– Le savoir s'est transmis jusqu'à maintenant, il s'est même développé, puisque les techniques modernes permettent de travailler plus souvent en conservant les pierres existantes, alors qu'auparavant nous avions plutôt tendance à les substituer. Néanmoins, il va effectivement falloir retrouver des pierres pour les voûtes et les hauts du bâtiment, et en quantités relativement importantes.
Nous n'avons pas encore réalisé le diagnostic des capacités portantes des murs et des voûtes, mais nous savons qu'à certains endroits l'atteinte à la matière peut aller jusqu'à douze centimètres. Nous avons besoin de connaître précisément ces phénomènes.
Nous travaillons aussi avec des spécialistes des bois, notamment pour la datation – les techniques actuelles permettent de le faire malgré la calcination –, et des métaux – fer, plomb, etc.
Parallèlement à la nécessité de restaurer le bâtiment dans sa forme et dans sa capacité à traverser les temps, un formidable champ d'acquisition de connaissances s'ouvre ; ce sera peut-être le seul aspect positif de ce désastre… Nous devons saisir cette opportunité.
Vous le voyez, beaucoup de partenaires interviennent dans ces travaux – je n'ai pas encore cité le service régional de l'architecture.
Naturellement, tout cela se fait en parallèle des recherches spécifiques du laboratoire central de la préfecture de police, qui procède à des investigations en vue de comprendre la cause du sinistre. Le laboratoire, dont les agents sont aussi des spécialistes de la dégradation des matériaux, a une forme de préséance sur la maîtrise d'oeuvre et les services du ministère de la culture, mais nous travaillons dans la meilleure collaboration possible et de manière finalement complémentaire.
L'enjeu de la transmission des savoir-faire est également très important. Nous devrons travailler étroitement avec les entreprises de monuments historiques, avec lesquelles nous collaborons depuis des années et qui forment les compagnons. Notre-Dame sera évidemment une formidable opportunité pour former des compagnons et transmettre les savoir-faire dans les différents corps de métiers qui seront sollicités.
La recherche de pierres de substitution va constituer un problème qu'il faudra résoudre très rapidement. Nous devrons retrouver des sources d'approvisionnement, peut-être rouvrir des carrières. Utiliser des pierres du bassin parisien serait certainement préférable, ne serait-ce que pour des raisons de développement durable ; à défaut, nous devrons chercher des pierres équivalentes sur les plans physique et chimique.
Nous devons d'abord terminer toutes les opérations qui relèvent de l'urgence impérieuse, c'est-à-dire la stabilisation de l'édifice. Une grande partie de ces travaux a déjà été réalisée, notamment pour la consolidation des pignons qui ont beaucoup souffert de l'incendie. Des échafaudages ont été posés pour cette partie du monument ; très récemment, les chimères de la tour sud, qui sont des statues de dimension importante, ont été déposées ; le bâchage des voûtes hautes a été réalisé dans les premiers jours après l'incendie avec de petites poutrelles métalliques et des bâches provisoires de manière à mettre hors d'eau l'édifice, sauf la partie de la croisée où se trouve l'énorme échafaudage de la flèche – je dois saluer le fait que cet échafaudage soit resté en place malgré l'incendie.
Nous travaillons aussi à la protection d'un certain nombre d'objets mobiliers, nous les classons et les mettons à l'abri. La statue de la Vierge qui était au pied du pilier sud-est de la croisée a été miraculeusement épargnée – elle n'avait même pas de poussière… – et a été transportée dans l'une des chapelles du coeur. Je peux aussi citer le Voeu de Louis XIII, oeuvre de grands sculpteurs du XVIIe siècle. Plus récemment, nous avons déposé l'ensemble des vitraux hauts du vaisseau, qui datent pour l'essentiel du XIXe et du XXe siècle ; c'était une étape importante pour avoir accès à la base des baies et installer un plancher de travail sous la voûte – l'opération est assez délicate, parce que les murs sont extrêmement fins, ce qui pose des problèmes d'équilibre et de reports de charges.
Ces baies hautes sont ouvertes et il faut les stabiliser. Or beaucoup des meneaux, qui sont des pierres très spécifiques et très fines, sont dans un état dégradé. L'une des importantes opérations en cours concerne l'étaiement des arcs-boutants ; éléments extrêmement élégants qui révèlent une véritable prouesse technologique pour l'époque médiévale, ils font à peu près quinze mètres de portée et cinquante centimètres de large en moyenne – c'est un élancement considérable – et le moindre déséquilibre du voûtement peut entraîner leur chute. Étayer de telles structures est en fait assez complexe, notamment à cause des reports de charges. Par ailleurs, les murs qui sont à la base de la charpente ont beaucoup souffert de l'incendie.
Vous le voyez, de nombreuses opérations sont complexes, mais nous devrions terminer prochainement, dans quelques semaines ou mois, la mise en sécurité. Cette église est un édifice fin et léger, voire gracile par certains côtés, ce qui en constitue d'ailleurs la beauté et la grâce. Nous devons donc avoir une attention particulière aux reports de charges.
Nous pourrons ensuite entrer dans une phase active de diagnostic. Nous pourrons alors monter sur les voûtes, qui ont été ébranlées par les différents chocs subis : elles seront étayées et nous pourrons déposer tous les éléments de charpente et analyser les enduits. Aujourd'hui, tout l'intérieur des voûtes est nappé par une sorte de couche brune qu'il va falloir analyser et qui cache parfois des décors anciens, notamment dans le bras sud du transept.
Pour tout cela, l'apport scientifique est indispensable. Nous devons établir un corpus de connaissances qui nous permettra d'élaborer les solutions de réparation.