Intervention de Laurent Saint-Martin

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Saint-Martin, rapporteur spécial (Gestion des finances publiques et des ressources humaines et Action et transformation publiques) :

C'est avec un grand plaisir que j'ouvre cette deuxième édition du Printemps de l'évaluation. Cette initiative a permis, je le crois, de diffuser davantage la culture de l'évaluation, de la performance et du contrôle au sein de notre Assemblée.

J'ai choisi de consacrer ce semestre mes travaux sur les systèmes d'information de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI).

Avant de vous présenter mes conclusions sur ce sujet, j'aborderai l'exécution des crédits des programmes 156, 218 et 302 de la mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines (GFPRH) ainsi que de la mission Action et transformation publiques.

L'exécution des trois programmes de la mission GFPRH est conforme à l'autorisation budgétaire, avec un taux d'exécution de 99,1 %.

Concernant l'évolution de la dépense, ces trois programmes ont fortement contribué à la dynamique de réduction budgétaire : entre 2014 et 2018, la dépense agrégée a ainsi reculé de 350 millions d'euros, économies dont les trois quarts sont dus à la DGFiP. En 2018, la dépense s'établit à 10,6 milliards d'euros, et est parfaitement stable par rapport à 2017, après neutralisation des dépenses exceptionnelles réalisées l'année précédente.

Cette situation résulte de plusieurs facteurs. La DGFiP a poursuivi les réductions d'effectifs, tandis que la douane a, elle, bénéficié de renforts supplémentaires dans le cadre de la préparation du Brexit. Ces objectifs sont assumés ; ils ont été, dans l'ensemble, correctement exécutés.

J'appelle néanmoins l'attention de notre commission sur quatre points.

Premièrement, la DGFiP a supprimé plus d'emplois que prévu – 2 038 au lieu de 1 600 –, du fait de difficultés de recrutement et de départs en retraite plus nombreux que prévu. Cette situation peut interpeller. Quelle est votre appréciation, monsieur le ministre ?

Deuxièmement, les reports successifs du Brexit créent une tension légitime au sein de la douane, car le plan de renforcement avait été calibré pour une sortie sans accord au mois de mars. Comment l'administration fait-elle face à ces difficultés ?

Troisièmement, les organisations syndicales de la douane m'ont alerté sur le manque de moyens matériels à la disposition des nouvelles recrues. Quelles mesures avez-vous prises pour y remédier ?

Quatrièmement, si la performance est satisfaisante, les résultats en matière de lutte contre la fraude peuvent parfois paraître mitigés pour les deux directions. À la DGFiP, le taux d'abandon contentieux des rappels suite à contrôle fiscal externe explose ; à la douane, le montant des droits et taxes redressés s'établit à un niveau inférieur à 2014. La loi relative à la lutte contre la fraude, entrée en vigueur à la fin de l'année 2018 – j'insiste sur cette date –, renforce les moyens à la disposition de l'administration fiscale, et devrait, en toute logique, améliorer cette situation, mais quelle analyse faites-vous de l'année 2018, monsieur le ministre ?

Dans le cadre de la mission Action et transformation publiques, créée au début de ce quinquennat, deux nouveaux programmes ont été déployés en 2018. Ils permettront d'accompagner la transformation publique que nous appelons de nos voeux.

Ainsi, en ce qui concerne le programme 348, relatif à la rénovation des cités administratives, la direction de l'immobilier de l'État a conduit un audit d'ensemble du parc existant, afin d'en définir les besoins ; la sous-exécution s'explique principalement par une dépense d'audit moindre qu'anticipée, et n'appelle pas de remarques particulières. Dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État lancée par le Premier ministre, les cités administratives auront vocation à jouer un rôle de premier plan. Il est donc particulièrement important de s'assurer que la maîtrise des risques de toute nature atteigne un niveau satisfaisant.

Concernant le fonds de transformation de l'action publique (FTAP), deux appels à projets ont été organisés en 2018, et 33 projets ont été retenus, pour un montant apporté de 195 millions d'euros. Toutefois, seuls 20 millions d'euros ont été engagés, en raison d'importants retards pris lors de la phase de contractualisation entre la direction du budget et les porteurs de projet. Après report de crédits, cela porte à 425 millions d'euros le montant des autorisations d'engagement pour 2019, ce qui est important. Le FTAP pourra-t-il absorber une telle montée en charge ? Comment accélérer la phase de contractualisation ?

J'en viens au thème d'évaluation de politique publique retenu cette année : les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI.

Ce choix est parti d'un constat simple : les administrations fiscale et douanière font face à des enjeux de transformation importants, et ont largement recours aux outils numériques pour améliorer le service rendu aux usagers et réaliser des gains de productivité. La dématérialisation des documents, des échanges et des procédures a constitué un véritable vecteur de modernisation, tant à la DGFiP qu'à la DGDDI. Je pense notamment au site impots.gouv.fr, dont les fonctionnalités ont été progressivement étendues, et qui a parfaitement su intégrer le défi du prélèvement à la source. Je pense également aux progrès en matière de télédéclaration et de télépaiement des impôts et taxes et des formalités douanières, qui ont permis à la douane d'atteindre un taux de dématérialisation de 87 % dans ce domaine. Je pense aussi à la nécessité d'accentuer les échanges et le partage d'informations entre les administrations fiscales et sociales, afin d'améliorer l'efficacité des opérations de lutte contre la fraude. Je pense enfin aux réflexions en cours sur la réforme du recouvrement fiscal et social, qui permettront une véritable amélioration du service pour les contribuables.

Face à ces enjeux majeurs, et alors qu'un renforcement des capacités informatiques serait nécessaire, j'ai constaté, lors de précédentes analyses, la faiblesse et la diminution tendancielle des moyens informatiques au sein de l'administration fiscale. Ils ont joué le rôle de variable d'ajustement budgétaire. Cette situation est particulièrement préjudiciable à l'investissement : en 2017, la DGFiP a même dû recourir à des crédits du programme d'investissements d'avenir (PIA) pour réaliser des dépenses informatiques.

Cette majorité a bien pris conscience de la difficulté pour les administrations de dégager les ressources nécessaires pour investir et transformer efficacement notre État, et plusieurs fonds ont été créés, pour financer des projets innovants, rigoureusement sélectionnés à la suite d'appels à projet, et ouverts à toutes les administrations. Le premier d'entre eux, le fonds pour la transformation de l'action publique, est doté de 700 millions d'euros sur le quinquennat. L'un des projets sélectionnées dans ce cadre, intitulé « CFVR », pour « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes », permettra de développer nos outils de data mining.

Le fonds pour l'accélération du financement des start-up d'État (FAST), dont j'avais proposé, par voie d'amendement, la création lors de l'examen du dernier budget, permet pour sa part l'ouverture, dans les prochaines semaines, dans le cadre de beta.gouv.fr, d'un premier appel d'offres, qui s'annonce prometteur. Monsieur le ministre, l'ouverture de crédits de paiement pour le fonds FAST est-elle envisageable ?

Les situations spécifiques de la DGFiP et de la DGDDI, qui entrent dans le champ de mon rapport spécial, appellent néanmoins des réponses spécifiques.

Le rapport réalisé sur ce sujet par la Cour des comptes, à la demande de notre commission, a confirmé et approfondi le diagnostic que j'évoquais plus tôt. Je me contenterai de résumer brièvement les analyses de la Cour avant de vous présenter mes propositions.

La DGFiP et la DGDDI font partie des directions de l'État qui utilisent le plus intensément les outils informatiques. Elles abritent des systèmes d'information très vastes, qui rassemblent plus de 700 applications pour la première et plus de 200 applications pour la seconde. Leur budget agrégé s'élève à 650 millions d'euros par an et elles comptent 5 500 agents ; c'est plus du quart des dépenses et des effectifs informatiques de l'État.

La Cour relève que, si les différents systèmes d'information sont globalement robustes et bien tenus, ils ont été bâtis par « sédimentation successive », et les premières couches ont près de cinquante ans. Cette situation créée une « dette technique », qui implique des coûts d'exploitation et de maintenance élevés, et limite la capacité d'investissement.

Le budget informatique de ces administrations, surtout celui de la DGFiP, présente en effet certaines spécificités.

Les dépenses de personnel représentent 70 % du budget, ce qui confère à l'administration une réelle maîtrise de ses systèmes mais peut la priver de certains avantages liés à l'externalisation, comme la possibilité d'ajuster la dépense aux pics de charge ou de bénéficier des dernières innovations du marché. Surtout, et plus profondément, les dépenses d'exploitation représentent 62 % de la dépense et les dépenses de maintenance 20 % ; cela ne laisse que peu de place à l'investissement dans de nouveaux projets.

Plusieurs faiblesses structurelles limitent également la capacité de ces administrations à se transformer par l'informatique. En termes d'organisation, les effectifs apparaissent excessivement dispersés à l'échelle du territoire. En termes de gouvernance et de conduite de projet, les structures sont encore trop lourdes, et ne disposent pas d'indicateurs suffisants. La gestion des compétences est également complexe, car l'administration peine à attirer et fidéliser les compétences. Enfin, la définition d'une stratégie pluriannuelle demeure compliquée à la DGFiP et conduit à gérer les budgets sans véritable projection vers l'avenir, tandis que la DGDDI, qui a conduit de tels travaux, pourrait voir ses ambitions contrariées par le manque de moyens.

Cette situation appelle dès lors plusieurs recommandations, autour de quatre axes.

Premièrement, du point de vue de la programmation budgétaire, les capacités informatiques de la DGFiP et de la DGDDI doivent impérativement être renforcées, mais ce renforcement nécessite que deux conditions préalables soient remplies. D'une part, il faut conduire une évaluation du coût nécessaire à la résorption de la dette technique. Une telle évaluation est délicate et doit être menée avec la plus grande précaution. D'autre part, il faut inscrire le renforcement des budgets dans une trajectoire pluriannuelle, qui pourrait faire l'objet d'un contrat ou d'une convention d'objectifs et de moyens, entre les directions générales, le secrétariat général et la direction du budget, et permettre une réévaluation annuelle des besoins.

Deuxièmement, du point de vue de la gouvernance et du suivi des projets, il est absolument essentiel de pouvoir mesurer l'avancée de projets en cours par la mise en place, d'une part, d'indicateurs de pilotage financier couvrant l'ensemble des budgets informatiques, y compris les dépenses de personnel, et, d'autre part, d'indicateurs de suivi des coûts et des délais des projets informatiques.

Troisièmement, du point de vue de la gestion des ressources humaines et des compétences, il me paraît pertinent de développer le recours aux agents contractuels, dans le cadre de contrats de projet par exemple, comme le permettra le texte relatif à la transformation de la fonction publique. Dans la continuité de ces nouveaux outils contractuels, la problématique particulière des délais et difficultés de recrutement sur les métiers en tension me paraît mériter une réflexion plus large sur le cadre organique applicable à la gestion des effectifs et de la masse salariale de l'État. Je renvoie aux travaux que nous menons actuellement avec le président de notre commission et le rapporteur général dans le cadre de la mission d'information sur la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF).

Afin de donner leur pleine ampleur aux contrats de projet, ne pourrait-on envisager d'assouplir les règles de fongibilité entre natures de dépenses prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour certains secteurs d'emploi prioritaires définis, par exemple, en loi de programmation des finances publiques ?

En privilégiant la voie statutaire, il pourrait également s'agir de donner une impulsion plus grande au corps des ingénieurs des systèmes d'information et de communication, créé en 2015.

Telles sont mes propositions.

Permettez-moi de me livrer à un bref exercice de prospective, monsieur le ministre. Il ne fait plus guère de doute aujourd'hui que l'avenir de l'action publique est numérique, tant les gains sont clairs pour l'usager comme pour l'administration. Cette évidence appelle cependant à une vigilance accrue. Le succès du service public numérique dépend, à terme, de sa capacité à accéder et à mettre en réseau de grandes quantités de données : données internes à l'administration, mais également données des usagers. Je crois qu'il y a là un point de vigilance tout à fait cardinal pour l'avenir : il faut trouver le juste équilibre entre un service public numérique efficace et la protection des libertés publiques, au premier rang desquelles le droit à la vie privée.

Je souhaite aussi vous interroger, monsieur le ministre, sur les suites données à la résolution adoptée par notre assemblée l'année dernière. De nouvelles suppressions de « petites taxes » seront-elles proposées en loi de finances ?

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