En préambule, je tiens à vous remercier une nouvelle fois, monsieur le Premier président, ainsi que tous les membres de la Cour des comptes, pour la qualité et la pertinence des analyses de la Cour sur l'exécution des comptes en 2018, grâce auxquelles nous avons pu effectuer un travail approfondi dans le cadre de ce deuxième « Printemps de l'évaluation » que j'espère désormais inscrit dans nos traditions.
Le budget 2018, toutes administrations publiques confondues, connaît un déficit public de 2,5 % du PIB, sous la barre des 3 % pour la deuxième année consécutive, en baisse de 0,3 point par rapport à 2017, malgré une année 2018 marquée notamment par un ralentissement de la croissance mondiale, mais aussi de la croissance française passée de 2,3 % en 2017 à 1,7 % en 2018.
On peut toutefois regretter que, pour la première fois depuis 2014, le déficit budgétaire de l'État se dégrade significativement, mais, soyons honnêtes, il est difficile à interpréter tant les relations financières entre l'État et la sécurité sociale, d'une part, et entre l'État et les collectivités locales, d'autre part, sont nombreuses et complexes. En effet, le budget de l'État compensant les mesures de baisses de recettes des deux autres, toute baisse d'impôt dégrade mécaniquement le solde.
Ainsi, les recettes fiscales nettes du budget général diminuent, notamment en raison des transferts de TVA aux régions et à la sécurité sociale, lesquels augmentent de 6 milliards d'euros par rapport à 2017. À cela, s'ajoute une forte diminution du solde des comptes spéciaux de plus de 4 milliards. Pour toutes ces raisons, plutôt que de critiquer la dégradation du déficit budgétaire, nous préférons appeler l'attention du Gouvernement sur la nécessaire poursuite du rééquilibrage des relations financières entre l'État, la sécurité sociale et les collectivités locales.
La baisse du déficit public est d'autant plus remarquable qu'en 2018, les impôts ont baissé de 8,5 milliards d'euros, notamment du fait de la baisse d'un tiers de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages pour un coût de 3 milliards d'euros, ou encore de l'universalisation du crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un salarié à domicile, représentant un effort de 1 milliard d'euros.
S'agissant des dépenses, à périmètre constant, elles ont augmenté de 0,3 % par rapport à 2017, contre une hausse de 3,2 % entre 2016 et 2017. C'est le signe d'une maîtrise de la dépense publique et d'une gestion améliorée dont témoignent des mises en réserve et des sous-budgétisations en forte baisse, sans pour autant céder à une prétendue politique d'austérité.
Le panorama est cependant plus sombre si l'on s'intéresse à la dette. En effet, après une forte hausse à la fin des années 2000 en raison de la crise financière et du nécessaire plan de relance qui l'avait suivie, puis une hausse faible mais quasi continue pendant la dernière décennie, qui marquait une absence totale de volonté politique de la juguler, la dette publique a été stabilisée en 2018 à un niveau proche des 100 % du PIB, c'est-à-dire à près de 2 300 milliards d'euros.
Pour certains ici, il ne serait pas nécessaire de s'attaquer à la dette pour des motifs très variés selon les sensibilités politiques, allant de la faiblesse des taux d'intérêt au refus d'une politique d'austérité. Mais remettons les chiffres de la dette publique française en perspective : 2 300 milliards d'euros, c'est l'équivalent de 80 000 euros de dette publique par ménage ; pire encore, la charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts que nous payons chaque année sur cette dette, est colossale : elle s'élève à un peu moins de 45 milliards d'euros, soit plus de 1 500 euros par ménage par an.
Rendez-vous compte, pour financer les intérêts de la dette, la France dépense chaque année plus de 1 500 euros par ménage, soit bien plus qu'un SMIC. Cet argent pourrait servir à aider les ménages les plus modestes, à financer un plan en faveur de la prise en charge de la dépendance ou encore à accélérer la transition énergétique.
Le stock de dette est un boulet que nous transmettons à nos enfants et à nos petits-enfants, grevant ainsi leur avenir. Les intérêts de cette dette sont des boulets que nous traînons aujourd'hui et qui pèsent sur notre présent.
J'en viens aux dépenses fiscales, communément appelées niches fiscales, mais clarifions d'abord un point : ce n'est pas parce qu'un dispositif est qualifié de niche fiscale qu'il est nécessairement nocif, inéquitable, coupable de tous les maux et donc à supprimer. De nombreux dispositifs visent particulièrement les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou ayant des revenus modestes – je pense aux exonérations de taxe d'habitation. Il faut citer également la dépense fiscale en faveur du mécénat, sur laquelle je mène actuellement des travaux approfondis, laquelle illustre ces dépenses fiscales destinées à soutenir des secteurs qui ne pourraient pas survivre sans un tel appui. Si ces dispositifs correspondent à la définition communément admise de niche fiscale, ils n'en demeurent pas moins utiles et justes.
Toutefois, regardons les chiffres : les niches fiscales ont explosé au cours des deux dernières décennies et ce, malgré la suppression du CICE depuis le 1er janvier 2019. Le nombre de niches avoisine désormais 500, soit un doublement lors des vingt dernières années, et leur montant total dépasse 100 milliards d'euros, soit autant que les budgets de l'éducation, de la défense, de la justice et de l'écologie réunis – c'est dire !
Mais, plus que les montants, c'est l'absence de limite dans le temps, de chiffrage et plus largement d'évaluation, mais aussi de pilotage qui est profondément choquante. Comment justifier qu'une niche fiscale sur deux soit attribuée à un nombre de bénéficiaires inconnu de l'administration ? Comment justifier que, pour 13 % des niches fiscales, le coût pour les finances publiques soit totalement inconnu ? Comment justifier que des millions d'euros soient dépensés pour deux niches fiscales aux objectifs totalement contraires, l'une encourageant le développement des énergies renouvelables, et l'autre celle des énergies carbonées ?
C'est pour toutes ces raisons que, dès l'année dernière, notre majorité a entamé, avec l'aide de l'administration et des administrateurs de l'Assemblée, un travail en profondeur sur ce sujet, concrétisé dès le budget 2019 par la suppression de plusieurs niches fiscales, certaines peu utilisées et inefficaces, d'autres allant clairement à l'encontre du respect de l'environnement. C'est un travail de titan, qu'il importait de commencer.
Il suppose que l'on évalue, analyse et chiffre ces niches fiscales pour déterminer celles que l'on conserve, parce qu'elles ont des objectifs définis, celles qui peuvent permettre d'atteindre un objectif, celles que l'on supprime – il en faut aussi – pour les remplacer par d'autres dispositifs plus pertinents – je pense par exemple à la transformation du crédit d'impôt pour la transition énergétique en prime directe – et enfin celles que l'on supprime purement et simplement car elles sont inefficaces, inefficientes ou nocives pour autres objectifs. L'environnement en est un et c'est le plus flagrant. Nous aurons l'occasion de revenir sur le sujet mercredi après-midi, lors de l'examen de la résolution de notre collègue Jolivet.
Je terminerai mon propos en saluant les propos du président de la commission sur la tenue, l'évolution et l'avancement de l'organisation du « Printemps de l'évaluation ». Cet exercice me semble nécessaire. S'il mérite encore d'être amélioré, son utilité est manifeste. Cela avance. Merci encore une fois, monsieur le Premier président de la Cour des comptes. Avec vos magistrats, nous avons accompli dans les temps un travail de bonne qualité. En outre, ils ont montré une réelle disponibilité lors des auditions.
Monsieur le rapporteur général, je compte sur vous pour continuer à travailler sur la question des niches…