Intervention de Bérangère Abba

Séance en hémicycle du lundi 3 juin 2019 à 16h00
Mobilités — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérangère Abba, rapporteure de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Trente-sept ans : il y a près de trente-sept ans, la loi d'orientation des transports intérieurs affirmait un droit au transport, devant permettre de se déplacer dans des conditions raisonnables d'accès, de qualité et de prix, ainsi que de coût pour la collectivité.

Si la LOTI a longtemps fait référence, les modes de vie et le contexte ont changé. Victimes de plusieurs décennies de grands projets, au détriment de l'entretien des réseaux secondaires capillaires, nos politiques publiques de transport se sont perdues en chemin. Les dernières décennies furent celles des grandes annonces et des projets non financés, celles du sous-investissement dans les infrastructures, trop souvent celles des politiques encourageant le tout-voiture.

Les Français aspirent désormais à des modes de transport moins coûteux et plus sobres en temps, en énergie et en carbone. Il nous faut répondre aux urgences climatiques et de santé publique, aux enjeux géostratégiques de souveraineté énergétique et préparer l'avenir en matière de mobilité.

Nous héritons de fait d'infrastructures dégradées nécessitant un effort considérable de remise à niveau. La voiture individuelle demeure indispensable à beaucoup de nos concitoyens, dépourvus à ce jour d'autre solution, et ce sont leurs difficultés, notamment lorsqu'ils vivent dans des territoires ruraux, que l'on a vu s'exprimer avec force dans le mouvement social que notre pays vient de traverser.

À ces difficultés, la loi d'orientation des mobilités apporte des réponses. Dès 2017, les Assises nationales de la mobilité puis les travaux du Conseil d'orientation des infrastructures ont permis une large concertation. Nous changeons ici radicalement de paradigme, en nous détachant d'une vision centrée sur les grandes infrastructures au profit de celles du quotidien, au plus près des besoins des Français et des territoires.

Le titre Ier A du projet de loi – initialement titre IV – établit la programmation des investissements de l'État dans les transports pour les dix prochaines années, le rapport annexé déclinant cette stratégie.

En nous donnant une visibilité pluriannuelle sur la politique des transports et en orientant les investissements vers l'amélioration de la mobilité des personnes et l'optimisation des transports de marchandises, le titre Ier A de la loi d'orientation des mobilités se fixe quatre grands objectifs : réduire les inégalités territoriales en renforçant l'accessibilité des zones enclavées et des territoires mal connectés aux grandes agglomérations ; concentrer nos efforts sur les déplacements du quotidien, en améliorant la qualité des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux ; accélérer la transition énergétique en favorisant le rééquilibrage modal vers les transports les moins polluants ; améliorer enfin l'efficacité des transports de marchandises, en facilitant le report modal.

Pour y parvenir, cinq programmes d'investissement prioritaires ont été définis : l'entretien et la modernisation des réseaux nationaux existants ; la désaturation des grands noeuds ferroviaires ; le désenclavement des villes moyennes et des régions rurales ; le développement de l'usage de mobilités moins polluantes et de mobilités partagées ; le soutien à une politique de transport de marchandises ambitieuse.

Vous l'aurez compris, nous sommes ici face à deux grands enjeux : celui du maillage du territoire et de ses réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux, comme du développement des nouvelles mobilités et des modes actifs ; celui – non des moindres – du financement de cette programmation et des moyens qui lui seront alloués.

Installé en 2017 lors des Assises de la mobilité, avec pour mission de proposer au Gouvernement une stratégie en matière d'investissements, le Conseil d'orientation des infrastructures, comme la commission mobilité 21 avant lui, a su dresser l'état des lieux et prioriser les besoins. L'article 1er C pérennise cette instance d'expertise et de proposition, qui veillera à l'exécution des objectifs du présent projet de loi, grâce notamment aux parlementaires qui y siégeront.

Le rapport annexé confirme l'objectif d'achèvement des grands itinéraires routiers, ferroviaires et fluviaux, rappelant le choix du Gouvernement de se fonder sur le scénario 2 défini par le Conseil d'orientation des infrastructures – le COI – dans son rapport de janvier 2018. Ce scénario privilégie la mise en oeuvre des priorités de restauration et de modernisation du patrimoine et d'amélioration des mobilités du quotidien pendant une dizaine d'années à un niveau d'ambition élevé, en rupture avec les pratiques antérieures, centrées, on l'a vu, sur les grands projets.

Au Sénat, puis à l'Assemblée nationale lors de l'examen du texte en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, les velléités d'allonger la liste des projets prioritaires ou d'inscrire certains projets particuliers dans la loi ont été contenues. Je m'en félicite car les travaux du COI sont le fruit de mois voire d'années d'observation et d'analyse fine du réseau national et des besoins d'infrastructures. Aussi, sans trahir le suspense, j'émettrai un avis défavorable sur tout amendement qui fragiliserait ces équilibres.

Vient également la question du financement de cette programmation et de la trajectoire des dépenses de l'AFITF, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France. L'effort conséquent d'investissement de l'État dans les transports – près de 28 milliards d'euros sur dix ans – appelle une sécurisation des ressources affectées à l'AFITF et des recettes complémentaires.

Nous partageons, je crois, la volonté d'aboutir à des orientations claires en matière de financement des infrastructures et que rendez-vous soit pris pour les lois de finances. Les événements récents, lorsque les recettes des amendes radar affectées à l'Agence ont connu une baisse brutale, nous l'ont durement rappelé : certaines composantes des ressources de l'AFITF sont bien trop incertaines. Nous serons, comme nos collègues sénateurs, attachés à la pérennité des ressources de l'AFITF et attentifs à la sincérité du financement de cette programmation. C'est la raison pour laquelle nous poursuivrons dès aujourd'hui avec le Gouvernement nos réflexions sur les moyens de consolider et d'augmenter ses recettes.

Le Sénat a d'ailleurs proposé, comme première base, le principe de l'affectation intégrale à l'AFITF du produit de l'augmentation de la TICPE de 2 centimes d'euro par litre sur le gazole pour les véhicules légers et de 4 centimes pour les poids lourds, instaurée par la loi de finances de 2015, qui compensait l'abandon de l'écotaxe. Plusieurs amendements discutés en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire ont également permis d'avancer dans ce domaine. D'ores et déjà, sur proposition de votre rapporteure, nous avons adopté le principe du versement à l'AFITF du surplus de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite « taxe Chirac ». Cette disposition, d'une portée financière non négligeable puisqu'elle devrait permettre de dégager 30 millions à 50 millions d'euros par an, revêt surtout une portée symbolique forte puisque nous marquons la participation du secteur aérien, à fort impact environnemental, au financement des infrastructures et au développement des mobilités propres.

Au-delà, certaines mesures dépendent, nous le savons, de décisions prises au niveau européen et d'accords internationaux. Le Président de la République a souhaité que la France soit en pointe sur ces sujets et mène une action résolue. Nous aurons, dans ce cadre, à évoquer des dispositions relatives notamment au transport aérien.

En conclusion, sur ce titre du projet de loi et son rapport annexé, les modifications apportées par le Sénat me semblent traduire une adhésion globale quant aux objectifs, même si la Haute Assemblée a souhaité en modifier par endroits l'ordre et la formulation. Ces évolutions montrent que chacun a su s'affranchir des postures – ce dont je me félicite – et travailler en se fondant sur des priorités communes qui doivent, sur le fond, pouvoir faire consensus. C'est d'ailleurs le sentiment qui ressort des nombreuses auditions que j'ai menées avec les acteurs de la mobilité. Permettez-moi de saluer ici la concertation menée par Mme la ministre avec les exécutifs locaux, notamment les présidents de régions, qui a permis de dégager des diagnostics et des priorités partagés.

Par le passé, les politiques de transports se sont beaucoup trop souvent traduites par des renoncements et des échecs. Ce texte, par son pragmatisme et son volontarisme, constitue un atout majeur pour réussir une politique de mobilité proche du quotidien de nos concitoyens. C'est un acte politique inédit et fort que celui de soumettre pour la première fois au Parlement une programmation des investissements dans les transports. Après les échanges très riches qui ont eu lieu en commission, c'est en toute confiance et avec un certain enthousiasme que je m'engage avec vous dans l'examen de ce texte.

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