Intervention de Lise Leroux

Réunion du jeudi 23 mai 2019 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Lise Leroux, géologue, ingénieur de recherche, pôle pierres, au Laboratoire de recherche des monuments historiques :

- Nous nous trouvons actuellement dans une phase de travaux d'urgence « absolue » dont nous ne connaissons pas la durée. Ils ont nécessité la mise en place immédiate de protocoles et de collaborations scientifiques, en particulier avec le laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH). Cette phase de pré-diagnostic de l'état de détérioration des matériaux s'est appuyée sur des connaissances acquises depuis longtemps par le biais de la documentation et de recherches scientifiques passées. Au cours de cette phase de sauvetage sont apparus des besoins scientifiques qu'il faudra satisfaire afin de garantir la conservation de l'édifice, liés à l'émergence de nouvelles thématiques.

Pour autant, les études scientifiques doivent se caler sur les travaux alors même qu'il s'agit de deux échelles de temps guère compatibles. En effet, la recherche académique s'appuie sur le long terme, tandis que les travaux sont soumis à de fortes contraintes de sécurité et doivent, pour certains, être réalisés dans l'urgence. C'est notamment le cas pour le tri et la sélection des éléments effondrés (métal, bois, pierre). Ces opérations sont menées dans des conditions d'urgence, en raison de la présence de plomb dans les gravats et des risques d'effondrement.

Dans la perspective de la reconstruction, le risque de pénurie de pierres de taille est détaillé par le LRMH depuis 1940, dans la mesure où les pierres doivent répondre à des compatibilités physiques et esthétiques très précises. Par conséquent, nous avons lancé une alerte auprès des pouvoirs publics dès la fin du sinistre.

Dans la phase opérationnelle, le LRMH est intervenu en apportant son aide dans la mise en place des systèmes de couverture provisoire. De même, les connaissances acquises par notre laboratoire, notamment grâce aux projets de thèses en cours sur l'impact des incendies, sont un atout précieux dans la détermination du degré d'altération des pierres.

A ensuite été établie une liste des études à débuter immédiatement afin de définir un plan prévisionnel pour le projet de restauration. Il s'agit d'abord de préciser le diagnostic de l'impact du feu sur les matériaux en oeuvre (pierre, métal, vitraux). Pour cela, nous avons besoin immédiatement de forces vives pour les réaliser. Il nous faut également définir l'impact de l'eau utilisée pour l'extinction de l'incendie, notamment sur les aptitudes mécaniques des maçonneries. Nous savons par ailleurs que l'eau entraînera l'apparition de sels délétères dans les maçonneries au cours du séchage et qu'il y a un risque d'altérations chromatiques – nous l'avons déjà constaté au château de Lunéville et les thèses que nous avons produites sur ce sujet pourraient d'ailleurs apporter certaines réponses.

Le LRMH devra en outre mettre en place un suivi climatique de l'édifice et parallèlement, évaluer l'aptitude au réemploi et au maintien en place de certains éléments de maçonnerie, procédure déjà utilisée par Eugène Viollet-le-Duc. Cela implique l'organisation de plusieurs actions simultanées : instauration de protocole d'évaluation mécanique simple au moment du tri ; évaluation des besoins en pierres de substitution et définition de leurs volumes, de leurs formes et de leurs caractéristiques physiques ; travail de prospection de carrières aptes à fournir le cubage nécessaire de pierres physiquement et esthétiquement compatibles. À cet égard, il faudra peut-être envisager l'ouverture de nouvelles carrières pour répondre au besoin. Par ailleurs, il faut mettre en place des protocoles de nettoyage pour l'ensemble de l'intérieur de la cathédrale en tenant compte de la forte pollution par le plomb.

Ces besoins d'accompagnement scientifique doivent être définis dès aujourd'hui, même s'ils ont vocation à se dérouler à moyen terme. Concrètement, cela signifie qu'il faut lancer des études scientifiques basées sur des recherches passées, soumises aux contraintes à court terme du chantier, qui ne sont pas envisageables dans un cadre de recherche académique classique, alimentée en grande partie par le biais des thèses, qui se déroulent sur trois ans. Il nous faut donc des forces vives !

Les diagnostics et les restaurations vont certainement soulever des problématiques ponctuelles qui pourront être étudiées dans un laps de temps assez court, dans le cadre de contrats post-doctoraux par exemple.

Enfin, la rénovation de Notre-Dame va faire émerger des thématiques connexes ou transversales, qui pourront être intégrées dans de futurs projets de recherche pluriannuels, utiles à la compréhension de l'histoire de la cathédrale, mais également à la compréhension de l'histoire des techniques, ainsi qu'à la sauvegarde d'autres édifices.

En conclusion, je voudrais insister sur les travaux de fouille archéologique d'urgence qui sont réalisés actuellement pour déblayer l'espace, mais également faire du tri entre les éléments qui seront réutilisables, ceux qui sont muséables et ceux qui pourront être mis à disposition des chercheurs pour des études scientifiques. Cette action de tri est essentielle, mais elle exige des moyens humains considérables !

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