- Par mes travaux antérieurs en laboratoire de recherche et en entreprise, j'ai, comme plusieurs d'entre nous ici aujourd'hui, un point de vue sur le mode de reconstruction et souhaite vous parler de l'apport des nouveaux matériaux, notamment du béton.
Je considère comme impératif de reconstruire Notre-Dame à l'identique, tout en tenant compte de l'environnement, du développement durable et de l'économie circulaire, de l'emploi de méthodes de modélisation et de conception actuelles et, surtout, de l'emploi des matériaux contemporains les plus performants.
À cet égard, je souhaite rappeler la remarquable restauration de la charpente de la cathédrale de Reims après les bombardements et incendies de 1914. Des poutres en béton armé préfabriquées en usine puis montées et assemblées sur le site ont alors été utilisées. Cet apport de la modernité n'est pas apparu, à l'époque, comme incompatible avec le principe de restauration à l'identique de la cathédrale.
C'est donc dans cette perspective que je vais vous vanter les mérites du béton. Je m'appuie sur mes expériences passées très diverses de chercheur et d'ingénieur, mais également de créateur et co-responsable d'une PME de « déconstruction », jadis classée première mondiale de sa spécialité par les Américains, et d'expert en matière de consolidation d'ouvrages après incendie etou séismes (cathédrale de Mexico, grands immeubles à Bucarest, tunnel sous la Manche, etc.).
Je me suis très tôt intéressé aux « bétons de haute performance » (BHP) aussi bien au ministère de l'équipement qu'au laboratoire central des ponts et chaussées. J'ai notamment piloté le projet national de recherche et développement lancé par les ministères de la recherche et de l'équipement. Ce projet regroupait une vingtaine de laboratoires de recherche publics ou privés et une vingtaine d'entreprises sur ce thème des « nouveaux bétons ».
Dès 1985, ces BHP devinrent opérationnels sur de très grands ouvrages : le premier au monde fut le pont de l'Île de Ré. En 1988, grâce à une approche scientifique toujours pluridisciplinaire associant la physique, la chimie, la mécanique, la biologie et la géologie, et grâce à une implication forte de Bouygues, de Lafarge et de Rhodia, trois grandes entreprises françaises, une troisième génération de béton est arrivée à maturité, connue sous le nom de Bétons de Fibres Ultra Performants (BFUP).
En 1988, l'école doctorale internationale sur les nouveaux matériaux de construction que j'avais créée associait l'École nationale supérieure de Cachan et l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC), l'École polytechnique de Lausanne et les Universités de Liège, Laval-Québec et Sherbrooke. La construction d'une passerelle en BFUP sur le site universitaire de Cachan, qui aurait été la première réalisation mondiale faite avec ce matériau, a malheureusement été refusée par l'administration. Ce projet a été réalisé quelques années plus tard à Sherbrooke, proposé par l'université locale partenaire de notre école doctorale. À partir de ce moment-là, l'utilisation des BFUP pour des grands ouvrages emblématiques, tels que de nombreux musées dont le MUCEM à Marseille, des salles de concert en Europe, etc., s'est développée. Il faut dire que les caractéristiques technologiques propres aux BFUP sont particulièrement intéressantes.
D'abord, leur résistance à la compression (160 à 400 Mégapascal [MPa]) est 6 à 15 fois supérieure à celle du béton utilisé pour la reconstruction de la cathédrale de Reims (25 à 30 MPa) et 2 à 4 fois plus résistant que de très bons BHP (90 à 100 MPa). Par ailleurs leur rapport légèreté-résistance est particulièrement opportun dans un projet où il faut impérativement réduire drastiquement les charges sur les murs verticaux.
Ensuite, leur résistance en traction a été largement améliorée par rapport à des bétons des générations précédentes. Elle est même égale ou supérieure à la résistance en compression des bétons classiques, ce qui permet de construire sans les armatures métalliques, jusqu'alors obligatoires mais constituant un élément fragilisant en cas d'incendie de forte intensité notamment.
La mesure de la porosité aux gaz de tous les matériaux obtenus par hydratation de poudres – c'est le cas du béton – est un moyen essentiel pour évaluer la durabilité dans le temps de ces matériaux et, entre autres, leur résistance à des agressions extrêmes. Retenons que cette porosité est dans le rapport de 1 000 à 10 000 par rapport à celle des bons bétons traditionnels. La perte de sensibilité aux agressions externes (pollutions chimiques venues d'environnements agressifs, chocs thermiques) et aux évolutions internes (fluage, retrait hydrique, carbonatation), est assurée et fait de ce matériau une véritable céramique industrielle de construction à très haute durabilité.
Une autre propriété remarquable est la singulière rhéologie de ce nouveau matériau jointe à une exceptionnelle thixotropie. Ensemble, elles confèrent à ces bétons des propriétés de fluidité et de conservation de l'homogénéité nécessaire à la future qualité de surface et à une bonne ouvrabilité pendant le temps de mise en place dans le coffrage.
Les deux pièces de démonstration que je vous ai apportées montrent la très grande proximité entre les BFUP et les céramiques en matière d'obtention de formes singulières, de micro-géométrie de surface, ou encore sur leur capacité à imiter, en vue lointaine ou proche, les couleurs et les aspérités désirées en surface.
Autre avantage de taille, la fabrication de ce matériau, la conception, le calcul et le montage de ses éléments en grandes structures (charpentes, ponts, coupoles, etc.) sont, en France, parfaitement maîtrisés. Les références de réalisations sont désormais nombreuses dans le domaine de la culture, en France comme à l'étranger.
En conclusion, je souhaiterais rappeler que les BFUP sont une invention française associant public et privé au niveau scientifique et au niveau de l'application technologique. Il y a 20 ans, les premières applications ont été réalisées au bout du monde en raison de la frilosité et de la lenteur d'adaptation de nos réglementations et de nos normes, tout en étant conçues et construites par des architectes et ingénieurs français avec des composants de matériaux présents sur notre territoire. Depuis, les règlements et normes sont enfin à jour et les réalisations en France sont nombreuses.
Il serait donc heureux que la rénovation de Notre-Dame soit aussi l'occasion de défendre aux yeux de millions d'observateurs du monde entier la capacité de la France à associer, sur un thème par essence culturel et patrimonial, la science, la technologie et la promotion de l'innovation maîtrisée et durable.