Intervention de Cédric O

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 11h25
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances et du ministre de l'Action et des Comptes publics, chargé du Numérique :

Madame Abadie, il faut favoriser tous les cercles qui permettent une approche concertée. L'observatoire de la haine que vous avez évoqué me paraît donc être une excellente idée. On peut l'expérimenter dès maintenant, à condition de le concevoir en cohérence avec les orientations du projet de loi sur l'audiovisuel.

Madame Obono, la question de l'interopérabilité est vaste et difficile. Comme je l'ai exposé à l'Organisation de coopération et de développement économiques, nous pensons que cette question doit être portée à un niveau européen. Notre démarche actuelle est compatible avec un progrès vers l'interopérabilité, or celui-ci prendra beaucoup de temps. Aujourd'hui, on ne peut envoyer un message Whatsapp qu'à quelqu'un qui est inscrit sur Whatsapp, tandis qu'on peut envoyer un courriel depuis une boîte Gmail vers une boîte Wanadoo. L'interopérabilité permettrait de communiquer depuis Whatsapp avec quelqu'un qui utiliserait une autre plateforme. Cependant, il est difficile de la mettre en oeuvre techniquement pour les plateformes qui offrent des fonctionnalités multiples. En outre, elle pose des problèmes de portabilité des données. Elle pose aussi une question de principe : on ne résoudrait pas le problème, on se contenterait de permettre à la victime de se reporter vers un autre réseau. Enfin, elle constitue une agression très importante envers les grandes plateformes, et cela posera par conséquent problème avec nos partenaires chez qui celles-ci sont domiciliées. Je considère donc l'interopérabilité avec une certaine bienveillance, mais je doute qu'elle soit applicable à court terme.

Monsieur Balanant, la gestion automatisée ne s'appliquera qu'au contenu signalé.

Monsieur Peu, si l'on considère les plateformes comme des éditeurs, cela les oblige à lire et à contrôler a priori tout ce qu'elles publient, ce qui pose un problème de liberté publique. Nous estimons qu'il existe une position intermédiaire entre l'absence de régulation et l'édition, qui est celle de l'accélérateur de contenus.

Le premier sujet que j'ai abordé est celui de la responsabilité individuelle, parce que la masse des contenus est telle que la régulation doit reposer sur l'autolimitation. Nous travaillons avec Jean-Michel Blanquer et Gabriel Attal sur l'éducation, qui est fondamentale. En outre, la répression doit faire en sorte que la peur change de côté : ceux qui tiennent des propos haineux doivent avoir peur du gendarme.

Nous n'aborderons pas le harcèlement scolaire, qui est un problème fondamental, dans cette proposition de loi, car celle-ci se fonde juridiquement sur l'interdiction des atteintes à la dignité humaine. En revanche, le harcèlement sexuel peut probablement y être abordé.

Monsieur Rupin, la ministre de la Justice s'est engagée à ce que les victimes puissent déposer des plaintes en ligne à partir du premier semestre 2020. C'est indispensable pour les plaignants et pour les policiers. Aujourd'hui, les plaignants s'adressent au commissariat de proximité, or les policiers n'ont pas tous une très bonne connaissance des outils informatiques. Avec quel compte se connecteront-ils sur Facebook Live ou sur Twitter ? Aujourd'hui, comme ils n'ont aucun moyen de transmettre des informations de manière sécurisée, dans le meilleur des cas, ils font des saisies d'écran, ils les impriment et ils les envoient par la poste.

La ministre de la Justice sera présente lors de l'examen de la proposition de loi ; elle pourra donc répondre plus précisément. Les plaintes seront traitées de manière centralisée, par un personnel bien formé, qui sera en relation directe avec les plateformes.

Par ailleurs, monsieur Peu, nous devons pouvoir identifier les auteurs de contenus haineux, alors qu'actuellement le processus d'identification ne fonctionne pas. Cependant, nous ne souhaitons pas obliger les gens à s'identifier de manière substantielle sur internet. Par exemple, une fille ou un garçon qui veut jouer à League of Legend doit pouvoir le faire sous le nom de « Bisounours 767 » sans être obligé de s'inscrire sous son nom ; un jeune homosexuel qui souhaite consulter des forums doit pouvoir le faire sans s'identifier même auprès de la plateforme ; un lanceur d'alerte doit pouvoir s'exprimer sans être contraint de révéler son identité. Vous avez évoqué les lettres anonymes ; nous étions assez contents à l'époque de n'avoir pas de fichier centralisé qui permette d'établir ce que chacun a fait.

À partir du moment où le juge a identifié un contenu haineux, il faut qu'il puisse obtenir l'adresse IP du possesseur de l'ordinateur, puis, avec cette adresse, obtenir son identité auprès du fournisseur d'accès. Actuellement, chaque étape pose problème : certaines grandes plateformes ne donnent les adresses IP que dans les cas de terrorisme, et si elle disposait de toutes les adresses IP, la justice telle qu'elle est organisée actuellement ne serait pas en mesure de poursuivre tous les auteurs.

Cette proposition de loi ne traitera pas le grand banditisme de l'antisémitisme ou de la haine en ligne. Nous voulons réguler les comportements quotidiens et créer une prise de conscience collective. Les professionnels de l'antisémitisme et de la haine en ligne continueront à se connecter en utilisant des réseaux privés virtuels afin de protéger leur identité.

Monsieur Terlier, je m'engage à vous donner plus de précisions, après concertation avec le ministre de l'éducation nationale et Gabriel Attal, sur ce que nous ferons dans le cadre du service national universel.

Madame Untermaier, je pense que nous parviendrons à un accord européen. La pression politique conduit les gouvernements à prendre des décisions dont la portée n'est pas totalement maîtrisée. Je crois que les Allemands ont désormais compris qu'ils devaient ajuster leur position.

Madame Moutchou, il n'est pas attentatoire aux libertés d'interdire à quelqu'un qui a été condamné pour propos haineux de communiquer sur Twitter et le Président de la République en ayant pris l'engagement devant le CRIF, cette interdiction sera prévue. Mais cela n'est possible que si l'on sait identifier les auteurs, et il s'agit évidemment d'un traitement ex post, après une ou plusieurs condamnations, avec une graduation des peines. Cela me semble proportionné : l'accès à Twitter ne répond pas à un besoin vital.

Monsieur Mazars, les contenus interdits de publication par la modération posent effectivement le problème de leur conservation et de leurs modalités de transmission à la justice. Ce serait un non-sens que les contenus supprimés par la modération soient assurés d'une impunité totale.

À ce stade, nous n'avons pas de volonté de toucher à la loi de 1881, qui ne me semble pas antinomique avec le dispositif que nous mettons en oeuvre.

Madame Guerel, nous nous efforçons de progresser au niveau international sur la charte contre la haine en ligne. Pour être honnête, nous ne trouverons pas d'accord avec les Américains sur la régulation des contenus haineux, pour des raisons de culture et d'attachement à la liberté d'expression. Cependant nous voulons nous accorder avec eux sur les modalités de régulation des contenus terroristes, qui aujourd'hui font l'objet d'une régulation européenne et non internationale. Nous voulons également obtenir de la transparence en ce qui concerne l'activité des plateformes sur les autres types de contenus. Nous le porterons au sein du G7, car tous les pays ont des intérêts en la matière.

Monsieur Rebeyrotte, les régulateurs doivent s'approprier le RGPD pour pouvoir l'appliquer. Une première sanction a été prise par la CNIL, qui ne peut juger que les atteintes en France et non en Europe. L'application du RGPD pose également le problème de la réactivité.

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