Il me semble important de vous rappeler en préambule qui je représente ce matin. La radio, bien sûr, mais plus particulièrement les radios indépendantes, dont la santé affichée dans l'ensemble de nos régions est le résultat de trente ans de politique d'exception culturelle.
Je voudrais vous poser une question simple : savez-vous qui sont les radios indépendantes ? Vous en connaissez forcément et peut-être que certaines et certains d'entre vous les écoutent. À Lyon, je citerai Radio scoop, à Lille, Contact, à Marseille, Radio Star. Partout en France, des radios comme Latina ou Ouï FM, FG, Tropiques FM. Vous les connaissez bien et vous les écoutez, apparemment ! J'en suis ravi, puisque ce matin j'en suis le porte-voix.
Les radios indépendantes, représentées par le SIRTI, sont aujourd'hui au nombre de 169 radios locales, régionales, généralistes et thématiques. Mais elles représentent aussi le quart du chiffre d'affaires de la radio privée en France avec neuf millions d'auditeurs quotidiens, et c'est aussi le premier employeur de la radio privée. Les radios indépendantes, c'est tout simplement la voix des territoires, ceux-là mêmes que vous représentez. Nous disposons en France d'un paysage radiophonique unique : c'est une véritable exception culturelle.
Avant d'évoquer la réglementation de la publicité audiovisuelle et ses évolutions, il faut rappeler comment se finance cette radio que nous aimons tous. Imaginez ce gros gâteau publicitaire qui attise toutes les convoitises et qui vient largement d'être évoqué par mes prédécesseurs. En 2018, le marché publicitaire français a signé sa meilleure croissance depuis neuf ans. Une bonne nouvelle, pour atteindre au global 11,5 milliards d'euros. Deux facteurs expliquent ce dynamisme.
Premièrement, l'augmentation de près de plus de 3 % des investissements en télévision. Deuxièmement, le développement des recettes publicitaires des acteurs internet, GAFAM en tête. Ces deux fortes progressions masquent la baisse des autres médias qui ne profitent pas de la bonne santé du marché publicitaire : la presse écrite, la publicité extérieure et la radio.
Le chiffre d'affaires de la radio baisse depuis dix ans. Et pourtant, même si la concurrence fait rage, l'audience est toujours là : huit Françaises et Français sur dix écoutent la radio encore tous les jours. La grande distribution représente, à elle seule, 50 % des recettes. La consultation ouverte par la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) sur l'ouverture des secteurs interdits, dont la grande distribution, vise à rétablir, pour les médias historiques dont la radio, un certain équilibre face aux géants du Net. Nous ne pouvons bien évidemment que souscrire à cette idée.
Avec les acteurs de la presse et de la publicité extérieure, nous avons fait réaliser une étude d'impact par France Pub, un observateur historique indépendant et reconnu depuis plus de vingt ans par tout le marché, afin de déterminer quelles seraient les conséquences de cette ouverture. Les conclusions de cette étude sont sans appel. Les radios perdraient la moitié de leurs recettes issues de la grande distribution. Pire, l'ouverture de la grande distribution à la télévision ne permettrait pas de création de valeur, mais uniquement un transfert du budget des annonceurs de la distribution vers la télévision et le digital.
Le gâteau ne sera donc pas plus grand, mais les parts seront plus petites pour certains acteurs, dont la radio. Même si certaines radios adossées à de grands groupes nationaux pourraient peut-être récupérer d'un côté ce qu'elles perdraient de l'autre, ce n'est pas le cas pour toutes les radios. Cela condamnerait tout particulièrement de très nombreuses radios de territoires présentes depuis des décennies à disparaître de manière irrémédiable, dont celles que nous avons évoquées.
Le second pan de la consultation de la DGMIC concernait cette fameuse publicité segmentée ou adressée. Qu'est-ce que la publicité segmentée ? C'est la publicité qui cible des hommes, des femmes, des catégories socioprofessionnelles, des tranches d'âge, mais aussi des régions, des villes et pourquoi pas demain, des quartiers, des rues, voire des individus. Comme la presse quotidienne régionale, les radios locales et régionales, et pas seulement les radios indépendantes, en représentent déjà une partie considérable. Car les radios locales par définition, font déjà de la publicité adressée : leur publicité est déjà de la publicité segmentée.
Nous sommes donc inquiets du projet, relativement vague aujourd'hui, d'autorisation de la publicité segmentée. Les radios privées sont financées exclusivement par la publicité, pas par l'impôt : 100 % ou presque de leurs revenus proviennent de la publicité. Elles supportent, comme la télévision, des charges fiscales et des obligations réglementaires souvent obsolètes.
Pourquoi la radio, et particulièrement les radios indépendantes, devraient-elles être sacrifiées ? J'entends ceux qui nous accusent encore de tenir un discours passéiste. Je les rassure : nous n'avons pas attendu Deezer ou Spotify pour que nos programmes et webradios inondent le web, avec succès, ou pour faire des podcasts. Netflix, et les plateformes de vidéos bouleversent le monde de la télévision et son modèle économique. Le duopole Google et Facebook prend des parts de marché publicitaire.
Croyez-vous vraiment que seule la télévision soit touchée ? Posez-vous la question des plateformes musicales et des enceintes connectées la prochaine fois que vous écouterez la radio. La radio subit aussi de plein fouet la concurrence du digital. Alors, pourquoi vouloir autoriser la publicité segmentée et celle de la grande distribution, au bénéfice, principalement, de la télévision, alors que la radio a aujourd'hui, et plus que jamais, besoin de ces ressources pour réussir, elle aussi, sa transition numérique ?
Le marché publicitaire et les équilibres entre médias ont été ainsi bâtis au nom de l'exception culturelle. Comment évoluer sans prendre en compte les conséquences de cette évolution sur la radio ?
La radio avance. Le DAB+, la radio numérique terrestre, vient enfin d'être lancée. Assurément, c'est la plus grande révolution de la radio depuis les fameuses radios libres des années 1980. Nous aurons besoin, dans les trois ans qui viennent, de 60 millions d'euros par an pour en financer le déploiement. Il n'y a pas de révolution sans argent. Si, demain, sont autorisés la publicité pour les secteurs interdits et une publicité segmentée mal encadrée et mal définie, qui donnera un accès trop poussé à la localité, qu'adviendra-t-il de notre paysage radiophonique français si unique ?
Mesdames et Messieurs les députés, sur qui compterez-vous dans vos territoires pour créer du lien social et diffuser des informations de service public, pratiques et culturelles quand les médias locaux auront disparu faute de financement ? Sur la télévision ou sur Facebook, alors que la radio est écoutée partout, par tous, et tous les jours ?
Quel paysage radiophonique voulons-nous pour demain ? Quelle responsabilité politique voulons-nous tous porter ?
Le problème des GAFAM ne se réglera pas par des décisions qui opposent les médias dits historiques, mais par un travail de concertation, déjà engagé par cette assemblée, et au niveau européen.
À un an des élections municipales, alors que notre pays a souffert ces derniers mois du mal-être de nombre de nos concitoyens, la proximité doit être au coeur de nos préoccupations. La radio en est un maillon essentiel, ne l'oublions pas.