Madame la ministre, « Collectivité européenne d'Alsace » : c'est beau, cela sonne bien, c'est prometteur ! On imagine une collectivité nouvelle appelée à jouer un rôle majeur en Europe, ce qui est déjà le cas pour l'Alsace, une collectivité à laquelle on redonne son identité écornée à la suite de la création de la région Grand Est. C'est surtout une idée assez ancienne, partagée par les deux départements, qui voit le jour. Le plus important, c'est que cela représente un beau défi politique : faire progresser l'esprit décentralisateur ; mieux organiser les relations transfrontalières ; ancrer plus encore l'Alsace dans l'axe rhénan stratégique. Force est de constater que la déclaration commune signée à Matignon, en octobre 2018, a probablement fait vibrer le coeur des Alsaciens, en répondant à leur « désir d'Alsace ». Mais, comme chacun le sait, mieux vaut satisfaire le désir, au risque de faire naître quelques frustrations… Or ce texte nous paraît bien insuffisant.
Pour créer une collectivité à statut particulier, la région doit accepter d'abandonner quelques compétences et l'État doit également faire quelques concessions. Or ni l'une ni l'autre ne font les efforts nécessaires. Le texte démontre, d'une certaine façon, que si l'on parle beaucoup du droit à la différenciation, de l'expérimentation ou de l'évolution de la décentralisation, qui sont souhaités localement, en réalité, l'État en a peur et continue à se recroqueviller sur des pratiques de plus en plus centralisatrices. Cela conduit à une sorte de manipulation institutionnelle : on nous explique qu'on va créer une collectivité nouvelle, alors qu'en réalité il s'agit d'une simple fusion de départements, dont les dispositions ne sont pas inintéressantes, mais qui auraient pu être prises sans passer par la loi. On ne peut pas raisonnablement considérer qu'élaborer un schéma de coopération transfrontalière dans des conditions extrêmement contraintes, en raison d'autres schémas, constitue une avancée majeure, pas plus que de transférer les routes nationales à ce futur département, de créer des chaînes de télévision locale ou de renforcer le bilinguisme, malgré l'intérêt qu'il peut y avoir à le faire.
Sans remettre en cause l'esprit de la loi qui répond à une attente locale, nous craignons que vous ne parveniez pas à satisfaire avec ce texte ceux qui veulent s'émanciper de la région Grand Est, pas plus que ceux qui attendaient un statut particulier au sein du Grand Est. Les frustrations surgiront tous azimuts. Le texte ne peut que laisser un goût d'inachevé sur des questions qui auraient pourtant pu être traitées, en matière de santé, de formation, d'éducation, d'économie et d'emploi, mais qui resteront aux mains de l'État et de la région, alors que la Collectivité européenne d'Alsace aurait pu jouer un rôle important et mettre en place des services de proximité dans ces domaines.
Nous ne nous opposons pas frontalement à votre texte, mais nous sommes convaincus qu'il ne changera pas la vie des Alsaciens. Ses inspirateurs devront assumer ce que ce texte n'est pas. Nous ne manquerons d'ailleurs pas de dire ce qu'il aurait pu être, non seulement pour l'Alsace, mais aussi pour d'autres de nos territoires transfrontaliers qui attendent beaucoup de notre discussion.