La mission Solidarité, insertion et égalité des chances offre un large panorama de l'action sociale de l'État. Elle comprend quatre programmes : Insertion et lutte contre la pauvreté, Handicap et dépendance, Égalité entre les femmes et les hommes et un quatrième programme support qui couvre le champ de tous les ministères sociaux.
Quelques mots sur l'exécution budgétaire, tout d'abord : l'année 2018 constitue une rupture puisque, pour la première fois depuis plusieurs années, la sous-budgétisation globale de la mission a été fortement limitée. La loi de finances rectificative n'a ainsi ouvert que 261,5 millions d'euros de crédits, contre 1,2 milliard d'euros en 2017. Cette sincérisation de la budgétisation initiale a en particulier porté sur l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui était jusque-là systématiquement sous-budgétée. Le ministère a en effet pris en compte, pour l'élaboration du projet de loi de finances pour 2018, les prévisions techniques de la Caisse nationale des allocations familiales, dont il convient de souligner la qualité. Ainsi, pour la première fois depuis cinq ans, le programme 157 Handicap et dépendance n'a fait l'objet d'aucune ouverture de crédits. En revanche, des ouvertures ont été nécessaires sur le programme 304 à hauteur de 261 millions d'euros pour financer la prime d'activité, mais dans des proportions moindres qu'en 2017, où elles atteignaient 840,6 millions d'euros.
Madame la ministre, je poserai quelques questions sur l'exécution budgétaire de la mission pour 2018.
S'agissant des mineurs non accompagnés, le Gouvernement a fait un effort exceptionnel l'an dernier en multipliant par plus de sept les dépenses qui leur sont consacrées. Cela permet-il une prise en charge satisfaisante ? Si l'augmentation de l'aide forfaitaire de l'État est réelle, il convient de la mettre en parallèle avec l'augmentation du nombre des jeunes arrivant sur notre territoire et sollicitant la protection de l'enfance.
Concernant l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine, le dispositif ne fonctionne toujours pas de façon satisfaisante puisque seules quinze allocations ont été attribuées en 2018. Une mission a été confiée à l'IGAS. Pouvez-vous nous éclairer quant aux suites de celle-ci et quant au calendrier envisagé pour adapter ce dispositif ?
À l'occasion de mon rapport spécial, je me suis penchée sur la protection juridique des majeurs. Je souhaiterais avoir votre éclairage sur les travaux et la feuille de route envisagée pour renforcer le pilotage de cette politique.
Enfin, concernant l'allocation financière d'insertion sociale et professionnelle (AFIS), qui accompagne le parcours de sortie de la prostitution, le constat n'est pas satisfaisant. Alors que la loi de finances initiale (LFI) s'était construite sur une hypothèse de 600 allocations distribuées, seulement 80 l'ont finalement été au cours de l'année 2018. J'ai proposé une série de recommandations dans le cadre du rapport de l'an dernier, dédié à ce sujet, afin de permettre le déploiement effectif de cette politique publique. Quelles évolutions envisagez-vous ?
Pour ce Printemps de l'évaluation, j'ai choisi d'étudier plus en détail le financement de l'aide alimentaire. Elle concerne plus de 5 millions de personnes en France. Mais ce chiffre serait, selon les associations, sous-estimé par rapport aux besoins réels. Les bénéficiaires sont à 70 % des femmes, souvent des personnes isolées ou des familles monoparentales. Contrairement aux idées reçues, l'aide alimentaire bénéficie surtout – à 85 % – à des personnes disposant d'un logement stable. Près d'un quart des bénéficiaires a un emploi, le plus souvent à temps partiel. Pour beaucoup, cette aide constitue la porte d'entrée vers un lien social et des mesures d'accompagnement.
Sa mise en oeuvre repose sur un jeu d'acteurs et de financeurs particulièrement complexe.
Elle est l'une des rares politiques sociales impulsées au niveau européen. On se souvient de l'appel de Coluche au Parlement européen en février 1986 pour « ouvrir les frigos de l'Europe ». De 1987 à 2014, le programme européen d'aide aux plus démunis a permis d'écouler la surproduction de la politique agricole commune pour l'aide alimentaire.
Depuis, le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) a pris le relais dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020. L'enveloppe de la France s'élève à 499 millions d'euros, complétée à 15 % par des crédits nationaux, soit 88 millions d'euros. Pour l'année 2018, le financement FEAD s'élève théoriquement à 72,7 millions d'euros provenant de l'Union européenne, complété par 12,8 millions d'euros apportés par l'État français.
Sa mise en oeuvre repose sur une avance de FranceAgriMer. Cet établissement public est en effet chargé d'acheter des denrées, par la voie des marchés publics, et de les mettre à disposition des quatre associations partenaires de l'aide alimentaire que sont les Restos du coeur, la Fédération des banques alimentaires, le Secours populaire et la Croix-Rouge française. Le FEAD constitue ainsi une source d'approvisionnement en produits de base – beurre, sucre, riz, farine, pâtes – qui compense l'instabilité des autres sources d'approvisionnement des associations.
L'État participe au financement de l'aide alimentaire sur l'action 14 du programme 304 de la mission Solidarité. En 2018, 49,3 millions d'euros ont été dépensés à ce titre. Pour 2019, 57 millions d'euros sont prévus. Ces crédits complètent les financements européens, notamment par un soutien aux épiceries sociales, quelques subventions aux associations et des crédits déconcentrés.
En outre, l'aide alimentaire bénéficie de dons des particuliers et des entreprises, encouragés par des dispositions fiscales avantageuses. Pour les particuliers, il est prévu une réduction d'impôt sur le revenu de 75 % de la somme donnée aux organismes d'aide alimentaire. Pour les entreprises, les déductions fiscales au titre du mécénat s'appliquent également aux dons en nature. La loi dite Garot de 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire prévoit que les grandes et moyennes surfaces doivent signer une convention de don alimentaire de leurs denrées invendues avec une ou plusieurs associations habilitées. Si les dons alimentaires ont bondi, leur qualité n'est, pour autant, pas au rendez-vous et les dates limites de consommation des produits ne respectent pas toujours le délai de 48 heures imposé par voie réglementaire. Nous le regrettons, tant les besoins en la matière sont réels.
Comment garantir la qualité des dons des entreprises de la grande distribution ? Au vu des enjeux de solidarité pour les plus démunis qui bénéficient de cette aide alimentaire, mais aussi des enjeux financiers pour l'État, il me semble nécessaire de mettre en place un dispositif adapté, afin d'éviter des dérives coûteuses pour les associations comme pour l'État.
Comme je l'ai précisé précédemment, les fonds du FEAD ne sont accessibles que sur remboursement des avances de l'État français. Obtenir ce remboursement impose de respecter le cadre édicté par le règlement du Fonds et de passer par plusieurs niveaux de contrôles, ce qui explique le décalage d'au moins deux ans observé actuellement entre les dépenses effectives et les remboursements du FEAD. En outre, les remboursements de l'Union européenne peuvent être inférieurs aux engagements pris : sur la campagne de 2014, il manque 3 millions d'euros ; sur celle de 2015, 10 millions, d'après les données transmises par FranceAgriMer.
Plusieurs raisons expliquent cette situation. La Commission européenne a diligenté un audit de la France sur la gestion du FEAD en 2016 et relevé de nombreuses irrégularités en gestion, entraînant un refus d'apurement sur certaines dépenses déjà consommées. Bon nombre de ces irrégularités s'expliquaient par un effet d'apprentissage des administrations, qui n'avaient pas l'habitude des fonds européens. Par la suite, les autorités de contrôle sur les dépenses du Fonds ont continué de relever des irrégularités sur les campagnes d'achat, ce qui les a conduites à déclarer certaines dépenses inéligibles au remboursement de la Commission européenne, dès lors supprimées des appels de fonds envoyés à l'Union européenne. Ces corrections, que la direction générale de la cohésion sociale qualifie d'auto-apurements, risquent de peser sur le budget de l'État dans la mesure où celui-ci s'est engagé à compenser l'intégralité des appels de fonds qui ne seraient pas remboursés par l'Union. Aussi 15 millions d'euros ont-ils été versés sur l'exercice 2017 ; 7,7 millions d'euros pour 2018 ; et sont prévus, pour 2019, 9 millions d'euros, vraisemblablement insuffisants.
Madame la ministre, faudra-t-il compléter l'enveloppe prévue pour FranceAgriMer au cours de l'exécution 2019 ? Êtes-vous confiante quant à la capacité de la France à rattraper les dépenses déclarées inéligibles dans de futurs appels de fonds, afin d'utiliser pleinement l'enveloppe initialement prévue pour la période 2014-2020 ?
En plus de ce risque budgétaire, FranceAgriMer rencontre des difficultés de trésorerie, puisque l'établissement doit avancer les fonds. Il a pu bénéficier de deux lignes de trésorerie de l'Agence France Trésor, mais devrait avoir besoin d'une ligne de 30 millions d'euros supplémentaires en 2019. Madame la ministre, cette aide de trésorerie complémentaire est-elle à l'ordre du jour ?
La France participe aux négociations européennes sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Le FEAD devrait être profondément modifié et refondu dans le Fonds social européen + (FSE+). Je tiens à souligner que le FEAD est l'un des seuls outils de lutte contre la pauvreté en Europe et qu'il serait de mauvais augure de limiter son champ d'action, en cette période de critiques contre l'Union européenne. Quelle est la position défendue par la France en la matière ?
Par ailleurs, comment prévoyez-vous d'éviter de perdre des fonds européens ? Il me semble que la perspective d'un nouveau FSE+ doit constituer, pour nous, l'occasion de repenser les modalités d'utilisation des fonds en France, pour prévenir l'instabilité budgétaire découlant du FEAD. On éviterait ainsi des contrôles et des règles, parfois absurdes, qui ne correspondent pas à une gestion associative. Je sais qu'une réflexion est en cours avec les associations d'aide alimentaire, que je soutiens pleinement. Quelles évolutions préconisez-vous et quelles perspectives envisagez-vous pour l'après-FEAD et le futur FSE+ ? Pouvez-vous garantir aux associations que le financement de l'aide alimentaire sera maintenu à un niveau équivalent, que les fonds proviennent de l'Union européenne ou de l'État ?