Intervention de Valérie Petit

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Petit, rapporteure spéciale (Fonction publique) :

En tant que rapporteures spéciales pour la fonction publique, ma corapporteure Cendra Motin et moi-même nous sommes essayées à l'évaluation de l'impact du rétablissement du jour de carence sur l'absentéisme dans la fonction publique. Ce jour de carence, vous le savez, a été rétabli par la loi de finances pour 2018 après avoir été instauré une première fois en 2011, puis abrogé en 2014.

Nous, parlementaires, sommes prompts à demander comment mieux évaluer les politiques publiques. Au fil de nos auditions avec les acteurs concernés, nous avons précisément été confrontées à tous les obstacles sur le chemin d'une évaluation réussie. Nous sommes donc bien placées pour vous dire ce qu'il conviendrait de ne pas faire, et a contrario ce que nous pourrions faire, dans un futur proche, pour évaluer l'absentéisme dans la fonction publique. Car le premier constat de ce rapport d'évaluation est que nous ne sommes pas en mesure aujourd'hui d'évaluer correctement l'absentéisme dans la fonction publique.

La première chose à faire pour rendre possible l'évaluation serait de poser la bonne question. Or force est de constater qu'aujourd'hui, en la matière, certains ne posent pas forcément la bonne question, et pas de la bonne manière.

Un exemple valant mieux qu'un long discours, voici comment le député Bernalicis demande au Gouvernement d'évaluer la restauration du jour de carence : « Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois, un rapport ayant pour objectif de faire un bilan sur la dégradation de l'accès à la protection de la santé des agents publics, les effets constatés sur la santé de ces mêmes agents et sur la diminution effective de leurs revenus de l'instauration d'un jour de carence (…) ». En d'autres termes : « Est-ce que oui, en effet, la restauration du jour de carence a eu un effet négatif évident sur la vie des agents ? » C'est un bel exemple de question à la fois fermée et orientée, qui passe à côté des enjeux politiques au profit de petits gains polémiques. Le problème est qu'elle nous prive d'une quelconque chance d'évaluation sérieuse de l'absentéisme.

Pour bien évaluer, il faut commencer par poser la bonne question, et donner du sens à celle-ci. Rappelons que le jour de carence à lui seul n'est pas un sujet de politique publique : le vrai sujet est la réduction de l'absentéisme dans la fonction publique. Aujourd'hui, l'absentéisme des agents, et surtout le micro-absentéisme, grève à la fois la qualité, la continuité et le coût du service public. Mais il révèle aussi, en creux, le mal-être de certains agents publics et invite à mettre en place une politique de ressources humaines plus performante.

Précisons ensuite que la situation dans la fonction publique n'est pas très éloignée de celle du secteur privé : en 2017, le taux d'absentéisme dans la fonction publique est de 3,9 %, contre 3,8 % dans le secteur privé, ce qui invite à identifier et généraliser les stratégies de ressources humaines gagnantes de part et d'autre plutôt que de mettre en compétition et d'établir des hiérarchies de moins ou mieux-disant entre les uns et les autres.

Enfin, pour bien poser la question, il convient d'insister sur le fait que l'absentéisme n'est pas un sujet de fonction publique, mais un sujet de travail et de société qui interroge sur la capacité des employeurs privés et publics à faire des politiques de ressources humaines efficaces.

Pour bien commencer l'évaluation, nous proposons donc de poser correctement la question du jour de carence, et de la formuler comme suit : « Quelle politique des ressources humaines de l'État et de ses collectivités est à même de lutter contre l'absentéisme et de soutenir la productivité et le bien-être des agents, dans un contexte de transformation simultanée des services publics et du travail ? »

Nous devrions également, en tant que parlementaires, voter des amendements qui ne se contentent pas – comme le faisait le député précédemment cité – de demander un rapport, c'est-à-dire une collection de feuilles reliées entre elles, mais une vraie évaluation d'impact de la loi ex post, et si possible selon une méthodologie rigoureuse, voire scientifique.

Il importe, en deuxième lieu, de fiabiliser les données des ressources humaines. Or force est de constater qu'aujourd'hui, les données de l'absentéisme, et au-delà les données des ressources humaines, sont à la fois incomplètes, inaccessibles et peu fiables.

En théorie, tout va bien : la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) est officiellement chargée de mettre en place une enquête statistique transmise aux directions des trois versants, permettant d'évaluer le jour de carence. Mais en pratique, l'absence de standardisation des données, la collecte partielle de celles-ci et leur délai de traitement empêchent cette administration sous-dotée de faire un travail d'analyse statistique sérieux incluant une comparaison entre les versants et le test de modèles explicatifs de l'absentéisme.

Le pire est constaté pour les collectivités territoriales, qui s'appuient sur les données de bilans sociaux qui ne sont publiées que tous les deux ans, puis entrées à la main dans des systèmes de reporting différents, et de ce fait quasi impossibles à consolider, sauf à un coût élevé, surtout pour les plus petites collectivités.

Dans ce contexte, il semble difficile, voire impossible, de mener aujourd'hui, aussitôt après sa mise en place, une évaluation ex post de l'impact du jour de carence. Les données sont insuffisantes et le recul trop court. Il faudrait sans doute attendre encore deux ans pour le faire sérieusement.

De la même façon, et pour les mêmes raisons, il semble difficile de mener une évaluation ex ante sérieuse des impacts du jour de carence et de toute mesure de ressources humaines en général. Cela explique que la prévision d'une économie de 270 millions d'euros grâce à la mise en place du jour de carence, faite en 2018 par la direction du budget, soit probablement erronée. L'économie réalisée sera plus proche de celle réalisée en 2012, soit 164 millions d'euros.

En résumé, faute de données de qualité, nous ne savons pas prédire précisément l'impact et le coût d'une mesure de ressources humaines, notamment salariales, et cela ne vaut pas seulement pour le jour de carence. Ce constat est préoccupant, car seul un travail d'évaluation des ressources humaines permet de dresser un état des lieux sérieux des conditions de travail pour définir ensuite les politiques adaptées.

Afin de mieux évaluer et mieux agir en matière d'absentéisme et de ressources humaines, la deuxième chose à faire urgemment serait donc de travailler avec les administrations à la mise en place d'une politique de la donnée de ressources humaines, appuyée sur des systèmes de reporting standardisés et des systèmes d'information de gestion des ressources humaines (SIRH) interfacés, permettant une collecte fiable et en temps réel, des données de ressources humaines. On peut espérer que la mise en place de la déclaration sociale nominative accélère ce mouvement, mais nous n'en sommes pas totalement sûres.

En l'état, partant donc d'une question mal posée et de données parcellaires, tout ce que nous pouvons affirmer sur la mise en place du jour de carence est que l'économie budgétaire réalisée sera sans doute inférieure à la prévision et qu'il faudra sans doute adopter une approche différenciée du micro-absentéisme. Celui-ci varie en effet selon la catégorie d'agents, la pénibilité physique et psychique du travail, la situation de famille ou l'âge. En d'autres termes, la probabilité d'être absent s'accroît, notamment pour des périodes de courte durée, pour les agents âgés ou de catégorie C, qui effectuent un travail pénible, ou pour les femmes ayant des enfants.

En troisième lieu, nous pouvons affirmer que s'il semble que le jour de carence réduise effectivement l'absentéisme de courte durée, nous ne sommes pas capables de répondre de manière claire sur ses impacts sur l'absentéisme de plus longue durée, les stratégies de contournement mises en place par les agents ou les effets possibles d'un désengagement au travail.

En conclusion, et au risque de répéter ce qui figure dans notre rapport spécial de novembre dernier, nous pensons qu'il nous faut bousculer quelques habitudes et bâtir une vraie direction des ressources humaines de l'État, moderne, efficace et humaine. J'entends par là une politique des ressources humaines capable de mettre en place les systèmes de pilotage et les pratiques de ressources humaines dont on sait qu'elles feront reculer l'absentéisme et progresser l'engagement des agents. Parmi elles, un SIRH intégré et décisionnel, un véritable pilotage de la masse salariale, une meilleure prévention des risques, un plan de santé au travail, une approche managériale positive, une meilleure articulation des temps de vie et le développement du télétravail.

Nous avons besoin d'une gestion des ressources humaines publiques de qualité, au service de la réussite des agents. C'est la meilleure garantie de la qualité de service rendu au public. Ma question est donc simple : que pouvons-nous faire pour améliorer notre capacité à suivre et évaluer l'absentéisme ?

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