Intervention de Florence Parly

Réunion du lundi 3 juin 2019 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Florence Parly, ministre des armées :

Quelles mesures envisageons-nous pour fidéliser nos personnels ? Je l'ai déjà précisé, une prime de lien au service a été mise en place en 2019 pour répondre aux besoins particuliers dans des spécialités très recherchées, afin que les carrières y soient plus longues. Nous attendons les premiers effets de cette mesure, mais pas avant le second semestre de cette année. Il est donc un peu prématuré d'en parler.

En outre, afin d'introduire davantage de flexibilité, nous avons adapté la durée des contrats. Au lieu de signer un seul contrat de cinq ans, nous essayons d'être plus flexibles, en particulier lorsqu'il s'agit d'un renouvellement de contrat, afin de tenter de tenir compte des projets des militaires en fin de contrat.

Vous ne serez pas surpris si je vous dis que nous concentrons également nos efforts en direction d'un vivier encore peu exploité, celui des personnels féminins. Nous avons en effet de grands progrès à réaliser dans le recrutement des femmes dans nos armées. Plus globalement, dans le cadre de l'exécution de la LPM, nous allons mettre en oeuvre des mesures indemnitaires liées à une nouvelle politique de rémunération. Nous y travaillons. Nous aurons certainement l'occasion d'en rediscuter ultérieurement.

Nous sommes également attentifs à l'évolution du régime des retraites. Les militaires ont une conception globale de leur statut, qui s'appuie sur une combinaison de conditions posées au moment du recrutement : exigences en termes de formation initiale, de niveau de rémunérations, capacité à entamer une deuxième carrière et à acquérir dans les armées des compétences réutilisables dans la vie économique civile, etc. La question des retraites est centrale dans les enquêtes régulièrement menées sur le moral des armées. Ce dernier est excellent, mais tout le monde s'inquiète des conséquences du nouveau système de retraite sur lequel le haut-commissaire Delevoye travaille actuellement. Je considère que le dispositif de retraite propre aux militaires participe directement à l'attractivité du statut. Je ne suis d'ailleurs pas la seule à le dire. Il est absolument fondamental de ne pas le remettre en cause.

Parmi les outils complémentaires visant à améliorer la fidélisation, nous cherchons à faciliter l'entrée dans la carrière d'officier ou de sous-officier des militaires contractuels, en leur proposant des formations. Le plan Famille tend, quant à lui, à améliorer les conditions de vie des personnels et de leurs familles. Dès l'automne 2017, j'ai souhaité le mettre en oeuvre par anticipation, avant même que vous ne le consolidiez dans la loi de programmation. C'est pourquoi, en 2018, nous avons surexécuté ce plan qui a vocation à se déployer sur les sept années de la LPM à hauteur de 530 millions d'euros. Il vise à répondre au problème des absences opérationnelles et à faciliter l'intégration des familles dans la communauté militaire, dans un contexte sociologique qui évolue très vite – les conjoints et conjointes de militaires étant eux-mêmes actifs, cette intégration ne se pose plus du tout dans les mêmes termes. Il vise aussi à mieux vivre la mobilité géographique, alors que le taux d'activité des conjoints est désormais très important. Nous souhaitons également améliorer les conditions de logement – un énorme chantier est devant nous – et faciliter l'accès des familles à l'accompagnement social du ministère. Enfin, nous voulons améliorer les conditions d'hébergement et de vie de la population très spécifique des célibataires ou célibataires géographiques – quand leur conjoint est actif.

Nous avons sélectionné quarante-six mesures. En 2018, 80 % d'entre elles ont été concrétisées. Si je devais faire le palmarès de celles qui ont rencontré le plus grand succès, le wifi gratuit remporterait le concours haut la main ! Nous avons équipé 108 000 lits en 2018 et nous passerons à 137 000 fin 2019. Une mesure est intervenue un peu plus tard en 2018 : la renégociation de la convention avec la SNCF, qui comprend une avancée très appréciée, et saluée par les militaires – le bénéfice des tarifs préférentiels pour les familles de militaires, même lorsqu'elles voyagent sans ces derniers, ce qui n'était pas le cas auparavant. Désormais, la famille d'un militaire projeté en opérations extérieures ou réquisitionné dans le cadre de Sentinelle peut pleinement bénéficier de ces tarifs.

J'ai souhaité que le plan Famille soit évolutif. J'ai donc lancé fin mars une enquête et un appel à idées auprès de la communauté militaire pour procéder aux ajustements qui pourraient s'imposer. J'ai également formulé une deuxième demande : mettre en oeuvre le chapitre Ier de la loi de programmation militaire « à hauteur d'homme ». Ainsi, en 2019, chaque unité, chaque régiment, chaque base pourra bénéficier d'un projet concret d'amélioration de ses conditions de vie. C'est le terrain qui déterminera les projets sélectionnés. Pour ce faire, nous avons déconcentré des crédits afin de responsabiliser les commandants de base de défense et de répondre rapidement aux demandes.

M. Giraud m'interroge sur l'internalisation des surcoûts : va-t-elle devenir la règle ou l'exception ? Je ne peux pas me prononcer. Je l'ai déjà dit, j'aimerais que cela reste une exception, d'autant plus que 2018 était la dernière année d'exécution de la précédente loi de programmation militaire. La nouvelle réaffirme ce principe de solidarité interministérielle, tout en le précisant. De telles dispositions n'ont donc pas vocation à rester lettre morte.

J'y vois néanmoins un risque – ou une tentation pour ne pas m'exprimer comme Bercy : si le coût des opérations extérieures et des missions intérieures reste à peu près stable au niveau actuel, plus le niveau de la provision va s'élever, plus on risque de nous opposer que le reste à financer est si modeste qu'il s'apparente à l'épaisseur du trait ! L'histoire n'est pas encore écrite et je compte beaucoup sur vous – et sur votre vigilance – pour que cela reste une exception et ne devienne pas la règle.

Vous avez parfaitement raison de rappeler que la loi de programmation des finances publiques crée une pression sur tous les gestionnaires de personnels, en éliminant les emplois vacants au-delà de certains seuils. Cela justifie pleinement les mesures que j'ai rapidement présentées, ainsi que la mise sous tension du système de recrutement, d'autant que nous n'avons pas pu résorber le retard pris avant le début de l'exécution de la loi de finances pour 2018.

À M. Jean-Charles Larsonneur qui m'a demandé quelles opérations d'armements ont été décalées, j'indique qu'il reste à reprogrammer environ 240 millions d'euros de programmes d'équipement du fait des annulations intervenues, sur lesquels 160 à 170 millions sont prévus sur l'exercice 2019. Pour revenir au sujet de préoccupation récurrent que constitue l'hélicoptère Caracal – mais il faut toujours avoir de la suite dans les idées, monsieur Ferrara... –, nous allons examiner la façon dont nous pouvons au mieux reprogrammer cet équipement si cher à notre coeur.

En réponse aux observations de M. de Ganay, je précise que les annulations intervenues sur le programme 146 n'ont pas eu de conséquences sur la sécurité et les conditions d'opérations de nos soldats. Nous reprogrammons certes ce qui doit l'être, mais nous avons fait porter l'effort sur le plus urgent, c'est-à-dire sur le petit équipement des militaires : treillis de nouvelle génération, nouveaux gilets pare-balles, livraison du nouveau fusil d'assaut. Nous n'avons donc pas sacrifié la sécurité et la qualité des équipements de nos soldats sur l'autel de la rigueur budgétaire.

S'agissant des cessions immobilières, monsieur de Ganay, nous aurons dans quelque temps l'occasion d'évoquer les conditions dans lesquelles la cession de la partie dite « fructifière », pour reprendre le terme consacré, de l'îlot Saint-Germain se sera dénouée. Je crois que vous pourrez constater le moment venu qu'elle s'est déroulée dans d'excellentes conditions. En tout cas, je partage pleinement votre conclusion : oui, le sacrifice de nos hommes et de nos femmes nous oblige, et nous y veillons quotidiennement.

Pour ce qui concerne le niveau de préparation des forces terrestres, je reconnais que la LPM qui s'est achevée le 31 décembre 2018 n'a pas permis la remontée au niveau fixé pour le contrat opérationnel. Certes, l'armée de terre a dû absorber la mise en place de l'opération Sentinelle sans modification de l'objectif de ce contrat, mais nous ne pouvons pas pour autant nous satisfaire de rester durablement au niveau constaté à la fin de l'année 2018. C'est pourquoi nous restons concentrés sur la mise en condition de nos hommes avant projection, avant de pouvoir nous consacrer à la mise en condition de la totalité de l'effectif, quelle que soit la finalité d'emplois immédiate. À compter de 2023, l'augmentation de l'activité opérationnelle et l'atteinte progressive des normes établies permettront d'aboutir à une nouvelle capitalisation de l'ensemble des savoir-faire.

Par ailleurs, ainsi que vous l'avez indiqué, la montée en puissance du SNU sera rapide puisque nous passerons de 3 000 jeunes en 2019 à 40 000 en 2020. Cela constitue-t-il un problème du point de vue du recrutement lorsque la JDC aura totalement disparu ? Pour ma part, je ne le crois pas, mais Geneviève Darrieussecq pourra compléter ma réponse. Certes, les jeunes auront 16 ans au lieu de 18 ans, mais la durée de formation et de sensibilisation aux questions de sécurité, et en particulier tout ce qui a trait au lien armée-nation, n'en sera pas moins très fortement enrichie. Si le délai est allongé, l'efficacité du dispositif sera beaucoup plus grande. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que nous recrutons des jeunes avant 18 ans puisque, pour un certain nombre de postes, il n'y a aucune exigence en termes de formation préalable. Je ne peux pas prédire ce qu'il adviendra, mais je crois que nous devrions améliorer l'efficacité de la sensibilisation des jeunes aux perspectives de carrière que nous offrons.

M. Marilossian a indiqué que l'exécution du budget de la marine dans le programme 146 avait été très bonne en 2018. Je rappelle que la suractivité de la marine a été très concentrée dans quelques domaines. Ainsi, ce n'est pas manifeste pour les bâtiments de surface, les sous-marins et l'aéronavale. En revanche, le phénomène est extrêmement marqué pour ce qui concerne l'activité des fusiliers marins et des commandos de marine, dont la moyenne d'engagement a été de 160 jours dans l'année pour ces derniers ; bien évidemment, je ne commente pas l'intensité des opérations dans lesquelles ces unités ont été impliquées.

C'est avec raison que vous soulignez que le taux de disponibilité est globalement satisfaisant, mais reste très fragile et connaît une grande hétérogénéité en fonction des matériels. Vous vous interrogez sur les mesures plus spécifiques que nous pourrions envisager pour fidéliser les personnels de la marine. Je souhaiterais vous faire part de la décision que nous avons prise, mais que je n'ai pas eu l'occasion de partager avec vous, de tester sous forme d'expérimentation le double équipage pour deux FREMM et un patrouilleur léger guyanais. Il s'agit de concilier vie professionnelle et vie familiale. Or il est extrêmement difficile pour les marins de gérer la totale imprévisibilité tant de la date à laquelle ils vont embarquer que de la durée de la mission. Il nous a donc semblé raisonnable de tester un système, dont il faut évidemment pouvoir assurer le financement et la soutenabilité à terme, permettant de rendre totalement prévisibles la date de l'embarquement ainsi que sa durée. Le même dispositif existe pour les sous-marins et nous allons donc l'expérimenter pour deux bâtiments de surface.

Vous m'avez encore interrogée sur le développement du programme dit MCM, programme de chasse aux mines, qui est une vieille histoire avec nos amis belges et néerlandais. Les chasseurs de mines tripartites ont été un très grand succès, mais depuis 2008, nous sommes tournés vers un projet ambitieux, avec un nouveau programme qui répond au joli nom de SLAMF (Système de lutte antimines du futur). La Belgique et les Pays-Bas ont passé en mars dernier un marché avec Naval Group et ECA Group pour douze bâtiments et leur charge utile. Les choses sont donc plutôt bien orientées.

J'ai déjà répondu sur le Caracal à Jean-Jacques Ferrara, qui a rappelé le niveau d'engagement exceptionnel de nos aviateurs. Que peut-on faire pour améliorer la préparation opérationnelle de nos aviateurs ? Il faut commencer par améliorer le taux de disponibilité de nos appareils, car la faible préparation opérationnelle est le résultat concomitant de l'engagement répété des aviateurs les plus expérimentés sur les théâtres d'opérations extérieures, et du fait que la disponibilité des appareils étant insuffisante, nous entraînons toujours les mêmes pilotes sur les avions qui fonctionnent en métropole afin de pouvoir les projeter à nouveau en OPEX. Par ailleurs, il est encore un peu tôt pour pouvoir tirer un bilan de la mise en place de la direction de la maintenance aéronautique, cela d'autant moins que celle-ci, qui a pour mission de renégocier avec les industriels des contrats verticalisés avec un chef de file parfaitement identifié afin d'éviter la dilution des responsabilités, a commencé par une flotte d'hélicoptères-écoles au profit de l'aviation légère de l'armée de terre. Elle s'attaque maintenant aux grands contrats qui concerneront les appareils de l'armée de l'air. Le contrat Rafale est en cours de renégociation, ce qui était son échéance normale. D'autres contrats viendront ensuite, sans doute plus exigeants encore en termes de discussions avec les industriels.

M. le député Quentin m'a interrogée sur le Fonds européen de défense. Je précise que la version de préfiguration, le PEDID, doté de 500 millions d'euros a déjà réservé des sommes au profit de deux programmes importants dans lesquels la France est impliquée. Il s'agit, d'une part, de 100 millions d'euros pour l'eurodrone MALE – la balle est donc dans le camp des quatre pays qui gèrent ce programme – et, d'autre part, d'une trentaine de millions d'euros pour le programme de radio logicielle, dit ESSOR.

Pour ce qui est du passage au format du Fonds européen de défense, la vraie question est celle de la capacité des nouvelles institutions européennes à confirmer les options tracées par la Commission sortante consistant à investir 13 milliards d'euros dans ce fonds au cours des années 2021 à 2027. Les règlements ont été adoptés : il ne reste plus qu'à confirmer le niveau des financements, ce qui n'est pas une petite affaire.

S'agissant de l'IEI, une première réunion ministérielle a été tenue à l'automne 2018, et les états-majors se sont réunis à deux reprises récemment. Nous ferons le bilan de cette première année en septembre prochain dans le cadre de la réunion ministérielle, organisée par les Pays-Bas. J'insiste sur cette dimension qui montre l'appropriation européenne rapide de nos partenaires.

En ce qui concerne le G5 Sahel, le manque de moyens, de formation et d'entraînement est bien réel, mais il faut mesurer l'ampleur de l'effort accompli par ces forces armées, qui ne sont pas les plus riches du monde ni les plus nombreuses. C'est un défi colossal qu'elles relèvent avec beaucoup de courage et d'engagement. La pause marquée pendant six mois dans les opérations menées par la force conjointe du G5 Sahel n'a probablement pas aidé à convaincre la communauté internationale d'accélérer la mobilisation des 400 millions d'euros promis. Mais nous sommes un certain nombre à maintenir une forte pression pour que ces promesses se transforment en dons. Pour ma part, je ne crois pas au financement sous chapitre VII de la charte des Nations unies pour la très simple raison que les États-Unis y sont totalement opposés.

Enfin, le rapprochement de Fincantieri et Naval Group peut apporter beaucoup. Le conseil d'administration des deux entreprises s'est réuni au mois d'avril pour acter ce rapprochement et la constitution d'une joint-venture. Cela devrait permettre d'éviter ces situations ubuesques où des européens sont en compétition entre eux sur un marché où la compétition est mondiale.

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