Je commencerai à répondre à ces nombreuses questions, et le président Briet complétera mes propos, sachant que de nombreuses questions se recoupent et portent sur des préoccupations communes.
Par ailleurs, il ne m'appartient pas de répondre à un certain nombre de commentaires qui ont été formulés, et certaines de vos questions s'adressent, non pas au Premier président de la Cour des comptes que je suis, mais au Gouvernement. Enfin, je répondrai à d'autres de vos questions quand je vous présenterai le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. En effet, là, nous allons raisonner toutes administrations publiques (APU) confondues, et entrer davantage dans le détail que n'a pu le faire, parce que ce n'est pas sa mission, le Haut Conseil des finances publiques, qui a une mission bien particulière. Même si nous avons eu l'occasion de dire que nous aurions souhaité que le mandat du Haut Conseil des finances publiques puisse être plus explicite en matière d'appréciation, de la cohérence du schéma de finances publiques, qui est présenté en complément du scénario macro-économique.
S'agissant du calcul de la croissance de la dépense publique en volume, que vous avez évoqué, monsieur le président, mais aussi d'autres députés, l'indice des prix à la consommation, hors tabac, est le déflateur plus traditionnel qui est retenu pour la dépense publique. Il est vrai qu'il présente un certain nombre d'avantages, il est bien identifié, y compris par le grand public. Il ne peut plus être révisé, une fois l'année terminée, et il est cohérent avec les évolutions de nombreuses dépenses publiques qui sont indexées justement sur ce déflateur prix ; et en particulier toutes les prestations sociales.
Mais il présente aussi des inconvénients. Le plus important, c'est qu'il un peu plus sensible au prix de certains produits importés, et notamment du pétrole. Ce qui lui a parfois valu des fluctuations importantes au cours des dernières années, sans grand rapport avec la dépense publique.
Pourquoi le Haut Conseil raisonne-t-il à partir de cet indicateur ? C'est tout simplement parce que, selon lui, il correspond davantage aux fondamentaux de la richesse produite dans le pays, même si toutes ces évolutions ne sont pas toujours faciles à interpréter. Il est par ailleurs cohérent avec le calcul de l'effort en dépenses, qui est une composante de l'effort structurel. Ce sont les raisons pour lesquelles, le Haut Conseil raisonne à partir de ces deux éléments de comparaison.
Vous avez raison, monsieur le président, les recettes fiscales de l'État sont plus sensibles à la croissance du PIB que celles de l'ensemble des APU. L'élasticité des recettes fiscales de l'État a été de 1,8, en 2018, et de 1,2 pour l'ensemble des APU.
L'IR et l'IS, qui représentent plus d'un tiers des recettes fiscales de l'État, sont bien évidemment particulièrement sensibles à la conjoncture ; davantage, par exemple, que les cotisations sociales. L'État est plus exposé à l'évolution de la conjoncture que les autres administrations publiques. Il existe une explication, que nous évoquons dans le rapport, sur les écarts entre exécution et prévision.
Plus généralement, je pourrais dire que, si les écarts entre les prévisions et les exécutions de recettes sont d'une certaine façon inévitables, nous relevons qu'en France, cet exercice de prévision est un exercice strictement interne au ministère des finances, alors que dans beaucoup d'autres pays, il associe des parties tierces à ces prévisions. De fait, il peut y avoir moins d'écart. Et puis, faute de transparence ex ante sur le processus de prévisions, les écarts, quand il y en a, effectivement, pourraient être mieux expliqués ex post. Notamment dans le projet de loi de règlements et dans les annexes du PLF. Cela fait l'objet d'une recommandation de la Cour, parce que ce n'est pas toujours fait au niveau des gouvernements.
Concernant la démarche de performance, nous partageons ce que vous avez dit monsieur le président, et un certain nombre de députés, le dispositif a déçu, effectivement, par rapport à celui mis en place par la LOLF et aux attentes.
Il faut cependant reconnaître que, lorsque nous comparons avec ce qui se passe dans d'autres pays, nous voyons bien les difficultés qu'il y a à apprécier les dispositifs de performance et leur utilisation dans ces pays. C'est la raison pour laquelle, qu'un certain nombre de pays ont réduit leur nombre d'indicateurs, les ont dissociés entre les objectifs stratégiques et les objectifs de gestion. Mais surtout, ils ont accompagné le dispositif de performance par des dispositifs de revue de dépenses systémiques.
Ils ont fait en sorte d'intégrer les revues de dépenses au processus budgétaire annuel, ce qui n'est pas le cas en France. Et c'est en fait à ces deux conditions que le dispositif de performance peut être utile pour renforcer l'efficacité et l'efficience de la dépense publique ; c'est l'objet d'une recommandation que nous formulons.
Bien entendu, les indicateurs doivent être relativement stables, sinon cela ne permet pas d'apprécier l'évolution d'une politique publique sur une période donnée, mais de temps en temps, nous devons pouvoir ajuster.
Ce que nous constatons, c'est que les résultats ne sont que peu examinés, rarement utilisés, très peu analysés pour en tirer des conséquences en termes de réforme de l'action de l'action publique.
Nous souhaitons pouvoir continuer cet échange avec vous, éventuellement dans le cadre de la MILOLF, et bien évidemment avec le Gouvernement.
Sur le principe de l'universalité budgétaire, vous êtes plusieurs à avoir insisté sur cette question. Si nous insistons sur ce point, c'est tout simplement parce que cela nuit à la capacité du Parlement à procéder à des arbitrages éclairés et globaux sur le budget de l'État.
Je suis tenté de reprendre la balle au bond, Charles de Courson ayant proposé à la Cour de reconsolider dans le budget de l'État tout ce qui, aujourd'hui, est en sorti. Oui, c'est une idée intéressante. Nous allons voir ce que nous pouvons faire en la matière. C'est ambitieux, mais je pense que cela pourrait effectivement vous être très utile.
Cette évolution est le fruit d'un contexte, celui de difficultés financières qui exigent des arbitrages difficiles. Dans le cadre de ces arbitrages, des mesures sont prises pour tenter de réguler la dépense. D'où l'imagination utilisée pour exploiter tous les points de fuite possibles, au motif de sanctuariser un certain nombre de dépenses auxquelles les responsables politiques tiendraient ; j'avoue que j'ai quelque difficulté à comprendre cette argumentation.
Mais rien n'empêche un gouvernement de considérer que des dépenses, parce qu'elles sont prioritaires, ne font pas l'objet de régulation budgétaire. D'une certaine façon, c'est un manque de confiance en soi extraordinaire, car s'il y a une volonté politique de sanctuariser des crédits, vous devez pouvoir le faire, y compris au sein du budget de l'État. Sortir des dépenses du budget de l'État n'est pas sain : cela encourage des pratiques qui peuvent trop se distinguer des règles qui s'appliquent lorsque les dépenses sont dans le budget de l'État.
C'est la raison pour laquelle nous insistons à chaque fois sur ce sujet. Les parlementaires devraient se saisir de ces recommandations, car il en va de la pertinence de l'autorisation parlementaire comme de celle du contrôle.
Nous nous proposons de supprimer les fonds qui sont devenus sans objet, de réintégrer dans le budget de l'État un certain nombre de ces fonds, ou de les confier à un opérateur, mais dans des conditions plus transparentes.
Cette évolution n'est pas une fatalité, nous l'avons vu, des retours à l'universalité budgétaire sont possibles, l'exemple des PIA, notamment le PIA3, montre qu'il est possible de réintégrer un certain nombre de choses, même si cela n'a pas été fait pour les PIA1 et PIA2.
La question des dépenses fiscales n'est pas simple, parce que, comme l'indiquent la Cour des comptes et le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), dans leurs rapports successifs, il n'existe pas de définition de la norme fiscale. De fait, celle des dépenses fiscales est incertaine et soumise à variation. La définition de la norme et l'élaboration de la liste des dépenses fiscales sont des processus internes au ministère des finances, dont la pertinence est d'ailleurs régulièrement interrogée par la Cour. Et la classification des dispositions dérogatoires, au sein de la liste des dépenses fiscales, fait souvent l'objet de modifications.
Nous avons donc à nouveau appelé l'attention du Gouvernement sur les dépenses fiscales, notamment sur le statut de certaines dépenses fiscales anciennes qui n'ont pas été révisées depuis vingt ans, si bien que, dans certains cas, ces régimes dérogatoires sont devenus avec le temps la norme de calcul de l'impôt – ce qui justifierait leur déclassement.
Tel est le sujet de la frontière entre la norme de calcul de l'impôt et la dépense fiscale, ou ce que nous appelons plus couramment la niche fiscale. C'est un sujet sur lequel le Parlement devrait avoir son mot à dire.
L'autre sujet lourd concernant les dépenses fiscales est celui de leur évaluation, de la réévaluation régulière. Nous avons nous-mêmes procédé à quelques évaluations de certaines dépenses fiscales, notamment de celles en faveur du logement ; ces dernières représentant près de 20 % des dépenses fiscales. Elles ont fait, de notre part, l'objet de constats critiques, puisque nous avons pu noter un effet non avéré de ces dépenses sur la modération des loyers. Un effet non démontré sur le volume des constructions. Un risque inflationniste. Une insuffisance de ciblage, même si un certain nombre de décisions ont pu être adoptées depuis. Un coût d'opportunité relativement élevé, et puis la création d'effets d'aubaine. Autant de critiques vives sur ce type de dépenses fiscales.
Nous avons eu l'occasion de vous remettre un rapport sur la dépense fiscale en faveur du mécénat. Or là aussi, nous avons pu constater que la dépense fiscale n'était pas toujours ni évaluée ni contrôlée, et qu'un certain nombre de mesures – sans remettre en cause la pertinence d'une niche – pouvaient être recommandées en la matière.
Un travail est en cours, auquel nous ne sommes pas associés, mais c'est un sujet que nous suivons depuis longtemps, et régulièrement nous essayons de pointer telle ou telle dépense fiscale pour vous apporter un certain nombre d'éléments d'analyse. Nous le faisons aussi pour le secteur de la sécurité sociale. Nous devrions d'ailleurs créer un chapitre, dans le rapport, sur l'exécution des dépenses de sécurité sociale sur les niches sociales que nous vous présenterons au mois d'octobre.
Autre sujet difficile, celui de la répartition des prélèvements obligatoires entre les différentes APU, et pour lesquels l'État joue le rôle de centrale des déficits. Parce qu'il décide. Et parce qu'il le décide pour le compte des autres. L'État doit se voir dans sa grande dimension ; l'État est responsable toutes APU confondues.
D'ailleurs, dans le programme de stabilité – le président Briet me rappelait les chiffres –, entre 2018 et 2022, une réduction du déficit est programmée de – 2,5 % à – 1,2 % du PIB. En revanche, le déficit de l'État ne se réduit pas, en fait, il est stable. Il est de 3,1 % en 2018, et il est prévu qu'il soit toujours de 3,1 % en 2022.
Comment expliquer, globalement, la diminution du déficit public ? C'est tout simplement parce que les APU et les associations vont bénéficier d'un excédent. Vous ne pouvez pas réduire les déficits, si, d'un côté, la dépense continue d'augmenter, même si vous la maîtrisez davantage, et d'un autre, vous diminuez très sensiblement les prélèvements obligatoires et les impôts. C'est mathématique, nous avons une augmentation du déficit.
Si vous souhaitez réduire les déficits, il convient de proportionner la baisse des recettes à une plus grande maîtrise de l'évolution de la dépense publique. Tous secteurs confondus, et non pas uniquement l'État.
Les rapports de la Cour et ceux des chambres régionales des comptes montrent qu'il existe quelques marges de manoeuvre, au niveau notamment des collectivités territoriales – elles l'ont démontré en 2018 –, mais aussi de la sécurité sociale.
Ensuite, la question, est « jusqu'où compenser ». Je vous répondrai qu'il s'agit d'arbitrages politiques relevant des pouvoirs publics. Nous, nous pointons les sujets en formulant un certain nombre de constats.
S'agissant de la masse salariale, elle augmente effectivement de 2 %. C'est la conséquence de décisions antérieures. L'augmentation de la masse salariale est inférieure à 2017 – puisqu'elle était supérieure à 3 % –, mais il est vrai que, compte tenu des décisions qui ont été prises en 2017, l'augmentation est tout de même plus importante que durant la période 2008-2016.
S'agissant de la certification des comptes, le président Briet complétera, il faut faire attention, l'État n'est pas non plus une entreprise, même si d'ailleurs la certification des comptes de certaines grandes entreprises peut susciter quelques interrogations.
Nous avons émis quelques réserves substantielles, et procédé à quelques éléments de comparaison avec les États-Unis et le Royaume-Uni.
Ce débat s'est imposé dès l'origine, et un certain nombre d'entre vous s'en souviennent. J'ai eu l'occasion de participer à ce débat, à la place qui est la vôtre aujourd'hui. Consensuellement, une position avait été adoptée, de ne pas politiser le débat sur certification ou pas ou certification avec réserves, et je me souviens d'échanges très vifs entre le ministre du budget de l'époque, Jean-François Copé, et le premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin. Les échanges avaient été vifs, il en reste d'ailleurs des souvenirs à la Cour des comptes. L'opposition, dont je faisais partie, avait été associée aux échanges, ce qui avait permis une plus grande sérénité du débat. Le sujet était d'autant plus sensible que la première année d'exécution était une année extrêmement sensible, celle de l'élection présidentielle de 2002.
Ce sujet n'était donc pas facile, et la Cour, sans renoncer aux observations qu'elle devait faire et à son travail de certificateur, avait décidé, à l'époque, de certifier les comptes avec réserves. Il existait d'ailleurs une différence entre les réserves substantielles et les réserves, qui a fait l'objet d'un long débat. Aujourd'hui, ne restent que des réserves substantielles, mais elles sont moins nombreuses – quatre sur les treize initiales.
Ce travail a son intérêt, nous pouvons néanmoins regretter le manque de lien entre cet exercice de certification et l'amélioration de la qualité même de la gestion. La Cour a formulé un certain nombre de propositions sur ces sujets, qui ont fait l'objet d'échanges constructifs avec la DGFiP. ET nous sommes convenus de nous revoir cette année pour définir comment nous pourrions progresser ensemble. Car il nous paraît évident que celui qui tient les comptes et le certificateur doivent pour travailleur ensemble, de manière constructive, sans remettre en cause l'indépendance du certificateur.
Je laisse maintenant la parole au président Briet.