Monsieur Houbron, la question de la sécurité et des fouilles s'est effectivement posée à la suite des graves événements récents. J'ai évoqué les fouilles des détenus : il existe à ce sujet un cadre législatif précis, qui a été d'ailleurs élargi pour permettre des fouilles supplémentaires, mais cela ne suffit visiblement pas aux surveillants, qui procèdent parfois à des fouilles qui ne sont pas légales puisqu'elles sont systématiques. Le problème s'est toujours posé, mais il a récemment pris une acuité nouvelle. Pour les visiteurs, des dispositifs existent : les portiques de détection, la palpation de sécurité, et la fouille si la personne en est d'accord. Il est très difficile d'aller plus loin sinon en installant des portiques à ondes millimétriques, mais outre que cet équipement coûte très cher et qu'il est un peu intrusif, son utilisation ralentirait énormément l'accès des visiteurs à la prison. Si vous êtes arrivés dans une prison en même temps que les visiteurs qui viennent au parloir, vous avez dû constater, comme nous le faisons tous les jours, que des files entières se forment pour entrer ; si chacun doit passer par le portique à ondes millimétriques, l'entrée sera considérablement ralentie. Sur le fond, je ne pense pas qu'il faille aller plus loin, au risque, sinon, de distordre davantage encore l'impératif équilibre entre la sécurité et les droits fondamentaux.
Monsieur Viala, l'impact de la surpopulation carcérale sur les personnels est évident. Les agents travaillent dans des conditions indignes. Ils l'ont fait savoir lors d'un mouvement de très grande ampleur en 2018 et de moins grande ampleur en 2019. À Fresnes, à Nanterre, à Bois-d'Arcy, il y a un surveillant pour cent détenus ! Dans ce contexte, leur travail se réduit à ouvrir et à fermer la porte ; ils n'ont même plus le temps de parler aux détenus pour savoir comment ils vont ou quelles sont leurs demandes. Aussi longtemps que l'on n'aura pas renforcé considérablement l'effectif des personnels, le problème restera entier. De fait, il est double : on augmente le nombre de détenus et on diminue le nombre de surveillants, si bien qu'à un moment le système explose.
Pour ce qui est du plan de construction de prisons annoncé par la garde des Sceaux, j'ai indiqué très tôt, et je maintiens, qu'augmenter constamment le parc ne suffit pas. En trente ans, on a doublé le nombre de places ; pour autant, alors que la délinquance n'a pas sensiblement augmenté, la surpopulation pénale n'a jamais été aussi marquée. Cela signifie que plus on construit de prisons, plus elles sont remplies ; ce n'est donc pas la solution. Mme Taubira, alors qu'elle était garde des Sceaux, avait parlé de 5 000 à 6 000 nouvelles places de prison à équilibrer avec les places à rénover. Cette épure était raisonnable. Annoncer 15 000 places nouvelles, même si elles sont réparties sur deux quinquennats, me semble être une erreur. La construction de prisons nouvelles consomme un budget très important, prélevé sur celui de l'administration pénitentiaire qui, si l'on fait ce choix, ne pourra orienter ses dépenses vers les mesures alternatives à l'incarcération en accroissant beaucoup plus fortement encore le nombre de conseillers d'insertion et de probation (CPIP) pour permettre aux magistrats de disposer d'éléments qu'ils n'ont pas actuellement quand ils statuent.
Mme Florennes m'a demandé les raisons de l'inflation des peines d'incarcération. Je l'explique par le manque de CPIP, par la création de nombreuses infractions depuis vingt ou trente ans, par le fait que les durées de détention sont de plus en plus longues et par la multiplication des détentions provisoires. Il y a quelques années encore, les détenus provisoires constituaient le quart de l'ensemble des détenus ; actuellement, ils en forment le tiers. On place donc de plus en plus en détention provisoire, et je déplore que le rapport sur « le sens et l'efficacité des peines » de M. Bruno Cotte et Mme Julia Minkowski, pourtant commandé par la chancellerie, n'ait pas été suivi d'effet. Ils recommandaient des mesures très intéressantes que je propose depuis longtemps : modifier les règles de la comparution immédiate en empêchant que certaines infractions soient jugées de la sorte d'une part, modifier d'autre part les règles et la durée de la détention provisoire. Cela consisterait par exemple à rectifier certains critères tels que celui du « risque de renouvellement de l'infraction », si fourre-tout que l'on peut considérer qu'il existe dans tous les cas. Il faudrait aussi limiter le nombre de prolongations possibles de la détention provisoire ; si elles étaient interdites pour certains délits de faible importance, je vous assure que cela viderait les prisons. Je regrette donc beaucoup que, dans la partie relative à l'application des peines de la loi de programmation de la justice, le législateur n'ait touché ni à la comparution immédiate ni aux règles de la détention provisoire.
Effectivement, monsieur Morel-à-l'Huissier, le Contrôle général n'a pas de pouvoir d'injonction. C'est le principe pour les autorités administratives indépendantes, dont le rôle est de relever, de dénoncer et de faire des propositions. Comment nous assurer de l'exécution de nos recommandations ? Depuis 2015, au grand dam de certains ministères, parce que cela leur demande beaucoup de travail, nous avons établi un suivi de nos recommandations : nous envoyons aux ministres de tutelle des établissements que nous contrôlons toutes les recommandations que nous avons faites une année donnée – recommandations spécifiques à certains établissements et recommandations générales figurant dans les rapports annuels, avis ou recommandations publiques –, et nous leur demandons, trois ans plus tard, de nous dire ce qui a été fait et de nous donner des explications sur ce qui ne l'a pas été. Ainsi essayons-nous de rendre nos recommandations plus efficaces même si nous n'avons pas de pouvoir d'injonction.
Oui, madame Untermaier, l'absence de moyens suffisants est évidente. Je me suis félicitée de la mesure prise au sujet du vote des détenus. Je demandais depuis longtemps que les détenus puissent voter par l'installation d'un bureau de vote dans la prison. M. Urvoas, alors garde des Sceaux, l'avait envisagé mais cela n'a finalement pas été réalisé. Le compromis trouvé pour les élections européennes a été le vote par correspondance. Les votes, organisés dans chaque maison d'arrêt, ont été recensés et centralisés par la chancellerie. Un pas important a donc été franchi, d'autant que plus de 5 500 détenus se sont inscrits, ce qui n'est pas insignifiant. Je préfèrerais que des bureaux de vote soient installés dans les établissements pénitentiaires et j'espère que cette nouvelle étape aura lieu pour les prochaines élections nationales, car c'est un peu plus compliqué pour les élections locales. Il nous a été dit que ce n'est pas possible parce que le vote doit se tenir dans des lieux publics, mais il suffit qu'une dizaine ou une quinzaine de personnes soient présentes pour rendre le vote public ; c'est donc tout à fait possible, et vous venez d'indiquer que certaines maisons d'arrêt l'ont montré par simulation.
L'installation de téléphones muraux en cellules au centre de détention de Montmédy, où cela a beaucoup fait baisser l'utilisation de téléphones portables, a été généralisée. Cette mesure importante est surtout intéressante dans les établissements pour peine où les détenus sont seuls dans leur cellule. C'est un peu plus compliqué dans les maisons d'arrêt : quand trois détenus cohabitent dans une cellule de neuf mètres carrés, il y a d'abord un défaut d'intimité et de confidentialité, et il peut y avoir un rapport de forces entre celui qui veut téléphoner davantage et celui qui n'est pas en mesure de s'imposer. C'est, à l'évidence, un progrès très important, mais il ne faut pas pour autant abandonner la proposition d'autoriser en prison les téléphones portables bridés, avec des numéros enregistrés qui ne permettraient évidemment pas de téléphoner tous azimuts.
J'ai également reçu des requêtes de détenus et d'associations m'indiquant qu'il n'était pas possible de téléphoner après 18 heures dans certains établissements ; je crois que c'est terminé. En tout cas, le dispositif a été conçu pour que les détenus puissent téléphoner quand ils veulent. En revanche, ils ne peuvent pas recevoir de communications mais seulement des messages ; je suppose que l'opérateur ne souhaitait pas que les détenus se fassent uniquement appeler.
M. Molac m'a interrogée sur les soins nécessaires aux détenus atteints de pathologies psychiatriques. On en revient à la question précédente – comment moins incarcérer ? – et aux réponses que je vous ai données à ce sujet : en modifiant les procédures de comparution, en remédiant à l'absence de désignation d'experts dans certaines affaires et, surtout, en en finissant avec la justice d'abattage qu'est la comparution immédiate. Je répète ce mot parce que c'est vraiment de cela qu'il s'agit, et cela a pour conséquence que les magistrats n'ont pas le temps de s'apercevoir que la personne qui est devant eux est borderline. Aussi longtemps que l'on n'aura pas modifié les procédures et – mais je sais que c'est difficile – augmenté le nombre d'experts psychiatriques, rien ne changera. Des expériences de terrain très intéressantes sont conduites, dans lesquelles des associations de psychiatres travaillant en amont peuvent repérer les personnes présentant des troubles psychiatriques au moment de la garde à vue. Je l'ai observé à Marseille : lors de la garde à vue, des propositions sont émises par une association de psychiatres et la personne concernée et, au moment de sa comparution, il y a un suivi et un soutien qui, la plupart du temps, permettront une mesure de maintien en milieu libre assortie, bien sûr, d'un contrôle judiciaire et de soins psychiatriques. Il faut absolument travailler dans cette direction, car non seulement le sens de la peine ou de la détention provisoire n'existe pas pour ces détenus mais leur pathologie psychiatrique va obligatoirement s'aggraver en prison – et s'ils sont quelque peu suicidaires, ils seront placés à l'isolement, avec réveil toutes les deux ou trois heures pour s'assurer qu'ils sont vivants, ce qui peut rendre fou à peu près n'importe qui. On éviterait ainsi que toute une population soit incarcérée alors que, à mon sens, elle n'a pas à l'être.