Intervention de Fabienne Colboc

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabienne Colboc, rapporteure pour avis :

À partir d'un échantillon de commentaires publiés sur vingt-quatre pages Facebook de grands médias français, une étude sur la haine en ligne conduite en 2019 par la société de modération Netino estimait que 14 % de ces commentaires comportaient des propos haineux ou agressifs. Cela témoigne d'une évolution inquiétante que le législateur doit considérer à sa juste mesure.

C'est d'ailleurs tout l'objet de la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise par notre collègue Laëtitia Avia, et dont la commission a souhaité se saisir pour avis. Partant du constat d'une augmentation considérable des discours de haine sur internet, permise par la viralité propre aux réseaux sociaux, la proposition de loi vise à mettre fin à l'impunité quasi-totale dans laquelle évoluent aujourd'hui les auteurs de tels propos, et à mobiliser les plateformes, dont l'action pour combattre les contenus haineux est pour l'heure limitée à ce que la loi française rend obligatoire.

Dont acte : la proposition de loi rendra obligatoire le retrait en 24 heures des contenus contrevenant manifestement aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse relatives aux provocations à la haine, à la discrimination ou à la violence et aux injures à raison de la race, de la religion, de l'ethnie, du sexe ou du handicap.

Il est grand temps d'établir une législation efficace pour assurer le respect, par des plateformes virtuelles, de lois conçues pour le monde réel. Alors qu'ils se retranchent systématiquement derrière leur statut d'hébergeur et le possible engagement de leur responsabilité juridique par des tiers, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de contenus mis en ligne par leurs utilisateurs doivent combattre de façon plus volontaire l'hydre numérique qu'ils ont contribué à créer. C'est leur modèle économique, fondé sur l'exploitation algorithmique de nos données, qui nourrit l'enfermement intellectuel et l'intolérance croissante aux opinions contraires. C'est l'impunité totale des auteurs anonymes de propos haineux sur internet qui favorise leur expression exponentielle, mais également leur banalisation dans la vie réelle.

C'est pourquoi la proposition de loi prévoit plusieurs mesures tendant à renforcer de façon conséquente les obligations à la charge des opérateurs de plateforme. Au-delà de l'obligation de retrait déjà évoquée, ils auront dorénavant une véritable obligation de moyens dans ce domaine. Il leur faudra notamment répondre au CSA, dont les missions sont complétées pour lui permettre d'exercer un contrôle fin de l'action des plateformes en matière de lutte contre la haine en ligne. Un pouvoir de sanction, nouveau et dissuasif, pourrait lui être confié à l'égard des opérateurs de plateforme en ligne qui ne se conformeraient pas pleinement à la loi.

C'est à ce titre que la commission des Affaires culturelles et de l'Éducation a souhaité se saisir pour avis. En effet, les missions du CSA ont été récemment modifiées, notamment par la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, et sont appelées à évoluer à la faveur du futur projet de loi sur la régulation audiovisuelle. Il s'agit donc de veiller à la cohérence de l'ensemble normatif, afin de donner à la loi sa pleine efficacité.

Suivant l'avis du Conseil d'État, je vous proposerai plusieurs amendements tendant à ce que la sanction prononcée par le CSA contre les plateformes réponde non pas à une obligation de résultat, mais bien à l'obligation de moyens qui leur est faite, dans un cadre juridique plus cohérent avec la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. L'application littérale de la proposition de loi ne paraît pas opportune, pour des raisons tant juridiques que pratiques ; c'est pourquoi il nous faut la modifier pour donner à ces dispositions toute leur portée.

La compétence de la commission en matière d'éducation et de jeunesse justifie également sa saisine. Bien qu'aucune disposition de la proposition de loi ne concerne pour l'heure ce public en particulier, j'estime nécessaire de renforcer les outils existants, notamment au sein de l'Éducation nationale, pour permettre une prévention adéquate chez les mineurs et assurer leur protection vis-à-vis des contenus haineux auxquels ils sont involontairement, mais de plus en plus fréquemment, exposés.

Je vous proposerai également de renforcer les obligations des plateformes qui permettent l'inscription de personnes mineures sur leurs services en dessous de l'âge de 15 ans – âge de la majorité numérique. En dessous de cet âge, elles devront obligatoirement sensibiliser les enfants et leurs parents à la diffusion de la haine en ligne et les informer des risques juridiques encourus. C'est un axe majeur de prévention, car bien souvent, les parents n'ont qu'une conscience très limitée des risques que leurs enfants encourent dans l'environnement numérique et de la responsabilité juridique qui est la leur en cas d'infraction.

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