Après les tempêtes budgétaires essuyées par la mission Défense en 2017, l'année 2018 aura été celle de l'accalmie. Il faut s'en féliciter. En effet, la programmation militaire que nous avons votée en juin dernier pour les années 2019 à 2025 ne peut s'envisager que dans un cadre budgétaire maîtrisé et apaisé. L'entrée en LPM, que tous nos interlocuteurs au sein de la communauté militaire nous disaient attendre avec impatience, supposait le rétablissement, dès 2018, d'une trajectoire lisible et crédible. On peut affirmer aujourd'hui que, globalement, c'est chose faite.
Cette amélioration tient notamment à la volonté du Président de la République d'engager dès 2018 le processus de remontée en puissance qui s'étendra tout au long de la LPM. Le Parlement a ainsi voté, en loi de finances pour 2018, une hausse de 1,8 milliard d'euros des crédits de la mission Défense. Ceux-ci ont ainsi été portés à 34,2 milliards hors compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, auxquels se sont ajoutés 190 millions d'euros de recettes issues de cessions. Les ressources de la mission se sont donc élevées à 34,4 milliards d'euros hors CAS Pensions et à 43,3 milliards au total.
Selon le ministère des armées, l'effort de défense rapporté au PIB est donc passé à 1,82 % en 2018, contre 1,77 % en 2017.
La quasi-intégralité de ces crédits a été consommée. Quant à la réserve de précaution, établie pour la première fois à 3 %, et non plus à 8 %, elle a été levée dans sa quasi-totalité en fin de gestion.
Dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire, la Cour des comptes parle avec raison de « cohérence retrouvée ». Pour autant, deux points doivent retenir notre attention. Tout d'abord, l'internalisation du financement des surcoûts OPEX et missions intérieures, que mon collègue François Cornut-Gentille a évoquée avant moi. Contrairement aux années précédentes, ces surcoûts ont été financés sans aucun recours à la solidarité interministérielle. A contrario, les crédits de la mission Défense ont été préservés de la contribution interministérielle au redressement des finances publiques en loi de finances rectificative (LFR) de fin d'année. Ont ainsi été mobilisés en LFR des crédits issus du programme 146 Équipement des forces, à hauteur de 404 millions d'euros. Mais le financement des surcoûts a également été assuré par des redéploiements internes, à hauteur de 148 millions d'euros.
Cet élément nous conduit au second point saillant de l'exécution du budget 2018, à savoir un schéma d'emplois réalisé bien en deçà de la cible fixée en loi de finances initiale. C'est sur ces problèmes de recrutement et de fidélisation que j'ai souhaité faire porter mon évaluation, ainsi que sur un des dispositifs que vous avez créés pour tenter d'y répondre, madame la ministre : je veux parler du plan Famille.
L'année 2018 devait marquer le début de la remontée des effectifs, après les fortes déflations des quinze dernières années et la stabilisation opérée à partir de 2015. Le schéma d'emplois validé en loi de finances initiale s'élevait à + 518 équivalent temps plein (ETP). En cours de gestion, il est également apparu que le schéma d'emploi de 2017 avait été sous-exécuté à hauteur de 411 ETP. Afin de rattraper ce déficit, le schéma d'emplois cible défini en suivi de gestion a donc été porté à + 929 ETP. Au regard de cet objectif, la sous-exécution s'est établie à – 583 ETP. Le sous-effectif des personnels militaire en 2018 (– 952 ETP) est partiellement compensé par un sureffectif (+ 369 ETP) du personnel civil. Il sera donc nécessaire d'opérer un rattrapage important en gestion 2019, pour atteindre l'objectif de la LPM fin 2019. Madame la ministre, disposez-vous d'ores et déjà de données qui pourraient nous rassurer pour l'année en cours ?
Les difficultés de recrutement et de fidélisation sont particulièrement sensibles pour les militaires du rang et pour les sous-officiers, ainsi que pour les compétences rares : cyberdéfense, renseignement, atomiciens, techniciens. La rotation des effectifs militaires, on le sait, est considérable : environ 26 000 militaires par an sur un effectif total de 207 000. C'est la condition du maintien d'une armée jeune et opérationnelle. Mais les déséquilibres s'en trouvent considérablement amplifiés dès que le contexte se modifie – en l'occurrence, un marché de l'emploi plus dynamique et plus concurrentiel. En effet, le haut niveau de qualité de la formation des militaires rend leur profil attractif pour le secteur privé. Le renforcement de l'attractivité de la carrière militaire est donc une impérieuse nécessité. Le dispositif de la prime en lien avec le service contribuera à y répondre dès cette année. S'y ajoute la reprise stratégique du recrutement d'ouvriers de l'État sur des profils de techniciens spécialisés, sur fond d'une déflation de l'effectif global des ouvriers.
Quelles améliorations pouvons-nous attendre de la réforme qui s'engage en matière de rémunération, la nouvelle politique de rémunération des militaires ? Pensez-vous que cette clarification nécessaire sera également un facteur de fidélisation des personnels militaires ?
Par ailleurs, j'ai perçu, au cours des nombreuses auditions que j'ai menées, une inquiétude réelle quant à l'avenir du régime particulier des retraites des militaires. Vous nous avez assuré que la singularité de ce régime serait préservée dans le cadre de la réforme globale. Peut-être faudra-t-il préciser, pour rassurer la communauté de défense, selon quelles modalités pratiques ce régime s'articulera avec le nouveau régime global.
Enfin, quelles sont les initiatives que vous avez prises en matière de campagne de recrutement ? L'information des jeunes est-elle suffisante, à tous les stades de leur scolarité, sur les opportunités de formation, de carrière et de promotion sociale que leur offrent les armées ?
Par ailleurs, 2018 aura été la première année de mise en oeuvre du plan Famille. Le 31 octobre 2017, madame la ministre, vous aviez présenté ce projet dont l'intitulé exact est « Plan d'accompagnement des familles et d'amélioration des conditions de vie des militaires 2018-2022 ». Les mesures nouvelles de ce plan représentent 300 millions d'euros de crédits nouveaux sur cinq ans. La LPM a confirmé ce plan et étendu sa durée à la période 2019-2025, en prévoyant un effort financier de près de 530 millions d'euros.
Le ministère des armées a mis en place un dispositif de suivi très précis permettant d'évaluer l'application des différentes actions prévues, y compris celles qui n'ont pas de traduction budgétaire. En 2018, année de démarrage, plus de 80 % des 46 actions du plan ont connu des réalisations concrètes. Peuvent notamment être cités le wifi gratuit en garnison, le portail e-social des armées depuis le 20 juin 2018, la maison numérique du blessé, la prestation sociale d'absence du domicile, les actions en faveur des enfants – nouvelles places en crèches, notamment –, l'augmentation des crédits d'amélioration des conditions de vie en garnison et la création de trois premières cellules d'information et d'accueil des familles dans les bases de défense de Nancy, Mourmelon-Mailly et Brest-Lorient.
Il faut également mentionner l'action qui prévoit que plus de 80 % des ordres de mutation soient édités cinq mois avant la date d'affectation. En 2018, cette mesure a été effective pour la plus grande partie des forces armées et des formations rattachées. Elle a ainsi concerné 70 % des ordres de mutation dans l'armée de terre, 88 % des ordres de mutation dans la marine et 82 % des ordres de mutation dans l'armée de l'air.
Pour en venir au volet strictement budgétaire, le montant des dépenses exécutées au titre du plan Famille en 2018 s'élève à 23,47 millions d'euros en crédits de paiement, soit environ 85 % de plus que la prévision initiale de 12,7 millions. Cette surexécution s'explique principalement par la mise en oeuvre anticipée de certaines mesures emblématiques, comme le déploiement du wifi en garnison. Les mesures relatives au logement et à l'hébergement ont, elles aussi, fait l'objet d'une surexécution, le montant de la dépense s'élevant à 12,5 millions d'euros contre 5,4 millions en prévision.
En revanche, les mesures relatives à la formation professionnelle du conjoint n'ont pas encore trouvé de véritable traduction concrète, le nombre de dossiers déposés étant encore très faible par rapport à l'objectif d'accompagnement de 1 000 personnes pour un budget de 2,5 millions d'euros. Pourriez-vous, madame la ministre, nous faire un bref point sur les enseignements que vous tirez de cette première année de mise en oeuvre et sur les priorités que vous vous êtes fixées pour 2019 ?
En dépit des points de vigilance que j'ai signalés, 2018 me semble être l'année de la sérénité retrouvée pour le budget des armées. C'était, en vérité, une nécessité, car les enjeux stratégiques, opérationnels, humains et technologiques de la LPM 2019-2025 sont immenses. Une gestion rigoureuse, transparente et sans à-coups est une des clefs de la réussite face à ces défis.