Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, comme chaque printemps, je suis très heureux de venir devant votre commission pour vous présenter plusieurs travaux produits par la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques, à la demande du législateur organique. Ils visent à éclairer la discussion du projet de loi de règlement pour 2018, que vous allez engager dans quelques jours.
Je suis accompagné, ce matin, de Raoul Briet, président de la 1ère chambre de la Cour, de Michèle Pappalardo, présidente de chambre et rapporteure générale, de Christian Charpy et Emmanuel Belluteau, présidents de section, et de Cécile Fontaine, conseillère-maître. François Monier représente le Haut Conseil des finances publiques, dont il est le rapporteur général.
Mon propos portera successivement sur trois documents qui viennent de vous être remis : l'acte de certification des comptes de l'État pour 2018, le rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2018 et l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques, présenté dans le projet de loi de règlement.
J'appelle dès à présent votre attention sur la différence de périmètre de ces trois travaux : l'acte de certification et le rapport sur l'exécution du budget de l'État ne concernent que les comptes et le budget de l'État, quand l'avis du Haut Conseil porte sur l'ensemble des finances publiques.
Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, dont le périmètre couvre lui aussi l'ensemble des administrations publiques (APU), vous sera adressé le mois prochain et prolongera les analyses qui vous sont présentées aujourd'hui.
Avant de vous détailler le contenu de ces documents, je voudrais dire un mot du calendrier de publication de ces trois travaux. Ils vous sont remis une quinzaine de jours plus tôt qu'à l'accoutumée, puisque, cette année encore, la date de dépôt du projet de loi de règlement a été avancée d'une semaine. Le ministre de l'action et des comptes publics a d'ailleurs indiqué souhaiter que, d'ici à 2021, ce dépôt ait lieu à la mi-avril, afin que l'examen du projet de loi intervienne lors de la présentation du programme de stabilité.
Ce changement de calendrier répond à une préoccupation qui me semble particulièrement vertueuse, celle de vous permettre de consacrer davantage de temps à l'examen du projet de loi de règlement. Vous avez souhaité, vous aussi, renforcer cette étape essentielle du calendrier budgétaire, en mettant en place, depuis l'an dernier, un Printemps de l'évaluation. Nous ne pouvons que souscrire à cette initiative, qui permettra, à terme, à la loi de règlement de devenir une véritable « loi de résultats » et, ainsi, un temps fort de l'évaluation et du contrôle parlementaires. C'est un souhait que j'avais d'ailleurs formulé devant vous l'année dernière, lorsque je suis intervenu, au mois de juin, dans l'hémicycle.
Néanmoins, si un tel resserrement du calendrier est bienvenu, il ne doit pas affecter les conditions de réalisation des travaux de la Cour. Ceux-ci dépendent, en effet, de la complète disponibilité des éléments d'informations statistiques, budgétaires et comptables fournis par les services du ministère de l'action et des comptes publics et nécessaires à la réalisation de nos diligences de contrôle et de certification.
Or, dès cette année, le resserrement du calendrier de dépôt du projet de loi de règlement a posé quelques difficultés. Ainsi, le Haut Conseil des finances publiques a été conduit à formuler son avis avant que l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ne publie les premiers résultats des comptes annuels de 2018, nécessaires au calcul du solde structurel des administrations publiques.
En l'occurrence, ces résultats ont été publiés vendredi dernier, soit quelques jours après la parution de l'avis du Haut Conseil. Ces nouvelles données vont conduire à de légères modifications des chiffres figurant dans l'avis. Compte tenu de ces modifications, le Haut Conseil prévoit de publier dans les jours qui viennent un avis rectifié, cohérent avec un éventuel amendement du Gouvernement.
À l'avenir, l'avancement du calendrier du dépôt de la loi de règlement devra donc nécessairement aller de pair avec celui de la mise à disposition de toutes les données statistiques, budgétaires et comptables produites à cette occasion par les ministères économiques et financiers. Elles sont nécessaires aux juridictions financières pour réaliser les travaux que lui a confiés le législateur organique dans les meilleures conditions et en préservant un délai raisonnable d'instruction.
Cette précaution ayant été formulée, j'en viens au contenu des trois documents qui vous ont été remis. Je commencerai par l'acte de certification des comptes de l'État pour l'exercice 2018.
J'insisterai en particulier sur trois éléments.
D'abord, il me semble utile de rappeler quelques chiffres clés, relatifs à la situation financière de l'État présentée dans son compte général. Les états financiers mettent en lumière la situation nette fortement négative des comptes de l'État, à hauteur de 1 296 milliards d'euros, au 31 décembre 2018. Ce chiffre correspond à près de quatre années de produits fiscaux. En 2006, lors du premier exercice de certification conduit par la Cour, la situation nette des comptes de l'État en représentait la moitié, c'est-à-dire « seulement » deux années. Cela traduit bien la détérioration de la situation financière de l'État qui s'est opérée ces dernières années et que nous avons eu l'occasion de documenter à de nombreuses reprises.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire il y a un an, je crois donc utile d'insister à nouveau sur le fait que le passif de l'État représente plus du double de son actif, c'est-à-dire que ce que l'État doit représente plus de deux fois ce qu'il possède et, ce, sans même tenir compte de ses engagements hors bilan, qui atteignent un peu plus de 4 000 milliards d'euros.
Sur le fond, ensuite, l'acte de certification confirme la poursuite de la démarche de fiabilisation des comptes de l'État que nous constatons année après année.
Ainsi, les améliorations réalisées en 2018 permettent de lever quatorze parties des réserves formulées sur les comptes de l'exercice passé. On peut citer, à titre d'exemples, les progrès réalisés dans l'estimation de la valeur du parc immobilier de l'État à l'étranger ou de celle des établissements publics de santé.
Comme en 2017 et en 2016, la Cour a donc certifié les comptes de l'État sous quatre réserves substantielles.
La première est systémique : en dépit de quelques progrès, dont l'acte rend compte, la Cour considère que les modalités de tenue de la comptabilité générale de l'État dans Chorus et l'efficacité encore insuffisante de son contrôle interne entraînent une limite générale dans l'étendue des vérifications que le certificateur doit conduire.
Les trois autres réserves concernent différentes anomalies, portant respectivement sur les stocks militaires et les immobilisations corporelles, les immobilisations financières et les produits et charges régaliens.
Depuis treize années que les comptes de l'État sont certifiés, nous sommes donc parvenus au stade où ne demeurent que des réserves substantielles, dont nous savons que l'érosion sera lente. Elle sera facilitée par la qualité du dialogue noué entre le certificateur et la direction générale des finances publiques (DGFiP) qui est, dans ce domaine, notre principal interlocuteur. Ce dialogue vise autant à traiter les réserves persistantes qu'à prendre en compte les nouveaux sujets qui apparaissent inévitablement à mesure que les politiques publiques évoluent, que les comptes sont plus faciles à auditer et que les travaux de certification progressent.
À cet égard – et ce sera mon dernier point – il me semble utile de vous indiquer que la Cour dresse cette année le constat général d'une relance de la dynamique de fiabilisation des comptes de l'État, dont nous souhaitons naturellement qu'elle se poursuive.
Les échanges noués avec la DGFiP ont ainsi été très constructifs tout au long de l'année passée, et nous nous en réjouissons. Un planning et une feuille de route ont par exemple été établis à l'automne 2018 pour rechercher les moyens de simplifier, à la fois la production et l'audit des comptes, et de moderniser les modalités de relations entre l'administration et le certificateur. Notre objectif commun – plus largement – est de faire en sorte que les données de comptabilité générale soient plus facilement utilisables et plus utiles, pour les gestionnaires, mais aussi pour vous-mêmes.
La qualité de ce dialogue est en tout cas de bon augure pour le traitement des vingt-cinq constats d'audit énoncés par l'acte de certification. Ce dialogue devra aussi trouver à s'appliquer à l'identification de toutes les conditions à remplir pour accélérer le calendrier de production des comptes tout en préservant ses conditions d'examen par la Cour.
J'en viens à la présentation des conclusions de notre rapport sur l'exécution du budget de l'État. Comme l'année dernière, j'aurai aussi l'occasion de présenter ces conclusions le 17 juin dans l'hémicycle et de formuler un certain nombre de messages, plus généraux, sur la situation de nos comptes publics.
Je commencerai par émettre à nouveau une précision méthodologique : outre le changement de calendrier que j'ai évoqué en introduction, nous avons aussi procédé cette année à une adaptation du format et du contenu des soixante-six notes d'exécution budgétaire qui accompagnent ce rapport. Nous en étions convenus ensemble l'année dernière, lors de la remise du rapport sur l'exécution budgétaire de 2017. Par ailleurs, ces notes vous ont été transmises dès le 2 mai, c'est-à-dire juste après votre réception des rapports annuels de performance, pour vous permettre, ainsi, d'étudier plus en amont de l'examen du projet de loi de règlement.
Sur le fond, les modifications portées aux notes d'exécution budgétaire répondent à différents souhaits que vous avez exprimés. Ils visaient notamment à disposer de davantage d'analyses par programme, à avoir plus de problématisation et de profondeur historique, et à donner une image plus complète des moyens consacrés à chaque politique publique. Il est prévu que ce processus d'amélioration se déroule sur deux exercices ; nous serons donc particulièrement attentifs à l'appréciation que vous porterez sur les changements qui ont été effectués cette année et à vos éventuelles propositions d'évolution pour l'année prochaine.
Nous y serons d'autant plus attentifs que ces notes constituent, je crois, un outil de travail particulièrement précieux pour appréhender l'exécution budgétaire de chaque mission.
Certaines notes sont d'ailleurs susceptibles de vous intéresser tout particulièrement ; je pense par exemple à la note consacrée à la mission Cohésion des territoires, qui identifie une baisse de 1,2 milliard d'euros sur les dépenses d'aide au logement entre 2017 et 2018, suite aux mesures d'économies décidées dans ce secteur. Ou à la note consacrée à la mission Écologie qui présente l'analyse budgétaire liée à la généralisation du chèque énergie, en remplacement des tarifs sociaux du gaz et de l'électricité destinés aux ménages modestes.
Je pourrai multiplier les exemples tant ces travaux sont denses et riches. Sachez en tout cas que la Cour se tient à votre disposition pour vous apporter, selon les missions qui vous intéressent, les éclairages complémentaires qui vous sont utiles. Je sais d'ailleurs que des rapporteurs spéciaux ont d'ores et déjà souhaité entendre des équipes de la Cour pour approfondir certains éléments développés dans les notes d'exécution budgétaire, et je m'en réjouis. Ce qui fait passer notre indicateur du nombre d'auditions de quarante à près de quatre-vingt-dix.
Sur le fond, le rapport qui vous est remis comporte trois grands axes.
Le premier détaille les conditions d'exécution du budget de l'État en 2018. Nous constatons notamment que celle-ci s'est faite de manière plus maîtrisée qu'en 2017.
Le deuxième axe, plus structurel, approfondit la situation singulière du budget de l'État par rapport à l'ensemble des administrations publiques : après trois années de quasi-stabilité, le déficit de l'État s'est creusé en 2018, alors que le solde des administrations publiques connaissait une évolution contraire.
Le troisième axe de ce rapport consiste, au-delà de l'analyse de la gestion 2018, à souligner la complexité croissante et le manque de lisibilité du budget de l'État, et à dresser un bilan du dispositif de performance établi par la LOLF.
Je commencerai par restituer les principaux constats ayant trait à l'exécution du budget de l'État au cours de l'année 2018.
D'un point de vue qualitatif, la Cour fait état d'améliorations incontestables par rapport à l'exercice 2017, dont l'exécution s'était révélée particulièrement heurtée. Le rapport établit notamment qu'en 2018, les mises en réserve de crédits ont été circonscrites, la gestion infra-annuelle normalisée, les reports de charges et de crédits contenus et les normes de dépenses tenues.
Cette situation tient pour une part importante à l'amélioration de la qualité de la budgétisation initiale et de la programmation des dépenses : les sous-budgétisations se sont ainsi limitées à 1,5 milliard d'euros en 2018, contre 4,4 milliards d'euros en 2017.
Grâce aux efforts entrepris, aucun décret d'avance n'a été nécessaire en cours de gestion, alors que les exercices précédents en avaient connu deux ou trois. Les annulations et ouvertures de crédits comptent également parmi les plus basses, depuis l'entrée en vigueur de la LOLF. La Cour salue tout particulièrement le faible niveau de la réserve, puisque le taux de mise en réserve est passé de 8 % en 2017 à 3 % en 2018. Nous ne pouvons évidemment que souhaiter que cet effort de maîtrise de l'exécution budgétaire se poursuive au cours des prochains exercices.
Mais, malgré ces satisfécits, quelques pratiques de gestion critiquables persistent. Le rapport signale, par exemple, le maintien de sous-budgétisations dans le domaine des opérations extérieures, à hauteur de 600 millions d'euros. Il relève également l'utilisation inappropriée de la dotation pour dépenses accidentelles ou imprévisibles, qui a principalement couvert une sous-budgétisation de 100 millions d'euros liée au mécanisme européen de stabilité (MES).
D'un point de vue quantitatif, le rapport formule un certain nombre d'observations quant aux résultats de la gestion achevée.
S'agissant des dépenses, la Cour relève que, par rapport à 2017, les dépenses de l'État ont continué à progresser, à hauteur de 0,9 % sur le périmètre de la nouvelle norme de dépense pilotable. Le rythme de progression des dépenses du budget général a pour sa part été limité à 0,3 %, contre 3,2 % sur un périmètre équivalent l'année dernière.
La progression des dépenses en 2018 résulte de l'augmentation significative des dépenses de personnel, qui se sont accrues de 2 % entre 2017 et 2018, malgré une stabilisation des effectifs. Cela tient notamment à l'effet, en 2018, des recrutements effectués en 2017, et aux mesures salariales intervenues alors, telles que l'application du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR). Par ailleurs, même si la croissance de la masse salariale a légèrement ralenti par rapport à 2017 – + 2 % contre + 3,4 % –, elle demeure supérieure à la moyenne de l'évolution constatée entre 2008 et 2017. En définitive, les dépenses de personnel représentent désormais près de 39 % des dépenses du budget général.
S'agissant des recettes, les recettes totales de l'État ont été nettement plus élevées que la prévision initiale établie en loi de finances initiale (LFI) : + 8,7 milliards d'euros. Parmi ces recettes, ce sont les recettes fiscales nettes qui ont connu une exécution plus forte qu'attendu – + 8,8 milliards d'euros.
Bien qu'en hausse par rapport à la prévision, parce que l'évolution spontanée des recettes a été dynamique – + 13 milliards d'euros –, les recettes fiscales sont toutefois en légère baisse par rapport à 2017, notamment en raison des mesures importantes de baisses d'impôts prises en 2018 ou de mesures prises les années précédentes.
Vous le savez en effet, les baisses de prélèvement ont été significatives ces dernières années. Ainsi, pour la seule année 2018, en dépit d'un alourdissement de 4,1 milliards d'euros des recettes provenant de la fiscalité énergétique, les différentes mesures adoptées ont eu un impact net sur les recettes fiscales de moins 16,5 milliards d'euros, dont moins 13,5 milliards d'euros résultant de mesures d'allégement fiscal.
Même si elles sont plus élevées que les prévisions initiales, les recettes nettes totales de l'État accusent donc une baisse d'un milliard d'euros par rapport à 2017. Cette baisse aurait d'ailleurs dû atteindre 3,8 milliards d'euros si des recettes de droits de mutation en 2017 n'avaient pas été imputées à tort sur 2018, ce que nous avions déploré l'année dernière, dans la précédente édition du rapport sur le budget de l'État.
Grâce à des recettes plus élevées qu'anticipées, le déficit de l'État a été relativement contenu par rapport à la prévision établie en loi de finances initiale. Il atteint en effet 76 milliards d'euros soit 9,6 milliards d'euros de moins que le niveau fixé en LFI.
Mais ce constat ne doit pas occulter la trajectoire d'évolution et l'ampleur du déficit de l'État.
À un tel niveau, le déficit de l'État représente en effet 23,4 % des dépenses nettes du budget de l'État, c'est-à-dire 4 milliards d'euros de plus que les dépenses de la mission Enseignement scolaire et 3 milliards de plus que les recettes de l'impôt sur le revenu. Surtout, et pour la première fois depuis 2014, le déficit de l'État est en hausse par rapport à l'année précédente, à hauteur de 8,3 milliards d'euros
La trajectoire de l'État diverge donc de celle de l'ensemble des administrations publiques. En effet, le déficit de l'État en comptabilité nationale a atteint près de 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2018. Il est, de ce fait, nettement supérieur au déficit de l'ensemble des administrations publiques, qui a baissé de 0,3 point en 2018, pour s'établir à 2,5 %. En conséquence, alors que la dette de l'ensemble des APU se stabilise à 98,4 points de PIB, celle de l'État progresse, atteignant 78,3 points de PIB, soit 1,2 point de PIB de plus que l'année passée.
Au regard de cette situation contrastée, nous avons souhaité approfondir l'analyse du rôle particulier de l'État au sein des administrations publiques : c'est l'objet du second message délivré dans ce rapport.
L'explication des divergences observées entre la situation de l'État et celle de l'ensemble des administrations publiques ne se trouve pas du côté des dépenses, dont l'augmentation, quelle que soit l'approche retenue, a tendance à ralentir. Le facteur explicatif se trouve plutôt dans la politique suivie en matière de recettes et, plus particulièrement, de recettes fiscales.
En effet, l'État définit la politique de prélèvements obligatoires, non seulement pour ses propres impôts – l'impôt sur le revenu, la taxe sur la valeur ajoutée ou encore l'impôt sur les sociétés –, mais aussi pour les ressources des collectivités territoriales et de la sécurité sociale. Ainsi, les baisses de prélèvements destinées à améliorer la compétitivité des entreprises ou à augmenter le pouvoir d'achat des ménages prennent notamment la forme de mesures relevant de la sécurité sociale, comme la suppression de cotisations salariales maladie et chômage, ou des collectivités locales, telles que le dégrèvement de la taxe d'habitation, qui font l'objet de compensations pesant sur le budget de l'État.
C'est donc le budget de l'État qui supporte l'essentiel du coût net des baisses de prélèvements, alors que ces baisses portent sur les recettes de toutes les administrations publiques.
Or, l'État ne peut pas réduire ses propres dépenses à due concurrence des baisses de prélèvements opérés sur l'ensemble des administrations publiques, d'autant plus qu'il porte aussi la charge d'intérêt sur 80 % de la dette publique.
Nous tirons de cette situation trois enseignements.
Le premier enseignement, c'est qu'il faut veiller à ce que l'effort de baisse des impôts soit proportionné à l'effort de baisse de la dépense.
Ensuite, qu'il faut que cet effort de maîtrise de la dépense soit réparti sur l'ensemble du champ des administrations publiques et non du seul État.
Enfin, et c'est le troisième enseignement, que, si nécessaire et notamment si l'on souhaite réduire plus rapidement le déficit du budget de l'État, le partage des recettes et des charges entre l'État et les autres secteurs d'administrations publiques mérite de faire l'objet d'un réexamen.
J'en viens au troisième et dernier message-clé figurant dans ce rapport. Il concerne la complexité croissante du budget de l'État, ainsi que les limites de la démarche de performance mise en oeuvre par la LOLF.
Ce n'est pas un constat spécifique à la gestion budgétaire observée en 2018, néanmoins, nous avons souhaité y accorder des éléments d'analyse plus substantiels, qui intéresseront tout particulièrement les rapporteurs de la mission d'information relative à la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF) qui ont initié des travaux de bilan de cette loi organique à l'approche de son vingtième anniversaire.
J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'être entendu dans ce cadre devant votre commission, au mois de mars. Je vous ai indiqué alors que la Cour se tiendrait à la disposition de la mission d'information dans la suite de ses travaux. Elle a déjà prévu d'entendre de manière informelle le président Briet et Cécile Fontaine qui m'accompagnent, le 27 juin prochain. De notre côté, comme je vous l'avais indiqué en mars, la Cour a programmé l'année prochaine la réalisation d'un rapport public thématique consacré au bilan de la LOLF, comme elle l'avait fait en 2011. S'il est nécessaire d'ajuster notre calendrier en fonction de vos souhaits, nous pourrons, bien évidemment, y réfléchir.
J'en reviens à la question de la complexité du budget de l'État. Vous le constatez au quotidien, la dépense de l'État constitue un agrégat hétérogène, peu lisible et instable. Il est extrêmement complexe, sinon parfois impossible, de parvenir à en délimiter précisément les contours et à en apprécier les évolutions.
Cette complexité tient pour partie aux entorses persistantes faites aux grands principes budgétaires, tout particulièrement au principe d'universalité. Bien souvent en effet, les démembrements du budget de l'État conduisent à ce que les crédits budgétaires ne retracent qu'une partie, finalement très réduite du financement de certaines politiques publiques.
En conséquence, si l'on cherche à analyser la dépense de l'État sur le seul périmètre du budget général, on a une réelle difficulté à retracer des évolutions pertinentes et à appréhender la totalité des concours publics qui financent une activité déterminée.
Nous avions choisi l'année dernière de nous intéresser à l'un des outils portant atteinte à la cohérence du cadre budgétaire, les fonds sans personnalité juridique. Le rapport sur l'exécution du budget de l'État pour 2018 réitère ces analyses, en présentant de façon détaillée l'un de ces spécimens, le fonds pour l'innovation et l'industrie, créé en 2018.
Il constitue une bonne illustration des critiques que nous avons formulées sur les fonds sans personnalité juridique, qui font anormalement échapper, au champ de l'autorisation parlementaire et des règles qui s'y appliquent, des crédits qui pourraient parfaitement être autorisés et gérés chaque année en utilisant le cadre budgétaire normal de la LOLF. En l'espèce, le rapport formule une recommandation visant à substituer à ce fonds pour l'innovation un dispositif de soutien à l'innovation inclus dans le budget général.
Nous avons également consacré des développements substantiels aux dépenses fiscales, dont le coût a continué à progresser en 2018, de 6,7 milliards d'euros, par rapport à 2017. Leur montant atteint ainsi près de 100 milliards d'euros, pour l'année 2018. Depuis 2013, le coût des dépenses fiscales a progressé de près de 5,6 % par an, soit 1,8 % si l'on exclut l'effet du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Les dispositifs nouveaux se sont ainsi multipliés, sans que les dispositifs existants ne soient réexaminés. J'ajouterai que le plafonnement de ces dépenses demeure inopérant et leur évaluation lacunaire.
Vous êtes, si j'ose dire, les principales victimes des problèmes de fond que je viens successivement d'évoquer. Ils ont en effet pour conséquence de limiter la portée de l'autorisation parlementaire et, plus largement, de réduire la capacité du Parlement à appréhender, dans leur globalité, les enjeux financiers associés à l'action de l'État, notamment sur une longue période. Aussi, nous souhaitons bien évidemment que les différentes recommandations que nous formulons dans ce rapport puissent progressivement remédier à cette situation.
J'en viens aux observations que nous établissons sur la démarche de performance. Le chapitre qui lui est consacré permet de dresser un bilan globalement décevant des réalisations portées par la LOLF en la matière.
En réalité, il confirme une perception que nous avions déjà : la culture de la performance dans la gestion publique est une greffe qui n'a pas encore parfaitement pris. Nous en relevons plusieurs symptômes, tels que le caractère surabondant et peu utilisé de la documentation budgétaire.
Sur le temps long, nous observons aussi que toutes les démarches de modernisation de l'État – quelles qu'en aient été les appellations – se sont construites à côté de ce dispositif de performance, signe de son caractère peu opérant ou, au moins, de sa faible appropriation par les décideurs publics.
La valeur ajoutée du bilan que nous avons réalisé tient pour partie à l'important travail de parangonnage effectué par les rapporteurs. Je sais que c'est un point d'attention et d'intérêt important pour la mission d'information relative à la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF). Ce travail permet, en effet, de replacer l'expérience française parmi celles de nos voisins étrangers. Nous avons également procédé à une consultation en ligne des responsables de programme, riche d'enseignements. Vous pourrez prendre connaissance de ces différents éléments en annexe du rapport qui vous a été remis.
Globalement, si notre analyse nous conduit à dresser un bilan décevant de la démarche de performance, ce bilan ne doit pas conduire à céder au découragement. Car la LOLF a clairement permis de faire bouger les lignes, et de dépasser la seule logique de moyens qui lui préexistait. Il est vrai, par ailleurs, que le contexte budgétaire, particulièrement tendu qui a prévalu à partir de 2008, a fortement raccourci l'horizon des gestionnaires et rétréci leurs marges de manoeuvre et qu'il a, ainsi, en partie annihilé les effets positifs du dispositif de performance promu par la LOLF.
S'il n'est donc pas souhaitable de revenir en arrière, notre rapport propose un certain nombre de pistes de refondation de ce dispositif.
D'abord, mieux distinguer les objectifs stratégiques, de niveau politique, et les objectifs de gestion fixés aux responsables de programmes, car un gestionnaire ne peut être tenu pour responsable que de ce sur quoi il a de vraies marges de manoeuvre.
Ensuite, conduire, en complément de ce dispositif, des revues de dépenses et des évaluations de politiques publiques de façon régulière et selon un programme prévu dans la loi de programmation des finances publiques et présenté au Parlement, comme le font la plupart des partenaires de la France.
Enfin, rendre de vraies marges de gestion aux responsables de programme, en leur redonnant des perspectives de moyen terme par un renouveau des dispositifs de contractualisation et de fongibilité.
J'achèverai mon propos en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter en quelques mots l'avis que le Haut Conseil vient de formuler sur le projet de loi de règlement.
Cet avis est rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques de décembre 2012. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit, à cette occasion, comparer l'exécution constatée en 2018 avec la trajectoire de solde structurel, définie dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022. Pour rappel, ce solde correspond au solde nominal, corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.
En l'espèce, l'avis formule deux constats.
Le premier porte sur le niveau du déficit structurel. Alors qu'il s'élevait à 2,4 points de PIB en 2017, le déficit structurel, tel qu'il est présenté dans l'article liminaire du projet de loi de règlement qui nous a été communiqué le 24 avril, est estimé à 2,1 points de PIB en 2018. Les graphiques que vous voyez défiler retiennent ces chiffres, qui correspondent à ceux figurant dans notre avis et qui nous ont été présentés avant la publication des comptes annuels de l'INSEE.
Le Haut Conseil a constaté dans son avis que le solde structurel estimé pour 2018 était identique à celui prévu par la loi de programmation des finances publiques promulguée en janvier 2018. Cependant, comme je l'ai indiqué en introduction, cette estimation va évoluer à la suite de la publication par l'INSEE de nouvelles données.
Selon les estimations dont nous disposons, il semblerait que le déficit structurel soit légèrement revu à la hausse et, donc, que le solde structurel soit un peu plus dégradé que celui inscrit en LPFP, et ce, d'un peu plus de 0,1 point. Le solde structurel estimé pour 2018 ne serait ainsi plus identique à celui prévu par la LPFP, même s'il en serait proche.
La conclusion du Haut Conseil n'en serait toutefois pas modifiée, et dans tous les cas, il n'y a pas lieu de déclencher le mécanisme de correction prévu par la loi organique de décembre 2012.
Je rappelle que la mise en oeuvre de ce mécanisme est prévue lorsqu'un écart de solde structurel par rapport à la loi de programmation atteint au moins 0,5 point de PIB sur une année donnée, ou 0,25 point de PIB par an en moyenne sur deux années consécutives.