Madame la présidente, mes chers collègues, c'est un grand honneur pour moi d'être rapporteure de cette proposition de loi qui vise à développer l'accueil familial des personnes âgées et handicapées. Elle me tient tout particulièrement à coeur car j'en suis également à l'initiative.
Alors que la concertation « Grand âge et autonomie » s'est achevée avec la remise du rapport de Dominique Libault le 28 mars dernier, il m'est paru indispensable de soulever l'enjeu spécifique de l'accueil familial qui constitue l'une des réponses à la prise en charge de la perte d'autonomie et à l'engorgement des établissements spécialisés, notamment des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
Certains d'entre vous s'interrogent peut-être sur ce qu'est l'accueil familial des personnes âgées et handicapées. Au cours des travaux que j'ai menés, j'ai constaté que cette offre d'hébergement et d'accompagnement était encore très peu développée et peu connue. L'ambition de cette proposition de loi est aussi de faire connaitre ce dispositif ainsi que l'offre des accueillants familiaux déjà constituée.
L'accueil familial est un mode d'accueil et d'accompagnement, temporaire ou permanent, de personnes âgées ou de personnes en situation de handicap mis en place il y a maintenant trente ans par la loi du 10 juillet 1989. Ces personnes sont accueillies au domicile d'un particulier, d'un couple ou d'une famille en échange d'une rémunération. L'accueil se fait soit à temps complet, soit à temps partiel mais d'après les retours des associations d'accueillants familiaux auditionnées, l'accueil permanent et à temps complet est majoritaire.
Pour garantir la sécurité et la qualité de l'accueil familial, tous les accueillants familiaux sont obligatoirement agréés par le président du conseil départemental de résidence de l'accueillant familial. Après que l'accueillant familial a déposé son dossier, des investigations sont conduites par le département afin d'évaluer son niveau de formation, la garantie offerte en matière de continuité de l'accueil, le respect des normes dans son logement, les conditions d'accueil de la personne âgée ou handicapée. Ces conditions ont été renforcées par la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, dite loi ASV, de 2015.
L'accueil familial offre avant tout une solution souple de prise en charge des personnes en perte d'autonomie, qu'elle soit due à l'âge ou au handicap, et laisse la part belle aux liens de proximité entre l'accueillant et la personne accueillie. Elle constitue une alternative plus humaine entre le « tout domicile » et le « tout établissement ». Je suis convaincue que l'accueil familial en tant que nouvelle forme de solidarité entre générations renforce la cohésion de notre société. C'est par ce prisme que nous devons aborder la préservation de l'autonomie.
J'ai trouvé à cet égard très éclairant d'auditionner le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) qui a consacré en 2018 un avis sur les enjeux éthiques du vieillissement et notamment sur les effets de la concentration de personnes âgées avec des niveaux de dépendance très divers dans des établissements d'hébergement. Notre pays fait face à un vieillissement de la population : le nombre de personnes de plus de soixante ans passera d'ici à 2060 de 15 millions à 24 millions, celui des plus de quatre-vingt-cinq ans de 1,4 million à 5 millions. Aujourd'hui, il y a 1,3 million de personnes âgées dépendantes. Le CCNE s'est interrogé sur les conditions d'une meilleure intégration dans la société des personnes âgées et en perte d'autonomie à même de garantir le « bien vivre » mais aussi le « bien vieillir » ensemble. Le défi de la perte d'autonomie n'est pas seulement sanitaire, il est aussi et avant tout social et éthique. Il nous faut penser le « bien vivre » jusqu'au terme de la vie, dans le respect de la dignité et du lien social.
Or à ce jour, l'offre intermédiaire est extrêmement réduite. Certaines personnes résident dans un EHPAD depuis dix ans tout simplement parce qu'au moment où elles ont commencé à perdre en autonomie, elles n'avaient pas de solutions intermédiaires. À ce titre, il me paraît indispensable d'encourager le développement et la structuration de l'accueil familial en tant qu'alternative humaine et souple au modèle du « tout-EHPAD ». L'accueil familial offre un accompagnement personnalisé et favorise le maintien des liens avec l'environnement d'origine de la personne accueillie. Très souvent, elle reste dans le même lieu de vie et conserve des liens avec des personnes qu'elle a toujours connues, notamment son médecin. L'accueil familial répond ainsi aux trois enjeux fondamentaux de la perte d'autonomie que sont le respect de la dignité de la personne, la préservation de son autonomie et un accompagnement en accord avec sa volonté.
L'accueil familial peine à se développer et à se structurer comme alternative viable à la prise en charge systématique en établissement spécialisé dès lors que le maintien à domicile n'est plus possible. Alors que ce dispositif existe juridiquement depuis 1989, seules 15 000 personnes vivent en accueil familial pour environ 10 000 accueillants familiaux tandis que 800 000 personnes sont hébergées en établissement. Il serait d'ailleurs plus juste de parler d'accueillants familiaux plutôt que d'accueil familial.
Il existe trois principaux freins au développement de l'accueil familial : le manque d'attractivité du métier d'accueillant familial ; la méconnaissance du dispositif par les personnes âgées ou handicapées ; le soutien inégal des départements.
La précarité du statut d'accueillant familial est le principal frein au développement de cette offre. La loi prévoit la coexistence de deux statuts.
Le premier, issu de la loi de 1989, prend la forme d'un contrat de gré à gré entre l'accueillant et l'accueilli et concerne près de 98 % des accueillants familiaux. Ceux-ci n'ont pas de contrat de travail et en l'absence de statut de salarié, ils ne bénéficient pas de toute la protection associée au salariat, ce qui en fait des travailleurs de second rang, de leur avis même. Ils ne sont pas couverts par le droit à l'assurance chômage. Ainsi, si du jour au lendemain la personne accueillie décède ou est hospitalisée pour une longue durée, l'accueillant perd toute rémunération. Il ne bénéficie ni du chômage ni d'un accompagnement pour traverser cette période difficile. Le même problème se pose pendant le délai d'instruction souvent long – jusqu'à quatre à cinq mois – du dossier des personnes bénéficiant d'une aide sociale, qui représentent 60 % du total des personnes accueillies.
En outre, ce contrat de gré à gré fait peser une charge administrative lourde. Peu précis, il peut aussi être source de litiges.
Autre inconvénient : les rémunérations varient d'un département à l'autre. À la rémunération de base s'ajoutent diverses indemnités – pour le logement, pour les repas, pour l'entretien des vêtements – encadrés par des minima et des maxima laissés à l'appréciation des conseils départementaux.
La mise en relation entre l'accueillant familial et l'accueilli n'est pas aisée. Elle dépend de la bonne volonté du département. Il n'y a pas de listes qui permettraient de choisir comme avec le logiciel ViaTrajectoire qui recense les places disponibles dans les maisons de retraite.
Se pose par ailleurs un problème majeur, source d'usure professionnelle : les accueillants familiaux étant contraints d'assurer une continuité dans l'accueil, la plupart d'entre eux n'ont pas pris de congés depuis six ans alors même qu'ils ont droit à trente jours par an. Ils se heurtent à des difficultés pour assurer leur remplacement. Dans la pratique, ils ne peuvent mobiliser aisément les remplaçants dont ils ont indiqué le nom dans leur dossier d'agrément.
Il existe un deuxième statut. Depuis la loi de 2007 instituant le droit au logement opposable (DALO), les accueillants familiaux peuvent être employés par des personnes morales de droit privé ou de droit public – entreprises ou collectivités – et bénéficier du statut de salarié et de l'ensemble des droits sociaux qui y sont attachés. L'accueil familial salarié demeure toutefois marginal puisqu'il ne concerne que 2 % des accueillants familiaux alors même qu'il offre une protection plus forte. On peut se demander pourquoi il est si peu répandu. CetteFamille, entreprise de l'économie sociale et solidaire que nous avons auditionnée, nous a indiqué qu'elle souhaitait devenir personne morale de droit privé pour développer l'accueil familial après avoir mis en place une plateforme de mise en relation des accueillants familiaux et des accueillis mais qu'elle se heurtait à la réticence des départements, qui détiennent la compétence en matière d'action sociale, car ils rechignent à délivrer des autorisations aux personnes morales. En Saône-et-Loire, lorsque fut lancé un appel à projets pour développer l'accueil familial salarié, nous pensions qu'il susciterait pléthore de candidatures. Il n'y a eu que deux établissements sanitaires médico-sociaux qui ont répondu, les autres ne se sentant pas concernés par l'accueil familial du fait des problèmes de réorganisation auxquels ils sont confrontés, en lien notamment avec l'inclusion.
Comme le préconise Dominique Libault dans son rapport issu de la concertation « Grand âge et autonomie », la priorité est de développer et de sécuriser l'accueil familial en l'adossant à des structures professionnelles employeurs, notamment en soutenant le salariat afin d'inciter les départements à donner des autorisations à des personnes morales et de parvenir à une uniformité au niveau national.
Personnellement, je suis convaincue que l'avenir de l'accueil familial repose sur la consolidation du statut d'accueillant familial et sur la systématisation du salariat telle qu'elle est déjà prévue par le code de l'action sociale et des familles.
Les accueillants familiaux employés par des personnes morales auront un vrai contrat de travail, ce qui leur permettra de bénéficier de l'ensemble des droits sociaux attachés au salariat, qu'il s'agisse de la protection sociale, du droit à l'indemnisation du chômage ou du droit à congé. L'obligation d'organiser le remplacement reviendra en effet à l'employeur.
Si le modèle du portage salarial, qui fait intervenir un tiers employeur, se développe, les accueillants familiaux pourront se consacrer davantage à leur coeur de métier, l'accompagnement de la personne accueillie. La gestion administrative, déléguée à la personne morale, ne constituera plus pour eux une charge. Certes, il y a la contrainte du nombre maximum de jours travaillés, de 258 jours, mais on peut aisément imaginer que des solutions de remplacement seront organisées par l'employeur, avec des brigades volantes notamment.
Le contrat de gré à gré implique une relation binaire dans laquelle l'accueilli paie l'accueillant. Avec le salariat, le modèle devient triangulaire, liant personne morale, accueillant familial et accueilli. Le tiers employeur, qui a obtenu l'autorisation du président du conseil départemental, établit un contrat de travail avec l'accueillant familial dans lequel le droit à congés payés est reconnu et les obligations qui lui incombent en matière de remplacement et de formation sont détaillées. Il prend en outre à sa charge toute la gestion administrative, accompagne l'accueillant dans ses démarches et assure un rôle de médiation entre l'accueillant et l'accueilli. L'accueillant familial, quant à lui, conclut avec la personne accueillie un contrat d'accueil qui va fixer les droits et les obligations respectives de chacun et l'accueilli signe un contrat avec la personne morale employeur qui va notamment définir les conditions financières ainsi que les règles de responsabilité applicables. Cette contractualisation entre l'accueilli et le tiers employeur présente l'avantage de démonétiser la relation entre l'accueillant et l'accueilli.
À l'heure où la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées dans les établissements spécialisés atteint ses limites tant en termes de capacités d'accueil, de bien-traitance que de coût, l'accueil familial offre une alternative humaine en matière d'accompagnement et d'hébergement qui est insuffisamment développée et méconnue. Je suis convaincue que la cohésion de notre société dépend du maintien et du développement des liens intergénérationnels et de la proximité entre les différents âges de la vie. C'est pourquoi la systématisation du salariat, garante d'une véritable reconnaissance et gage d'une sécurisation dans l'exercice du métier, me semble importante pour développer l'offre, qui est la réponse la plus humaine à apporter au défi de la perte d'autonomie.