La majorité a décidé que ce texte devait être renvoyé en commission, parce qu'il s'intégrait « parfaitement dans le grand débat », selon les mots de M. Cazeneuve, mais le grand débat est terminé, et ses conclusions ont montré que le Gouvernement et sa majorité restent fidèles à leurs principes : ne pas écouter l'opposition lorsqu'elle soulève des problèmes, puis balayer d'un revers de la main les solutions qu'elle propose, se rendre compte que ces solutions n'étaient pas si mauvaises, revenir enfin vigoureusement sur leurs positions en oubliant qu'ils défendaient l'exact contraire quelques mois plus tôt, mais en s'arrêtant au milieu du gué, sans doute pour se ménager le plaisir d'une future volte-face. Nous prenons donc la majorité au mot et décidons de poursuivre la discussion de cette proposition de loi en commission.
Nous regrettons que la motion de renvoi en commission ait été adoptée. Cette adoption révèle une double incohérence.
Chers collègues, vous avez renvoyé le texte en commission, estimant que les travaux de la commission n'étaient pas satisfaisants, mais c'est vous qui avez décidé du sort de ce texte en commission. Faut-il comprendre que, le 4 avril dernier, en adoptant la motion de renvoi en commission, la majorité de l'hémicycle a souhaité déjuger la majorité de la commission, qui, elle, avait rejeté la proposition de loi en commission le 27 mars ? Vous n'aviez qu'à davantage amender le texte lorsque vous le pouviez. Vous n'aviez qu'à voter autrement. Ce choix montre en fait que vous êtes en réalité très « ancien monde ». Il révèle que votre utilisation des motions n'est en vérité qu'un artifice de procédure. Vous n'êtes pas les premiers à en user, mais ne prétendez pas avoir changé la façon de faire de la politique, parce qu'en réalité vous recourez à des artifices très grossiers.
Cela m'amène à la seconde incohérence : vous utilisez une motion de renvoi, alors même que vous venez de la supprimer dans le Règlement de l'Assemblée, précisément parce que vous considérez qu'elle a été détournée de son but. Et vous avez adopté seuls la réforme du Règlement ! Votre majorité est celle qui a le plus utilisé la motion de renvoi en commission. Vous en avez adopté seize en deux ans, dans le seul but d'empêcher de discuter les niches des oppositions. Ce sont quatre motions adoptées de plus que sous toute la législature précédente. Où est donc la cohérence, chers collègues de la majorité ? Ne prétendez pas être à l'écoute des propositions de l'opposition. Vous savez vous-mêmes que vous ne l'êtes pas.
Nous voilà donc contraints à cet exercice voulu par la majorité. Dont acte. Nous allons donc vous réexpliquer pourquoi aujourd'hui, plus encore qu'il y a deux mois, il est opportun que nous adoptions cette proposition de loi qui ne concerne pas moins que la question du pouvoir d'achat de nos concitoyens.
Les prétextes invoqués pour justifier ce renvoi en commission étaient de deux ordres. D'une part, suffisamment aurait déjà été fait pour le pouvoir d'achat – interrogez donc nos concitoyens et nous verrons ce qu'il en est. D'autre part, la proposition aurait été trop coûteuse et non financée – mais, vous-même, avez-vous fait le nécessaire pour financer vos propres propositions ?
En tout cas, le groupe Les Républicains ne considère pas que les problèmes de pouvoir d'achat des Français aient été réglés, quand bien même certains indicateurs statistiques indiqueraient une amélioration de la situation depuis la fin de l'année 2018. D'une part, comme nous l'avons déjà montré lors de la réunion de notre commission le 27 mars dernier et lors de la discussion générale en séance, la hausse du pouvoir d'achat au cours des derniers mois est nettement plus réduite si l'on s'intéresse à l'évolution du pouvoir d'achat par unité de consommation, mesure évidemment plus proche de la réalité vécue par nos concitoyens. Selon les chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le pouvoir d'achat des ménages aurait ainsi augmenté de 0,9 % au premier trimestre, mais le pouvoir d'achat par unité de consommation de 0,7 %. D'autre part, elle est très inégalement répartie. Les mesures sociales et fiscales prises par le Gouvernement ces derniers mois ont surtout bénéficié – vous le savez – aux salariés du privé ; les inactifs en général et les retraités en particulier en sont très largement exclus.
La fin du grand débat national et les conclusions qui en ont été tirées par le Président de la République ont d'ailleurs montré que la question du pouvoir d'achat restait au coeur des préoccupations de nos concitoyens et que la majorité estimait nécessaire d'y apporter des réponses. Elle s'est pour partie inspirée – c'est heureux – des propositions figurant dans cette proposition de loi du groupe Les Républicains défendue par le président Woerth. C'est le cas pour ce qui concerne la baisse de l'impôt sur le revenu et la revalorisation des pensions.
À l'issue du grand débat national, le Président de la République a reconnu que le pouvoir d'achat et la justice fiscale étaient des préoccupations importantes des Français. Il a ainsi annoncé plusieurs mesures : une baisse de l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros ; le renoncement à la désindexation des pensions inférieures à 2 000 euros pour 2020 ; la décision de porter à 1 000 euros la pension minimale pour les carrières complètes effectuées dans le privé ; la reconduction de la prime exceptionnelle défiscalisée et désocialisée.
Nous avions proposé une diminution des taux applicables aux deux premières tranches de l'impôt sur le revenu, la majorité se rallie à l'idée d'une baisse d'impôt sur les deux premières tranches. Nous avions proposé de réindexer les pensions sur l'inflation pour 2019 et de renoncer à la désindexation pour 2020, la majorité reconnaît que son intention de maintenir la désindexation une deuxième année consécutive n'était pas tenable. En renonçant à la désindexation des pensions inférieures à 2 000 euros, le Gouvernement reconnaît partiellement l'injustice dont les retraités avaient été victimes, mais il crée un effet de seuil source de nouvelles injustices. Comment considérer qu'un retraité touchant une pension de 2 000 euros est tellement plus riche qu'un retraité touchant 1 995 euros que sa pension ne devrait pas être revalorisée de la même manière ?
La majorité n'a par ailleurs toujours pas prévu d'annuler la hausse du taux de la contribution sociale généralisée (CSG) sur les pensions de retraite et d'invalidité pour la totalité des titulaires ayant subi le passage à ce fameux taux de 8,3 % en 2018.
Quant à l'argument selon lequel les propositions des Républicains ne seraient pas financées, il fait évidemment fi de tout le travail exposé depuis des mois et rappelé par le président Woerth lors de l'examen de la proposition de loi à la fin du mois de mars en commission et au début du mois d'avril en séance. Il laisse surtout dubitatif à la lumière des financements proposés par le Gouvernement pour les 17 milliards d'euros de dépenses supplémentaires qui ont été décidées depuis le mois de décembre. Cette question se pose évidemment à la majorité.
Sur les 10 milliards d'euros des mesures votées à la fin de l'année 2018 – l'annulation de la hausse des taxes sur le carburant, la défiscalisation et la désocialisation partielle des heures supplémentaires, l'annulation de la hausse de la contribution sociale généralisée pour une partie des retraités –, moins d'un tiers sont pour l'heure financés par un resserrement de la dépense fiscale sur les plus-values de cession intragroupe et, sous réserve de l'adoption définitive du projet de loi, la mise en place d'une taxation de certains services numériques et la révision de la trajectoire de baisse du taux de l'impôt sur les sociétés. Les économies en gestion annoncées, de 1,5 milliard d'euros, pour porter les financements à 4 milliards d'euros, sur un total de 10 milliards d'euros nécessaires, restent pour l'instant aussi virtuelles que mystérieuses.
Les mesures supplémentaires annoncées par le Président de la République à la suite du grand débat national, qui seront sans doute complétées par d'autres qu'annoncera le Premier ministre cet après-midi dans sa déclaration de politique générale, ne font l'objet pour l'instant d'aucun financement précis. Le Gouvernement évoque pêle-mêle des économies sur la dépense publique, nettement moins documentées que celles des Républicains, la révision de certaines niches fiscales, les seules précisions portant sur celles qui ne seront pas réduites, comme le crédit d'impôt recherche, une évolution non précisée de la durée du travail, ce qui rejoint nos propositions sur la nécessité d'augmenter la quantité d'heures travaillées, des suppressions d'organismes publics inutiles, encore non précisés.
Les critiques de la majorité sur le financement de nos mesures sont donc particulièrement malvenues.
Pour ce qui concerne l'impôt sur le revenu, nous assumons pleinement de proposer une baisse du taux de l'impôt sur le revenu qui profite à l'ensemble des contribuables assujettis à cet impôt, en particulier à ceux qui ont subi de plein fouet les augmentations de ces dernières années. Si vous souhaitiez limiter cette augmentation, vous auriez pu proposer des amendements pour discuter des modalités de la baisse d'impôt et de son ciblage ; vous ne l'avez point fait. Le débat ne se tient pas seulement entre le Gouvernement et sa majorité. Dans un régime parlementaire, il doit également se tenir au sein des assemblées, faute de quoi nous risquerions de dévoyer l'esprit même de nos institutions. C'est pourquoi je proposerai un amendement de repli, soutenu par le groupe Les Républicains, qui tend précisément à traduire en actes l'engagement du Président de la République de baisser l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros.
Nous assumons également de relever le plafond de l'avantage du quotient familial – ce n'est d'ailleurs pas un avantage, c'est une modalité de calcul de l'impôt. Nous revenons sur une baisse injuste de ce plafond. Nous le répétons : le quotient familial est un instrument de redistribution de la politique familiale, donc un instrument de redistribution horizontale. Il est intrinsèquement lié au calcul de l'impôt. Il est un paramètre destiné à compenser le barème progressif applicable à la totalité des revenus du foyer. Des revenus égaux ne font pas vivre le même nombre de personnes selon la composition du foyer. Il est donc normal d'introduire un élément de distribution horizontale à ce stade pour prendre en compte la composition du foyer. Nous ne faisons d'ailleurs que revenir à la situation antérieure à 2012.
Enfin, d'autres éléments, qui dépendent moins directement de décisions du Gouvernement, vont à nouveau altérer le niveau de vie des classes moyennes et modestes. Je pense à la remontée des prix des carburants et à la forte hausse des tarifs réglementés de l'électricité depuis le 1er juin. Le Gouvernement aurait tort de rester indifférent à ces hausses, alors que la hausse des prix de l'énergie a été, nous le savons tous, l'élément déclencheur du mouvement des « gilets jaunes ».
Mes chers collègues, pour finir, je confirme l'invitation que le président Woerth vous a adressée la dernière fois. Vous n'êtes pas obligés d'être d'accord avec toutes ces mesures, mais j'espère que cette fois-ci vous en accepterez quelques-unes, au moins celles que le Gouvernement souhaite par ailleurs accepter. À défaut, vous ne feriez que témoigner de l'ostracisme qui frappe les oppositions. Montrez pour une fois que vous êtes véritablement constructifs et ne vous livrez pas à une obstruction systématique.