– L'incendie de Notre-Dame, l'émotion qu'il a suscitée et le déferlement médiatique qui s'en est suivi ont incité un groupe de scientifiques - six à l'origine – à créer une association. Leurs motivations étaient multiples. Conscients que la connaissance d'un édifice constitue un élément essentiel pour son sauvetage et sa restauration, ils souhaitaient transmettre aux autorités les études inédites (c'est-à-dire déjà réalisées mais non encore publiées) connues du seul monde académique. Ainsi, le 15 avril dernier, une thèse monographique était en voie d'achèvement, une autre consacrée aux sources iconographiques documentant Paris avait été récemment soutenue, sans faire l'objet de nombreux articles. De même, une étude scannographique des transepts devait être publiée en juillet prochain et le manuscrit d'un ouvrage documentant le chantier d'Eugène Viollet-le-Duc était en cours de relecture. Ces travaux peuvent être déterminants pour le chantier.
Les scientifiques oeuvrant dans le domaine patrimonial viennent des horizons les plus divers, ils produisent un grand nombre de données conservées souvent de manière disséminée. Les récoler est l'une des missions des minutieuses études préalables réalisées en principe avant toute restauration. L'urgence de la catastrophe imposait de solliciter rapidement le monde scientifique afin de soutenir les acteurs de terrain.
Les ondes ont par ailleurs été rapidement saturées des propos de prétendus spécialistes qui affirmaient des inepties. Ainsi a-t-on entendu que des chênes vieux de 400 ans au moment de leur abattage avaient servi pour la construction de la charpente, qu'aucune forêt française ne possédait d'arbres de qualité suffisante, que la flèche d'Eugène Viollet-le-Duc était en métal et qu'elle était une pure invention ou bien encore qu'une charpente en chêne ne pouvait pas brûler. Ces assertions auraient été comiques si elles n'avaient pas eu comme conséquence de semer le doute dans l'esprit de l'opinion publique sur la qualité des services de l'État et de risquer d'influencer de manière néfaste les décisions de ses représentants.
Il était donc urgent de fournir une information fiable et de la mettre à disposition de la presse. Le patrimoine est en effet un univers mal connu de ceux qui n'y travaillent pas et la diversité des scientifiques qui y gravitent est aussi riche que déconcertante. Dès sa création, l'association s'est donc donnée pour mission la transmission d'informations, leur vulgarisation et la mise en relation des différents acteurs. Les scientifiques du patrimoine, conscients de l'extrême utilité de ces missions, ont adhéré massivement à notre association qui compte aujourd'hui plus de deux cents membres du monde entier et a entrepris plusieurs actions concrètes.
Ainsi, l'association publie des fiches – une soixantaine à l'heure où je vous parle – à destination d'un large public sur son site internet. D'une trentaine de lignes, chaque fiche est signée par un scientifique qui joint deux références bibliographiques et développe une seule idée. Le langage utilisé est délibérément accessible au plus grand nombre. Ces textes sont rédigés dans l'esprit des résumés des rapports scientifiques vulgarisés destinés aux élus amenés à trancher une question. Elles abordent des thèmes très variés, comme l'illustrent les exemples suivants.
Etienne Hamon, Professeur d'histoire de l'art du Moyen-Âge, a consacré une fiche à un rapport d'expertise de 1526. Notre-Dame y est à l'époque décrite en des termes inquiétants. La liste dressée par les professionnels d'alors des éléments délabrés correspond relativement bien à celle des éléments qu'il était prévu de restaurer avant le 15 avril dernier. Pourtant, la cathédrale n'a pas fait l'objet de travaux de grande envergure avant le milieu du XIXe siècle ! Cela prouve que, contrairement à ce qu'a laissé supposer la presse quelques jours après la catastrophe, il n'y a pas de lien évident entre l'état sanitaire de l'édifice avant le 15 avril et l'incendie.
Une autre fiche révèle l'existence probable de fondations anciennes pouvant servir au chantier de restauration. D'autres encore rappellent que les monuments historiques sont souvent victimes d'incendie ; elles décrivent les méthodes suivies par les services du ministère de la culture pour rendre leur intégrité aux monuments. Ce sont autant d'expériences susceptibles de nous guider dans la situation actuelle.
Certaines fiches présentent enfin les apports de telle ou telle méthode d'investigation, généralement très récente. Les sciences du patrimoine sont, contrairement à ce que l'on pourrait penser, pour la plupart relativement jeunes. Nul ne peut les maîtriser ni même les connaître toutes. Seul un rassemblement de compétences permet de toutes les embrasser.
Le site de l'association fait également référence à des études démontrant qu'aucun matériau n'est a priori exclu pour la restauration de la charpente, qu'il s'agisse du bois, du béton ou de l'acier. Des spécialistes ont rappelé que le choix du béton s'était imposé dans la France de l'après première guerre mondiale uniquement à cause de la pénurie de bois. Des historiens ont mis en lumière que de nombreux architectes – dont Eugène Viollet-le-Duc, fervent défenseur du progrès –, avaient toujours considéré que retenir tel ou tel matériau relevait d'un choix d'espèce, non d'une quelconque doctrine.
La seconde mission de l'association est la mise en relation des acteurs avec des scientifiques susceptibles d'apporter une réponse à leur questionnement. À cet égard, la culture pluridisciplinaire des membres qui la gèrent au quotidien constitue une véritable valeur ajoutée. Elle leur permet de contacter rapidement l'interlocuteur approprié pour un journaliste souhaitant développer un sujet, fournir des renseignements aux élus qui en ont besoin ou aux acteurs du chantier. Nous avons par exemple transmis une note de Georges Lambert, qui avait réalisé l'étude dendrochronologique de la charpente de Notre-Dame, aux architectes en chefs des monuments historiques. À cette occasion, le chercheur a repris ses calculs, affiné ses données, fourni de nouvelles datations et donné un certain nombre d'indications pour la collecte de nouveaux échantillons.
La troisième action concrète de l'association, l'une des plus importantes et, à vrai dire, non envisagée à l'origine, a été de fournir une fabuleuse plateforme de discussions et d'échanges entre scientifiques de diverses disciplines qui, pour beaucoup d'entre eux, ne se connaissaient pas il y a un mois. Chaque nouveau membre présente, dans un courriel collectif, les compétences qu'il a su développer et ce qu'il peut apporter à la restauration. Ces messages fonctionnent comme de véritables réservoirs d'idées desquelles émergent rapidement et avec une aisance déconcertante des programmes de collaboration entre scientifiques.
Lorsque la mise en sécurité de l'édifice sera réalisée, ces scientifiques auront pour vocation de devenir, eux aussi, des acteurs du chantier en coordination avec les laboratoires du ministère de la culture et le soutien du CNRS.