieu en juillet dernier, puis à l'automne, puis en février de cette année pour la Nouvelle-Zélande et en mars pour l'Australie. Les négociations avancent vite, bien plus vite qu'avec d'autres partenaires comme le Mercosur. Il y a une volonté des pays et notamment de la Nouvelle-Zélande de pouvoir conclure rapidement, avec un objectif en fin d'année dans ce dernier cas. Avec l'Australie, cela pourrait prendre un peu plus de temps du fait des échéances électorales proches, mais cette volonté d'avancer rapidement demeure.
Les éléments et recommandations évoqués dans la proposition de résolution traduisent une volonté de transparence. La Commission européenne a déployé de grands efforts afin de publier des rapports sur les négociations. Cela dit, ils sont exclusivement en anglais et nous recommandons une diffusion aussi en français. Notre volonté est de renforcer les supports de communication à destination du grand public et des acteurs économiques pour que ceux-ci puissent bénéficier de tous les avantages des accords.
Les questions de quotas et de contingents tarifaires sont prises en compte, ainsi que celle de l'Accord de Paris. Le Président de la République, en septembre 2018, a clairement annoncé que nous ne signerions plus d'accords commerciaux avec les puissances qui ne respectent pas l'Accord de Paris. L'Australie et la Nouvelle-Zélande en sont signataires. Elles ont pris des engagements en matière de réduction des émissions de gaz inférieurs à ceux de l'Union européenne mais ont réaffirmé leur volonté de les améliorer. Jean-Baptiste Lemoyne l'a dit la semaine dernière lorsque nous l'auditionnions : la Nouvelle-Zélande a la volonté d'inscrire le respect de l'Accord de Paris comme une clause essentielle contraignante du futur accord, ce qui signifie qu'il pourrait être suspendu en cas de non-respect.
Nos intérêts défensifs sont notamment agricoles ; les filières de l'élevage et du sucre constituent des points sensibles, reconnus par la Commission européenne. Il faudra des quotas et Jean-Baptiste Lemoyne est particulièrement attaché au fait que l'on prenne en compte pour chaque filière les quotas globaux accordés à l'ensemble des pays avec lesquels nous avons des accords. La Nouvelle-Zélande et l'Australie sont des exportateurs significatifs dans ces domaines. Nous avons également des intérêts à l'export. La proposition de résolution préconise une observation précise des flux, ce qui nous permettra de renforcer notre potentiel commercial et notre réactivité tant défensive qu'offensive.
Les indications géographiques, dont le nombre dépasse 2 000 en Europe aujourd'hui, sont l'un de nos intérêts offensifs. Nous avons une culture historique des produits, que nos partenaires n'ont pas forcément en tant que pays jeunes. Nous souhaitons mettre en avant la reconnaissance des savoir-faire traditionnels. Dans le même ordre d'idées, nous attirons l'attention des négociateurs sur la question de la propriété intellectuelle et la protection des brevets.
La question de l'équivalence des normes est abordée. Nos entreprises rencontrent parfois des difficultés lorsqu'il s'agit d'accéder à certains marchés, notamment pour des questions de normes sanitaires ou phytosanitaires. Des processus d'harmonisation doivent pouvoir être menés à bien, autant sur les normes de qualité que sur les compétences, pour que chacun puisse avoir confiance dans la qualité des produits délivrés de part et d'autre.
Il faut aussi lever les barrières non tarifaires, notamment les mesures sanitaires et phytosanitaires. C'est un point important, surtout concernant les produits bénéficiant d'indications géographiques. Pour prendre un exemple, tous les produits à base de lait cru ne peuvent pas rentrer sur le marché néo-zélandais. Nos collègues qui défendent le camembert apprécieront la démarche : ce sont des produits que nous souhaitons mettre en avant et qui peuvent intéresser le marché et les consommateurs dans ces pays ; il est important que nous puissions lever l'ensemble des barrières qui aujourd'hui ne nous permettent pas d'exporter. Cela aura un impact sur nos très petites entreprises (TPE) et nos petites et moyennes entreprises (PME). Il est important que toutes les recommandations de la résolution soient mises en oeuvre pour aider ces entreprises en termes de communication et de facilitation de l'accès aux marchés.
D'autres aspects sont évoqués dans la proposition de résolution, en particulier le respect des conventions de l'Organisation internationale du travail. Sur huit conventions fondamentales de celle-ci, six ont été signées par la Nouvelle-Zélande et sept par l'Australie. Les deux conventions manquantes concernent l'âge minimum d'admission à l'emploi et la liberté syndicale. Il est important pour nous que l'Australie et la Nouvelle-Zélande s'engagent sur ces deux conventions.
Je n'ai plus à démontrer l'intérêt que peut avoir un accord commercial dans le rayonnement de la France. L'impact du soft power, c'est-à-dire notre présence sur un marché étranger par nos produits et notre savoir-faire, contribue à faire valoir nos compétences, dénote un avantage concurrentiel important et nous permettra également de conquérir de nouveaux marchés. La proposition de résolution souhaite attirer l'attention sur le e-commerce et les marchés de services qui sont possibles avec ces pays. La proposition de résolution évoque le décalage horaire et le décalage de saison ; on peut y voir une contrainte mais aussi un avantage. Cela peut concerner par exemple l'industrie cinématographique : on peut faire traiter de nuit un film tourné dans la journée.
De manière générale, plutôt que d'accords de libre-échange, je souhaiterais que nous parlions d'accords commerciaux, étant donné ce qu'ils représentent réellement. Ayant eu l'occasion de les rencontrer à Bruxelles, je tiens à souligner la disponibilité des négociateurs en chef. Nous avons souhaité, au travers de cette résolution, avoir une approche positive des accords commerciaux et percevoir les opportunités qui sont en train de s'ouvrir avec nous à ce titre. La France sera à l'issue du Brexit la seule puissance européenne présente en Océanie. La question de nos collectivités d'outre-mer est mentionnée dans la proposition de résolution.
Je souligne encore une fois le travail conséquent effectué sur ces accords pour que la France puisse être un moteur au sein de l'Union européenne sur ce sujet.