Intervention de Véronique Louwagie

Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie, rapporteure spéciale (Santé) :

Les dépenses de la mission Santé se sont élevées à 1,34 milliard d'euros en 2018, en hausse de 7 % par rapport à 2017. Cette croissance est imputable à l'augmentation des dépenses de l'aide médicale de l'État (AME), inscrites sur le programme 183. Elles ont crû de 100 millions d'euros, tandis que les crédits de prévention en santé du programme 204 ont diminué de 2 %.

Je vais développer mon propos en trois temps qui donneront chacun lieu à des questions particulières à Mme la ministre.

En premier lieu, je m'attacherai à l'exécution budgétaire des crédits en 2018, qui fait ressortir les deux problématiques principales et récurrentes de cette mission.

La première problématique est celle de la baisse continue des dépenses de prévention en santé. Elles ont connu une diminution de près de 40 % depuis 2012, du fait de transferts successifs du financement de certains opérateurs et de certaines actions à l'assurance maladie. C'est ce point qui appelle ma première question, madame la ministre : la diminution progressive du périmètre des crédits destinés à la prévention au sein de la mission Santé ne conduit-elle pas à une remise en cause du financement de cette politique par l'État ? L'aboutissement de la logique actuelle n'est-il pas l'absorption complète du financement de ce programme par l'assurance maladie ?

La deuxième problématique est la sous-budgétisation et le dynamisme des crédits de l'AME, malgré la stagnation du nombre de ses bénéficiaires.

L'année dernière, j'avais mis en évidence le manque structurel d'informations relatives aux bénéficiaires, qui empêche la direction de la sécurité sociale d'expliquer et d'anticiper les variations de volume. Cela a conduit à établir des hypothèses de budgétisation initiales erronées qui ont eu pour conséquence, en 2018, l'ouverture de 21 millions d'euros supplémentaires en gestion, dont 10 millions d'euros proviennent des crédits sous-consommés du programme 204 Prévention en santé.

Le dynamisme des dépenses d'AME est essentiellement dû à une augmentation du coût moyen trimestriel par bénéficiaire, qui a progressé de 5 %. En trois ans, il aura augmenté de plus de 12 % pour s'établir à 674 euros, ce qui constitue un record depuis l'alignement de la tarification des dépenses d'AME dans les hôpitaux sur le droit commun en 2012-2013.

En 2018, cette hausse découle du dynamisme des prestations hospitalières qui ont augmenté de 7 %. Elle serait due à une modification du rythme de liquidation des factures hospitalières, mais cette hypothèse n'est pas encore vérifiée.

J'aimerais également rappeler que le remboursement des dépenses d'AME à l'assurance maladie par l'État ne correspond jamais tout à fait au coût réel de la dépense, d'où la constitution d'une dette de l'État envers l'assurance maladie. Depuis son dernier apurement en 2015, cette dette a été multipliée par trois et s'établit à 35 millions d'euros. Elle est certes en diminution de 14 millions d'euros par rapport à 2017, mais cette évolution à la baisse est exceptionnelle et essentiellement due à des erreurs de prévisions en cours de gestion. Compte tenu de la volatilité des prévisions, un apurement semble nécessaire.

Dans un deuxième temps, j'aimerais insister sur les défaillances du dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine.

En 2018, sur les 78 millions d'euros prévus en loi de finances initiale, seuls 16 millions ont été utilisés par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), l'organisme qui prend en charge ce dispositif. Cette sous-consommation très forte de l'enveloppe des crédits budgétés est liée au retard pris dans l'examen des dossiers puisqu'aucun avis d'indemnisation n'a été rendu en 2018. Ce retard s'explique par la complexité du dispositif d'indemnisation qui comprend une double instance de décision et qui impose aux intéressés de produire un nombre considérable de pièces justificatives. Cette complexité constitue une barrière de fait à l'accès des familles au dispositif : de fait, au 30 avril 2019, seulement 1 655 demandes d'indemnisation ont été déposées alors que l'ONIAM avait estimé en 2016 à 10 290 le nombre total de victimes à indemniser.

De plus, le risque financier constitué par ce dispositif mérite d'être réévalué à la lumière de la littérature scientifique, qui estime que le nombre de victimes potentielles serait jusqu'à trois fois supérieur aux hypothèses initiales. Surtout, il est désormais nécessaire de prendre en compte le refus définitif de Sanofi de reconnaître sa part de responsabilité dans les préjudices subis par les victimes et de contribuer à leur indemnisation. C'est l'ONIAM qui devra proposer l'intégralité de l'indemnisation en première intention, coût non budgété à l'origine, avant de se retourner vers Sanofi pour obtenir un éventuel remboursement de sa part, ce qui impliquera aussi des frais supplémentaires à la charge de la solidarité nationale.

En loi de finances initiale pour 2019, nous avons voté à l'article 263 une disposition demandant que le Gouvernement remette au Parlement avant le 1er septembre prochain un rapport sur la soutenabilité du dispositif d'indemnisation et sur sa gestion depuis son entrée en vigueur. Nous serons particulièrement attentifs à ce document. J'espère que le Gouvernement se saisira de cette occasion pour décliner des pistes de réforme ; j'ai du reste déposé une proposition de résolution invitant le Gouvernement à simplifier le dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine et à réévaluer sa budgétisation complète. Un état des lieux s'impose.

J'ai plusieurs questions à vous poser à ce sujet, madame la ministre. Des mesures sont-elles prévues aujourd'hui pour réduire la complexité du dispositif et aider les familles dans leurs démarches ? Quelles sont les options opérationnelles envisagées pour retrouver les victimes potentielles de la Dépakine, sachant la difficulté à mobiliser les bases de l'assurance maladie ? Comptez-vous réaliser une nouvelle évaluation de la budgétisation du dispositif après le refus de Sanofi de participer à l'indemnisation des victimes ? Enfin, comptez-vous poursuivre Sanofi dans l'objectif d'obtenir un remboursement de sa part ?

Dans un troisième temps, je me consacrerai à la partie thématique du travail que j'ai mené ces derniers mois, qui porte sur la procédure de certification des dispositifs médicaux.

Celle-ci repose sur la délivrance par des organismes notifiés, c'est-à-dire agréés par les agences de santé nationales, d'un marquage « CE » qui permet ensuite aux dispositifs de circuler sur l'ensemble du marché européen. La procédure actuelle ne permet pas d'assurer la sécurité des patients, ce qu'a mis en évidence l'enquête menée par un consortium international de journalistes il y a quelques mois.

Les contrôles effectués sur les fabricants sont limités et les contournements du système sont nombreux. De plus, l'information disponible sur le marché des dispositifs est lacunaire : il n'existe pas de traçabilité ou de recensement des décisions d'octroi ou de refus de certification. La réforme de la réglementation européenne, qui entrera en vigueur à partir de 2020, devrait remédier à ces problèmes.

Elle ne nous permettra toutefois pas de connaître le coût réel du remboursement des dispositifs médicaux pour la sécurité sociale. Celui-ci reste inconnu, ce que je regrette profondément. Le financement de nombreux dispositifs, surtout dans le secteur hospitalier, est en effet intégré dans le tarif de l'acte. Le choix du dispositif est laissé à l'appréciation de l'établissement de santé sans qu'une évaluation complémentaire soit réalisée par la Haute Autorité de santé (HAS). Le coût n'étant pas isolé, il ne peut être évalué finement. Il me semble que l'enjeu principal au niveau national se situe ici. Madame la ministre, quelles pistes concrètes proposez-vous pour améliorer l'évaluation du coût des dispositifs médicaux ? Pourrait-on à tout le moins envisager un remboursement de tous les dispositifs médicaux de classe III de façon spécifique, c'est-à-dire en dehors d'une tarification globale ?

Enfin, je souhaite appeler votre attention sur l'importance du développement des logiciels médicaux dans les hôpitaux, qui constituent un pan totalement caché des dispositifs médicaux. Aucune évaluation ni aucun suivi de leur qualité réelle ne sont réalisés. Il est très probable que les prochains cas de scandales sanitaires soient directement liés à leur utilisation. Des travaux spécifiques sont-ils en cours au sein de votre ministère sur ce sujet ? Un remboursement spécifique de ces logiciels pourrait-il être envisagé afin de permettre leur évaluation par la HAS ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.