Intervention de Christine Pires Beaune

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Pires Beaune, rapporteure spéciale (Remboursements et dégrèvements) :

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission Remboursements et dégrèvements est, en volume, la plus importante du budget général de l'État. Les montants consommés ont atteint 125,7 milliards d'euros en 2018, soit près du tiers des recettes fiscales brutes.

J'ai choisi cette année de me concentrer sur les transactions fiscales. Avant de vous présenter mes principales observations et recommandations, je vous propose d'étudier l'exécution des crédits en 2018.

Leur analyse appelle trois remarques principales. Premièrement, la dépense est, cette année encore, en hausse sur la mission. Deuxièmement, la prévision initiale a été largement dépassée, ainsi que la prévision issue de la loi de finances rectificative. Troisièmement, la présentation budgétaire pourrait, pour les mêmes raisons que l'année dernière, être améliorée – je souscris à certaines remarques de la Cour des comptes.

Dotée exclusivement de crédits évaluatifs, cette mission rassemble des dépenses très diverses, correspondant à des situations dans lesquelles l'État est amené à restituer des prélèvements obligatoires aux contribuables, ou dans lesquelles il ne recouvre pas certaines créances fiscales.

Les deux programmes de la mission sont relatifs aux impôts d'État, c'est le programme 200, et aux impôts locaux, c'est le programme 201.

Sur une longue période, les dépenses liées aux remboursements et dégrèvements augmentent régulièrement ; elles ont même doublé en moins de vingt ans. L'année 2018 constitue un nouveau record, et cette hausse devrait se poursuivre en 2019. En raison de l'ampleur des enjeux, la qualité de la prévision est cruciale et constitue une véritable question de sincérité budgétaire.

En 2018, sur ce total de 125,7 milliards d'euros, les remboursements d'impôt d'État ont représenté 110 milliards d'euros, répartis en trois actions : l'action Mécanique de l'impôt pour 70 milliards d'euros ; l'action Politiques publiques pour 22 milliards d'euros ; l'action Gestion des produits de l'État pour 18 milliards d'euros.

Les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux, représentent environ 16 milliards d'euros en 2018.

Par rapport à 2017, la consommation des crédits augmente de 13,2 milliards d'euros. Pour les impôts d'État, c'est une augmentation de 10 milliards d'euros, imputable à la croissance des dépenses de mécanique de l'impôt, au dynamisme des crédits d'impôts, et notamment du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, en hausse de 3 milliards d'euros de hausse, ainsi qu'à la transformation de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile en crédit d'impôt, en hausse de 1,2 milliard d'euros. C'est également lié à des dépenses de contentieux portant sur l'impôt sur les sociétés très élevées par rapport aux années précédentes : 2,4 milliards d'euros de hausse.

En ce qui concerne les impôts locaux, une augmentation de 3 milliards est prévisible en raison de la mise en oeuvre du dégrèvement de la taxe d'habitation. En 2018, à l'échelle de la mission, la dépense s'établit à un niveau significativement supérieur au montant autorisé en loi de finances, soit 120 milliards, montant pourtant fortement rehaussé en loi de finances rectificative – de plus de 4,6 milliards – en raison notamment de contentieux unitaires à l'impôt sur les sociétés pour des sommes très élevées. Or cette prévision a de nouveau été dépassée à hauteur de 1,1 milliard, principalement du fait, là encore, de décaissements liés à des contentieux individuels d'impôt sur les sociétés en fin d'année. Pour la deuxième année, des décharges exceptionnelles d'impôt sur les sociétés sont enregistrées pour des montants budgétaires très importants : 1,2 milliard d'euros l'année dernière et plus de 2 milliards cette année. En outre, le nombre de réclamations contentieuses a fortement augmenté l'année dernière. Comment expliquer cette augmentation, monsieur le ministre ? Pouvez-vous confirmer ces chiffres ? Existe-t-il des facteurs communs à ces contentieux ? Comment mieux les prévenir ? Les effectifs du service juridique de la fiscalité sont-ils correctement dimensionnés ?

S'agissant des contentieux fiscaux de série, en revanche, la dépense s'établit à un niveau inférieur à la prévision car les remboursements liés au « 3 % dividendes » ont été moindres qu'attendu. Le risque associé aux contentieux fiscaux demeure important et la provision pour litiges fiscaux reste stable en 2018, à 20 milliards d'euros. Pourriez-vous nous éclairer sur le risque associé aux contentieux de série en cours, notamment aux contentieux CSPE et Accor, ainsi qu'au contentieux Sofina ? Quelles ont été les mesures prises, depuis la publication du rapport de M. Grau et de Mme Louwagie, pour améliorer la gestion et le suivi des contentieux fiscaux ?

Les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux connaissent une forte augmentation du fait de la mise en oeuvre du dégrèvement de taxe d'habitation. La dépense a été exécutée conformément à la prévision. En revanche, le montant des dégrèvements contentieux et gracieux de taxes foncières reste très élevé du fait des difficultés rencontrées par les services pour mettre à jour les fichiers fonciers, comme nous l'avions déjà signalé l'an dernier. Pourriez-vous nous éclairer sur cette situation ?

Enfin, j'insisterai de nouveau sur la nécessité d'améliorer la lisibilité des documents budgétaires de la mission et l'importance d'en enrichir le contenu.

J'en viens au dispositif des transactions fiscales. Les transactions constituent l'un des instruments de gestion de l'impôt dont dispose l'administration fiscale, qui y a largement recours. La transaction constitue un contrat entre les parties, l'administration fiscale et le contribuable, régi par les articles 2044 et suivants du code civil. Elle permet d'éteindre toute procédure contentieuse née ou à naître. La conclusion d'une transaction présente donc plusieurs avantages mais aussi quelques inconvénients. Elle permet de faciliter l'encaissement des créances fiscales à l'issue d'un contrôle, de prévenir des contentieux longs et coûteux à l'issue incertaine, et de tenir compte des circonstances particulières de chaque dossier et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation du contrôle fiscal.

L'administration fiscale et l'administration douanière utilisent toutes deux ce dispositif ; au vu des enjeux financiers, j'ai concentré mes travaux sur les transactions de la direction générale des finances publiques.

Les transactions peuvent être conclues soit avant la mise en recouvrement des impositions à la suite de la réception d'une proposition de rectification, dans le cadre d'un contrôle sur place ou d'un contrôle fiscal externe, avant que l'imposition ne soit arrêtée, soit après la mise en recouvrement. La mise en oeuvre de cette prérogative est relativement peu encadrée par les textes : la décision de transiger ou non et la détermination du quantum de la transaction font partie intégrante de la négociation entre l'administration et le contribuable. La réponse à y apporter reste une question d'appréciation et de circonstances.

Néanmoins, cette souplesse peut nuire à l'égalité devant l'impôt mais également, compte tenu des enjeux, à l'équilibre des finances publiques.

Les éléments chiffrés transmis par l'administration fiscale concernant les transactions effectuées après mise en recouvrement suggèrent que ce dispositif permet d'alléger significativement la charge fiscale des contribuables y ayant recours. Entre 2013 et 2018, entre 3 300 et 3 800 transactions fiscales ont été conclues chaque année, pour un montant annuel total de modérations consenties de 140 millions d'euros environ. Du point de vue du contribuable, la part des pénalités remise oscille quant à elle entre 54 % et 72 % de la pénalité. Le montant de l'allégement moyen varie dans des proportions importantes, entre 20 000 et 75 000 euros selon les années.

En ce qui concerne leur répartition, les transactions portent essentiellement sur les amendes fiscales, puis sur l'impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée, et enfin sur la TVA, sachant que 70 % des transactions, représentant 30 % des montants remisés, sont conclues dans le réseau des directions départementales et régionales des finances publiques. Les transactions les plus importantes sont réalisées par la direction des vérifications nationales et internationales et concernent la fiscalité des grandes entreprises : elles représentent 1 % du nombre total des transactions, mais 40 % de leur montant.

L'application des règles de compétence définies à l'article R. 247-4 du livre des procédures fiscales permet de limiter le risque de rupture d'égalité devant l'impôt. Lorsque les sommes faisant l'objet de la demande n'excèdent pas 200 000 euros, la compétence revient au directeur départemental ou régional des finances publiques, voire au directeur chargé d'un service à compétence nationale ou d'une direction spécialisée. Lorsque les sommes sont supérieures à 200 000 euros, la décision relève impérativement de la compétence du ministre, après avis consultatif du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes (CCFDC). Le nombre d'avis rendus par ce comité a décru au cours des dernières années, ce qui s'explique notamment par le fait que son seuil de compétence a été rehaussé de 150 000 à 200 000 euros en 2013. Les avis du CCFDC sont généralement suivis par l'administration fiscale et ne présentent pas de problème spécifique. En 2018, le comité a rendu 109 avis dont 28 avis non conformes. Il relève que 9 de ces 28 avis n'ont pas été suivis, mais qu'ils « ont donné lieu à des décisions plus sévères de la part de l'administration » et « n'ont pas porté sur des montants particulièrement significatifs ».

L'administration peut également avoir recours à la pratique du règlement d'ensemble qui lui permet, dans des cas spécifiques, d'accorder des modérations non seulement sur le montant des pénalités, mais également sur le montant des droits dus par la contribuable. Cette pratique ne constitue pas une transaction au sens juridique, puisque les transactions ne peuvent porter que sur les pénalités aux termes de la loi. Le règlement d'ensemble est parfois utilisé lors de redressements complexes, en matière de fiscalité internationale, ou lorsqu'un point de droit nouveau pourrait nourrir un contentieux dont l'issue est très incertaine. Cette pratique n'est pas soumise aux mêmes exigences de suivi que les transactions : le règlement d'ensemble n'est pas recensé en comptabilité et dans les systèmes d'information, et ne donne pas lieu à un avis du CCFDC, même lorsque son montant dépasse 200 000 euros. Sans remettre en cause l'intérêt de cette pratique, je m'interroge sur la pertinence d'une telle situation, pourtant critiquée par la Cour des comptes l'année dernière. Les réponses au questionnaire transmis à l'administration fiscale laissent entendre que cette situation ne devrait pas évoluer. Monsieur le ministre, quel regard portez-vous sur la pratique du règlement d'ensemble ? Pourquoi refuser de lui donner un cadre légal et d'en assurer le suivi ? Combien de règlements d'ensemble ont-ils été signés en 2017 et en 2018 ?

Enfin, la loi relative à la lutte contre la fraude, votée à la fin de l'année 2018, permet à l'administration fiscale de conclure une transaction même lorsque l'action pénale est susceptible d'être engagée : cette nouvelle possibilité a-t-elle eu à s'appliquer ?

Je conclurai en remerciant les services de la DGFiP et des douanes ainsi que votre cabinet, monsieur le ministre. Je poursuivrai cette évaluation car tout ne doit pas s'arrêter à la loi de règlement.

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