Intervention de Didier Migaud

Séance en hémicycle du lundi 17 juin 2019 à 16h00
Débat sur le rapport de la cour des comptes sur le budget de l'État

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis très honoré de vous présenter dans cet hémicycle, et pour la deuxième année consécutive, les conclusions du rapport sur l'exécution du budget de l'État.

Par votre invitation, vous témoignez de l'intérêt que vous portez aux travaux des juridictions financières et démontrez votre volonté d'en exploiter davantage les observations et recommandations, faisant ainsi pleinement vivre l'article 47-2 de notre Constitution.

L'année dernière, j'avais déjà eu l'occasion de saluer l'initiative que vous aviez prise de consacrer davantage de temps à l'examen des résultats de l'action publique dans le cadre du « Printemps de l'évaluation ». Je suis heureux de le faire à nouveau cette année.

La Cour a souvent eu l'occasion de regretter le décalage frappant entre le temps consacré au débat sur les dispositions de la loi de finances initiale et le désintérêt global que suscitent ensuite son exécution et l'analyse des résultats obtenus. Or ce désintérêt est en complet décalage avec la préoccupation d'efficacité et d'efficience de l'action publique, exprimée par les Français ces derniers mois, notamment à l'occasion du grand débat national.

Notre pays demeure enfermé dans une approche uniquement quantitative du budget, qui s'intéresse avant tout au volume des crédits programmés et à leur taux d'évolution. Il est important de changer ce logiciel de pensée, de cesser de se préoccuper uniquement des prévisions chiffrées pour donner, au contraire, toute sa place à l'évaluation des résultats de l'action publique, c'est-à-dire, au fond, à la finalité poursuivie, les crédits n'étant qu'un moyen, certes important, pour y parvenir.

En tentant de rééquilibrer ainsi la procédure budgétaire, vous redonnez vie à l'impératif démocratique de rendre des comptes, d'assurer un contrôle exigeant de l'usage qui est fait de l'argent public. Dans cette tâche difficile, soyez assurés que les juridictions financières se tiennent à votre disposition.

C'est justement pour vous être plus utile que la Cour a procédé ces derniers mois à un certain nombre d'aménagements des conditions d'instruction et de publication de plusieurs de ses travaux. Nous en étions convenus l'année dernière à la même époque. Aussi, permettez-moi, en guise d'introduction, de dire quelques mots des changements qui ont été opérés.

D'abord, nous expérimentons avec vous et le ministère de l'action et des comptes publics un nouveau calendrier d'examen du projet de loi de règlement.

Vous le savez, son dépôt est intervenu une quinzaine de jours plus tôt que la période qui prévalait jusqu'en 2017. Le ministre de l'action et des comptes publics a d'ailleurs annoncé souhaiter, d'ici à 2021, la poursuite et même l'accélération de ce calendrier pour que le projet de loi de règlement soit déposé à la mi-avril, afin de laisser davantage de temps au Parlement pour sa discussion. Cette année, à nouveau, la Cour a avancé d'une semaine la date de publication de son rapport sur l'exécution du budget de l'État, ainsi que celle de l'acte de certification des comptes de l'État que j'ai présenté à la commission des finances de votre assemblée le 22 mai dernier.

Si ce resserrement du calendrier répond à une préoccupation vertueuse que nous avons encouragée depuis longtemps, il est toutefois nécessaire qu'il soit mis en oeuvre de façon concertée et coordonnée pour qu'il n'affecte pas les conditions de réalisation des travaux de la Cour. Pour conduire nos instructions et vous être le plus utile possible, nous avons en effet besoin de disposer de l'ensemble des données statistiques, budgétaires et comptables à jour, produites par les ministères économiques et financiers.

Déjà, cette année, l'avancement du calendrier de dépôt du projet de loi de règlement a posé quelques difficultés, notamment pour les travaux du Haut Conseil des finances publiques. Son avis sur le projet de loi a en effet dû paraître quelques jours avant que l'INSEE ne publie les premiers résultats des comptes annuels de 2018, nécessaires au calcul du solde structurel des administrations publiques. Ces résultats ont d'ailleurs conduit le Gouvernement à réviser le solde structurel de l'année 2018 mentionné dans le projet de loi de règlement. Le Haut Conseil a modifié en conséquence, le 6 juin dernier, l'avis qu'il avait formulé, sans toutefois que cela n'affecte le fond de ses conclusions initiales.

Pour répondre à vos attentes, nous avons aussi ajusté le contenu de nos travaux, en particulier celui des notes d'exécution budgétaire, qui sont annexées au rapport sur l'exécution du budget de l'État.

D'abord, vous avez souhaité y disposer de davantage d'analyses par programme, de profondeur historique et de problématisation. Nous avons travaillé en ce sens et, de plus, pour huit notes, nous avons ajouté des développements thématiques plus approfondis sur vos sujets d'intérêt.

Nous espérons que les changements apportés répondent à vos attentes et nous serons très attentifs à l'appréciation que vous y porterez. Nous le serons d'autant plus que ces notes, qui représentent près de 3 000 pages d'analyse, constituent une mine considérable d'informations sur l'exécution des différentes missions budgétaires de l'État, directement mobilisables dans beaucoup de vos travaux.

En plus de ces modifications apportées au format des notes d'exécution budgétaire, nous avons ajusté ensemble le calendrier de détermination de la liste des travaux d'évaluation que nous réalisons, monsieur le président et monsieur le rapporteur général, à votre demande, en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF. Cette année, comme l'année dernière, la liste des rapports dits « 58-2 » sera arrêtée à l'été, à l'issue du « Printemps de l'évaluation » ; les rapports que vous nous aurez alors commandés vous seront remis l'année suivante, pour la nouvelle édition du « Printemps de l'évaluation ».

Enfin, en plus de notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, nous publierons, la semaine prochaine, deux fascicules dédiés à l'exécution 2018 des comptes locaux et sociaux. Auparavant, nous le faisions à l'automne.

Cela vous permettra de disposer désormais avant l'été, avant le débat d'orientation budgétaire, de l'appréciation détaillée que portent les juridictions financières sur les résultats de l'exécution budgétaire de chacune des grandes catégories d'administrations publiques au cours de l'année précédente. Cela présente d'autant plus d'intérêt et de sens que la situation de l'État est très spécifique par rapport à celle des autres administrations publiques, comme la gestion 2018 l'illustre bien.

J'en termine avec ces éléments de méthode et de calendrier pour en venir aux principales conclusions du rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2018. D'abord, ce rapport détaille les conditions d'exécution du budget de l'État en 2018 ; nous constatons, à ce titre, qu'elles ont été plus maîtrisées qu'en 2017.

Ensuite, il approfondit l'analyse de la situation singulière qui est celle du budget de l'État par rapport à l'ensemble des administrations publiques. Ainsi, après trois années de quasi-stabilité, le déficit de l'État s'est creusé, alors que le solde des administrations publiques connaissait une évolution contraire.

Au regard des observations que nous avions formulées l'année dernière sur le caractère particulièrement heurté de l'exécution du budget de l'État, des améliorations incontestables ont été apportées à la gestion 2018. C'est le premier enseignement de ce rapport.

Nous nous fondons à ce titre sur un certain nombre d'observations, telles que le caractère circonscrit des mises en réserve, la normalisation de la gestion infra-annuelle ou la limitation des reports de charges. Nous constatons également que les normes de dépenses, fixées en loi de programmation, ont été tenues et qu'aucun décret d'avance n'a été nécessaire, alors que les gestions précédentes en avaient régulièrement connu plusieurs.

Naturellement, nous ne pouvons que souhaiter que cette amélioration de la qualité de l'exécution du budget de l'État se poursuive. Nous recommandons même qu'elle s'amplifie car, malgré les satisfecit que je viens de donner, quelques pratiques de gestion contestables persistent.

Le rapport signale ainsi le maintien de sous-budgétisations, notamment dans le domaine des opérations extérieures. Il relève également l'utilisation inappropriée de la dotation pour dépenses accidentelles ou imprévisibles, qui a principalement couvert une sous-budgétisation de 100 millions d'euros liée au Mécanisme européen de stabilité.

En dehors de ces appréciations qualitatives, notre rapport formule un certain nombre d'observations quantitatives sur la gestion 2018.

S'agissant des dépenses de l'État, la Cour relève que les nouvelles normes définies dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 ont été respectées. Elle constate, en outre, que les dépenses du budget général de l'État, qui s'élèvent à 352,2 milliards d'euros, ont progressé de 0,3 % par rapport à 2017 ; c'est un rythme de progression beaucoup plus limité que l'année passée, où il était de 3,2 % sur un périmètre équivalent.

Ce ralentissement est toutefois moins marqué pour la masse salariale que pour les autres dépenses. La Cour a en effet constaté qu'une grande partie de la progression des dépenses de l'État observée en 2018 tenait à l'augmentation des dépenses de personnel. Sous l'effet de certaines créations d'emplois et de diverses mesures salariales prises ces dernières années, ces dépenses se sont accrues de 2 % entre 2017 et 2018, malgré une stabilisation globale des effectifs. Aujourd'hui, les dépenses de personnel représentent près de 39 % des dépenses du budget général.

Les recettes de l'État, qui ont atteint 248,3 milliards d'euros, ont été nettement plus élevées – de 8,7 milliards d'euros – que la prévision établie en loi de finances initiale. Bien qu'en hausse par rapport à la prévision, les recettes fiscales sont toutefois en légère baisse par rapport à 2017, notamment en raison de mesures importantes de baisses d'impôts, prises en 2018 ou les années précédentes.

Vous le savez, les baisses de prélèvements ont en effet été significatives ces dernières années. Pour la seule année 2018, les mesures d'allégements fiscaux ont eu un impact négatif de 13,5 milliards d'euros sur les recettes fiscales.

Aussi, même si elles sont plus élevées que les prévisions initiales, les recettes nettes totales de l'État accusent une baisse de 1 milliard d'euros par rapport à 2017. Cette baisse aurait d'ailleurs atteint 3,8 milliards d'euros si des recettes de droits de mutation, perçues en 2017, n'avaient pas été imputées, à tort, sur l'exercice 2018.

Grâce à des recettes plus élevées qu'anticipé, le déficit de l'État a été relativement contenu par rapport à la prévision établie en loi de finances initiale. Il atteint 76 milliards d'euros, soit 9,6 milliards de moins que le niveau fixé en loi de finances.

Ce constat ne doit toutefois pas occulter la trajectoire d'évolution et l'ampleur du déficit de l'État. Tel est le second enseignement de ce rapport.

À un tel niveau – 76 milliards d'euros – , le déficit de l'État représente 23,4 % des dépenses nettes du budget de l'État, c'est-à-dire 4 milliards d'euros de plus que les dépenses de la mission « Enseignement scolaire » et 3 milliards d'euros de plus que les recettes de l'impôt sur le revenu. Surtout, et pour la première fois depuis 2014, le déficit de l'État est en hausse par rapport à l'année précédente, à hauteur de 8,3 milliards d'euros, sous le double effet des mesures de baisses d'impôts et, dans une moindre mesure, de la progression des dépenses de l'État que j'ai rappelée il y a quelques instants.

La trajectoire de l'État diverge ainsi de celle de l'ensemble des administrations publiques. En effet, son déficit en comptabilité nationale a atteint près de 3 % du PIB en 2018 ; il est, de ce fait, nettement supérieur au déficit de l'ensemble des administrations publiques, qui a baissé de 0,3 % en 2018, pour s'établir à 2,5 % du PIB.

En conséquence, alors que la dette des administrations publiques s'est stabilisée à 98,4 points de PIB, celle de l'État a progressé, atteignant 78,3 points de PIB, soit 1,2 point de plus que l'année passée. L'acte de certification des comptes de l'État, que nous avons publié en même temps que le rapport sur l'exécution de son budget, donne à voir le caractère particulièrement dégradé de la situation financière qui en résulte.

J'insiste sur ce point : nous constatons – en le regrettant – que, face à ces ratios, nous éprouvons, année après année, une forme de résignation, alors même que la situation est loin d'être inéluctable. La meilleure preuve en est, sans doute, la singularité des comptes de notre pays par rapport à ceux de la plupart de nos voisins, qui ont, eux, amorcé une trajectoire de désendettement.

Au contraire, les états financiers de l'État français, dont l'acte de certification rend compte, mettent en lumière sa situation nette, laquelle est fortement négative, à hauteur de 1 296 milliards d'euros au 31 décembre 2018. Ce montant représente un passif équivalent à près de quatre année de produits fiscaux. Il était seulement – si je puis dire – de deux années en 2006, lorsque la Cour a certifié pour la première fois les comptes de l'État. Sans même tenir compte des engagements hors bilan de celui-ci – qui atteignent tout de même près de 4 000 milliards d'euros – , il apparaît donc que le milliard d'actifs de l'État – autrement dit ce qu'il possède – représente deux fois moins que ce qu'il doit.

Surtout, après trois années de quasi-stabilité, le déficit de l'État s'est creusé en 2018, alors même que le solde des administrations publiques connaissait une évolution inverse. L'explication de cette divergence réside pour l'essentiel dans la politique suivie en matière de recettes, notamment de recettes fiscales.

En effet, l'État définit celle-ci pour ses propres impôts, mais aussi pour les ressources de la sécurité sociale et des collectivités territoriales, et compense sur son budget les baisses de prélèvements opérées. Alors même que ces dernières portent sur toutes les administrations publiques, c'est donc le budget de l'État qui en supporte l'essentiel du coût net.

Or l'État ne peut pas équilibrer les baisses de recettes qu'il prend en charge pour lui et pour les autres administrations publiques en agissant sur les seules dépenses qui le concernent. Au demeurant, celles-ci ne représentent qu'un tiers du total de la dépense publique.

C'est pourquoi il convient – comme le recommande notre rapport – de veiller à faire en sorte que les baisses de prélèvements obligatoires soient proportionnées à des efforts de réduction des dépenses répartis sur l'ensemble du champ des administrations publiques, et non demandés au seul État.

Hormis les appréciations portées sur la gestion des finances publiques en 2018, le rapport sur l'exécution du budget de l'État formule plusieurs appréciations plus générales sur la complexité croissante de celui-ci, et sur la démarche de performance promue par la LOLF, en écho aux travaux menés par votre commission des finances à l'approche du vingtième anniversaire de la LOLF.

Les appréciations formulées dans notre rapport soulèvent des questions essentielles, s'agissant de la portée de l'autorisation budgétaire que vous donnez lors du vote de la loi de finances et, plus généralement, de la mesure de la performance de l'action publique.

Ces questions d'apparence technique font largement écho aux préoccupations exprimées par nos concitoyens, lors du grand débat national, en faveur d'un contrôle et d'une transparence accrus de l'utilisation des moyens publics. J'aimerais donc leur consacrer la seconde partie de mon propos.

La première réflexion ouverte dans le rapport porte sur la complexité et l'illisibilité croissantes du cadre budgétaire de l'État. Il s'agit d'un mal dont vous êtes, d'une certaine façon, à la fois victimes – dans la conduite de vos activités – et responsables – dès lors que vous autorisez des dispositifs qui les perpétuent ou les renforcent.

Ainsi, au fur et à mesure des lois de finances, la dépense de l'État s'apparente à un agrégat de plus en plus hétérogène, instable et, en fin de compte, illisible. Il est difficile, voire impossible, de parvenir à délimiter les contours des moyens publics consacrés à telle ou telle politique publique, ainsi que leur évolution dans le temps. Tel est pourtant l'exercice de chiffrage auquel ont tenté de se livrer les notes d'exécution budgétaire annexées au rapport.

À ce titre, nous démontrons qu'une part significative de l'effort financier de l'État, pour de nombreuses missions, passe par d'autres voies que les dépenses du budget général – en règle général des dépenses fiscales, des rattachements de fonds de concours ou l'affectation de taxes à des opérateurs – , ce qui rend sa compréhension globale très complexe.

Certaines de ces entorses aux grands principes budgétaires me semblent particulièrement critiquables. Tel est le cas des fonds sans personnalité juridique, auxquels nous avons consacré plusieurs développements substantiels. Tel est à nouveau le cas cette année, à l'encontre de l'un de leurs nouveaux spécimens, le fonds pour l'innovation dans l'industrie, créé en 2018.

Il ne nous revient pas de nous prononcer en opportunité sur l'objectif de politique publique poursuivi par cette entité. Nous nous contentons d'apprécier, du point de vue des règles de gestion, la pertinence du vecteur budgétaire utilisé pour le financer.

En l'occurrence, ce qui pose problème, s'agissant du recours à un fonds sans personnalité juridique, c'est que ce vecteur fait échapper à votre autorisation des crédits qui pourraient parfaitement être autorisés et gérés, chaque année, dans un cadre budgétaire normal. Ils pourraient sans difficulté être intégrés au budget général, sous la forme d'une dotation affectée au programme budgétaire dédié à l'innovation.

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