Intervention de Jean-Paul Mattei

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Mattei, rapporteur spécial (Gestion du patrimoine immobilier de l'État) :

Lors de l'examen du dernier projet de loi de finances initiale, j'avais fait part de ma préoccupation quant à la fragilité intrinsèque du compte d'affectation spéciale (CAS) Gestion du patrimoine immobilier de l'État. La difficulté d'asseoir le financement de l'entretien du patrimoine immobilier de l'État sur la cession de ses actifs se confirme hélas en 2018. En 2017, le déficit s'élevait à 91,78 millions. L'exercice 2018 se solde par un nouveau déficit de près de 110,11 millions en crédits de paiement, hors versements du budget général et apports des fonds de concours. En conséquence, la trésorerie du CAS baisse de près de 13,6 % par rapport à 2017, s'établissant à près de 702 millions d'euros. C'est un constat alarmant, même si la soutenabilité du CAS ne semble pas menacée à court ou moyen terme.

Ce constat ne saurait occulter une évolution plus inquiétante : l'épuisement progressif des ressources essentielles du CAS. Certes, le produit des redevances domaniales apparait conforme aux prévisions établies en loi de finances, avec plus de 89,15 millions d'euros. Mais il ne s'agit que d'une recette d'appoint. Les redevances domaniales ne compensent pas l'effondrement du produit des cessions immobilières. En 2018, la vente des biens de l'État a rapporté près de 281,34 millions d'euros, pour un produit attendu de 491,70 millions d'euros Il s'agit d'un écart de plus de 210,36 millions d'euros par rapport aux prévisions. Pire, ce montant traduit une nouvelle chute des ressources de 25 % par rapport aux résultats de l'exercice 2017, qui avait déjà accusé une régression de 39,43 %.

Chacun sait que cette contre-performance obéit à des raisons structurelles. L'État a cédé les biens les plus aisément valorisables. Il lui reste désormais ceux dont la qualité et la localisation rendent la vente moins aisément envisageable, la conjoncture du marché étant très inégale selon les régions. Cette difficulté désormais récurrente transparaît dans le seul indicateur de performance du programme 723 : la durée moyenne de vente d'un bien immobilier est passée de 16,4 mois en 2016 à 17,8 mois en 2018. Cette année-là, 626 biens ont été vendus à un prix moyen de 371 287 euros, soit un prix bien inférieur au prix moyen – 524 746 euros – des cessions effectuées en 2017. Or, l'érosion du produit des cessions contraint directement la capacité de financement du CAS.

En 2018, la consommation des crédits de paiement s'est élevée à 480,63 millions d'euros, alors qu'elle atteignait 517 millions d'euros au terme de l'exercice précédent. Cet écart s'explique par la fin de la contribution au désendettement de l'État portée au programme 721. Toutefois, si elles augmentent par rapport à l'exercice 2017, les dépenses réalisées sont très en deçà des prévisions, s'élevant à 581,70 millions. Chacun comprendra que le modèle de financement de la politique immobilière de l'État doit évoluer à l'échelon interministériel, d'où plusieurs questions.

La première concerne le produit des redevances domaniales. Le Gouvernement envisage-t-il de compléter les ressources du CAS en augmentant ce produit ou en affectant de nouvelles ressources ?

La deuxième question porte sur les modalités d'usage de la décote. Les différents mécanismes de mobilisation du foncier public tendent à minorer de manière substantielle les ressources tirées de la valorisation du patrimoine immobilier de l'État. C'est particulièrement le cas de la décote autorisée par la « loi Duflot » : selon la Cour des comptes, le montant total des décotes accordées en 2018 s'élèverait à 70,2 millions d'euros. Depuis 2013, le dispositif aurait abouti à des moins-values en recettes de 204,3 millions d'euros pour 85 cessions. Afin de favoriser un usage plus pertinent de la décote, l'article 274 de la loi de finances initiale pour 2019 a introduit un nouveau critère de calcul du taux : il s'agit de mieux prendre en considération l'existence de réserves foncières propres et de biens susceptibles de permettre la construction de logements sociaux. Or, près de six mois après la promulgation de la loi de finances, les décrets d'application restent à publier. Pourriez-vous nous informer de l'état d'avancement des travaux engagés afin d'établir un dispositif conforme à la volonté du législateur ?

J'en viens à une seconde série de questions sur la valorisation du patrimoine immobilier de l'État. À l'évidence, les déséquilibres observés en 2018 démontrent la nécessité de sortir du « tout-cession ». À l'issue du deuxième Comité interministériel de la transformation publique (CITP), le Gouvernement avait affirmé rechercher de nouvelles modalités de gestion. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les dispositifs envisagés pour diversifier les modes de valorisation du patrimoine immobilier public ?

De mon point de vue, il nous faut également innover dans la gestion du patrimoine immobilier des universités, sujet auquel j'ai consacré mes travaux pour ce Printemps de l'évaluation. Le patrimoine immobilier universitaire couvre près de 18 millions de mètres carrés. Il a fortement augmenté – de 37 % – entre 1990 et 2000, et a poursuivi sa croissance au rythme de 9 % au cours de la dernière décennie. Toutefois, les investissements réalisés dans l'accroissement des surfaces ne s'accompagnent pas nécessairement d'un même effort en faveur de l'entretien des locaux universitaires. Il en résulte un patrimoine immobilier certes considérable, mais dans un état très disparate : selon le ministère de la recherche, 38 % de ce patrimoine sont dans un état peu ou pas satisfaisant.

La loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités a renforcé l'autonomie de gestion des universités. Les crédits destinés aux dépenses d'entretien des biens immobiliers de l'État sont ainsi intégrés depuis 2009 dans les dotations globales de fonctionnement des universités. Or, le budget immobilier des universités sert encore trop souvent de variable d'ajustement, d'où mes interrogations. Dans le cadre favorisant l'autonomie de gestion des établissements, par quel mécanisme peut-on inciter les universités à préserver les crédits nécessaires à l'entretien et à la maintenance ? Ne peut-on pas réévaluer le montant des crédits de maintenance et de logistique immobilière entrant dans le calcul de la dotation générale de fonctionnement allouée aux établissements ?

Engagée en février 2008, l'opération Campus, dotée de 5 milliards d'euros, a pu apporter des crédits qui ont permis de rénover une partie du patrimoine immobilier universitaire. Certains de mes interlocuteurs ont déploré quelques lourdeurs dans la mise à disposition des reliquats d'intérêts intermédiaires non utilisés ; d'autres se sont interrogés sur la sélection des établissements bénéficiaires. Au regard de la situation des finances publiques, le Gouvernement entend-il renouveler un tel plan d'investissement ? Si oui, quelles mesures de simplification et d'ajustement pourraient y être apportées ?

L'article L. 719-14 du code de l'éducation autorise le transfert aux établissements universitaires demandeurs de la pleine propriété des biens mobiliers et immobiliers appartenant à l'État. Il semblerait que la dévolution favorise la responsabilisation et l'initiative des universités pour la valorisation de leur patrimoine. Dès 2011, les universités de Limoges, de Clermont-Ferrand et de Poitiers ont ainsi reçu la pleine compétence sur leur patrimoine immobilier. Lors d'une deuxième vague de dévolution, les universités de Bordeaux et d'Aix-Marseille devraient en obtenir le transfert, sans nécessairement bénéficier des mêmes conditions financières, cependant.

Je pose donc les questions suivantes : l'État compte-t-il maintenir les dotations dont ont pu bénéficier les universités ayant fait partie de la première vague de dévolution ? Les établissements universitaires engagés dans la dévolution attendent également un cadre juridique et financier leur procurant les ressources et la souplesse nécessaires à leurs projets. Or, l'arrêté du 4 septembre 2018 range les universités parmi les organismes divers d'administration centrale ayant interdiction de contracter un emprunt auprès d'un établissement de crédit ou d'émettre un titre de créance supérieurs à un an. Ne pourrait-on pas accorder aux établissements universitaires la capacité d'emprunter aux établissements bancaires ? Ne pourrait-on accroître les facultés de financement auprès de la Banque européenne d'investissement (BEI) ou de la Caisse des dépôts et consignations, par exemple dans le cadre de l'appel à manifestations d'intérêt lancé le 23 mars 2018 ?

Un dernier obstacle entrave la faculté d'innover dans la gestion du patrimoine immobilier : il s'agit des dispositifs juridiques actuellement proposés aux universités afin de valoriser leurs actifs immobiliers en exploitant leurs locaux non affectés à des activités d'enseignement. Ainsi, les sociétés universitaires de recherche semblent ne répondre qu'imparfaitement aux attentes. Leur création, autorisée dans le cadre du troisième programme d'investissements d'avenir (PIA 3), présenterait des facteurs de complexité et de rigidité. Le Gouvernement entend-il donner aux universités la faculté de recourir à de nouveaux dispositifs contractuels, leur permettant de nouer des partenariats avec des collectivités territoriales et des personnes privées ? Je pense notamment à un usage accru des baux emphytéotiques ou à la rénovation du cadre offert par certaines formes de société telles que les sociétés par actions simplifiées.

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