Intervention de Jacqueline Gourault

Réunion du mardi 11 juin 2019 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales :

Je vous remercie beaucoup de votre participation à ce débat et de vos questions.

En ce qui concerne d'abord le bilinguisme, monsieur le rapporteur – je répondrai en même temps à Sylvain Waserman et à plusieurs autres intervenants –, les conventions successives entre l'État et les collectivités territoriales explicitent l'acception de la langue régionale en Alsace : il s'agit de la langue allemande, dans sa forme standard et dans ses variantes dialectales, à savoir l'alémanique et le francique. L'enjeu linguistique soulevé par le projet de loi n'est pas seulement identitaire, comme c'est parfois le cas dans d'autres régions : il y va également de l'insertion de l'Alsace dans le monde rhénan et dans le contexte européen. À cet égard, les enjeux de développement économique et social sont absolument considérables. Chaque fois que je suis allée sur le terrain, on m'a expliqué l'importance des spécificités de l'apprentissage en Alsace.

La voie bilingue, avec enseignement précoce dès la maternelle, concerne 17 % des élèves dans le premier degré. Le phénomène est en développement : les effectifs des élèves concernés ont doublé en dix ans. Une école sur trois est bilingue ; pour les autres, l'allemand est renforcé, à raison de trois heures par semaine. Dans le second degré, un collège sur trois propose des classes bilingues. Tous les collèges proposent des classes bilangues – c'est-à-dire avec l'enseignement de deux langues, par exemple l'allemand et l'anglais – dès la sixième, et 80 % des élèves étudient l'allemand. J'ai eu l'occasion de visiter un certain nombre de ces établissements.

La convention quadripartite prévoit une coopération opérationnelle entre l'État et les collectivités territoriales. Elle est conclue pour la période 2018-2022. Elle porte sur le développement de la pratique de la langue allemande. Ses cinq axes principaux sont les suivants : les ressources humaines, avec en particulier la création, à Colmar, d'un centre de formation bilingue dédié ; les mobilités transfrontalières, avec l'objectif d'accroître le nombre d'élèves concernés par ces dernières ; la qualité des enseignements et ressources pédagogiques, pour développer les supports pédagogiques et les ressources numériques ; les cursus d'enseignement et le soutien à l'emploi transfrontalier, l'objectif étant notamment de développer le cursus bilingue au collège ; les dialectes et la culture régionale – il s'agit par exemple, à ce titre, de développer les projets, notamment dans les activités périscolaires, en liaison avec les communes. La convention est assortie de 3,4 millions d'euros, dont 1,5 million sont consacrés aux ressources humaines – attractivité, bourses – et 1,5 million aux dispositifs destinés aux élèves – mobilité, ressources pédagogiques, etc.

Le projet de loi vient donc renforcer – j'y insiste – un dispositif déjà très ambitieux, comme j'ai pu le constater en me rendant en Alsace pour visiter des établissements disposant d'enseignements bilingues. En autorisant les collectivités alsaciennes à embaucher des locuteurs, le projet de loi renforcera le vivier et développera l'enseignement de la langue allemande hors temps scolaire.

Je voudrais préciser par ailleurs à Mme Catherine Kamowski que le manque de professeurs d'allemand est effectivement un problème, et ce sur tout le territoire national. L'an dernier, aux concours du CAPES et de l'agrégation, seuls 155 postes sur les 250 qui étaient ouverts ont été pourvus, du fait d'un faible nombre de candidats mais aussi, parfois, d'un niveau insuffisant. On voit bien qu'il y a là un enjeu important. Le ministère de l'Éducation nationale a mis en place une politique globale de renforcement de l'attractivité du métier d'enseignant, notamment d'enseignant de langues, et en particulier d'enseignant de langue allemande. Une nouvelle initiative est à venir en la matière. Plusieurs aspects doivent être renforcés s'agissant de l'attractivité de l'enseignement de l'allemand. Le Gouvernement a relancé, depuis la rentrée 2017, sur tout le territoire national, les classes bilangues dès la sixième, qui permettent la pratique de deux langues étrangères – allemand et anglais, par exemple. En Alsace, bien sûr, le projet de loi permettra à la collectivité de constituer un vivier de germanophones, qui pourront être recrutés par l'éducation nationale ou par la collectivité, selon qu'on est dans le cadre de l'enseignement classique, intégré à l'emploi du temps, ou de l'enseignement complémentaire, optionnel. C'est effectivement une question très importante.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez interrogée également sur le trafic routier et la mise en place d'une taxe, comme c'est le cas, de l'autre côté du Rhin, avec la LKW Maut. Le projet de loi, dans sa version initiale – à laquelle nous souhaitons revenir – prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance, afin que nous définissions les meilleures solutions techniques, en liaison étroite avec les deux départements concernés, pour mettre en place, sur le réseau transféré, une contribution spécifique. Comme l'a dit tout à l'heure Mme Kamowski, dès lors que nous travaillons dans la confiance, cette habilitation nous permettra de mettre en place les outils les plus adaptés pour dissuader les poids lourds de privilégier le réseau français plutôt que le réseau allemand. La forme que cela prendra – redevance, taxe ou encore système de péage – n'est pas encore définie ; d'où la nécessité de procéder par ordonnance et de mener un travail conjoint avec les élus. Un certain nombre d'Alsaciens, je le sais, imaginent même que la solution sera trouvée en collaboration avec l'Allemagne, pour réguler l'ensemble de cette circulation routière. De fait, il n'est pas question de ne pas discuter : le problème est clairement transfrontalier.

S'agissant des relations de la collectivité avec la région Grand Est, je vous rappelle que la mission chargée du travail de préfiguration portait le nom « Alsace Grand Est ». Le préfet Jean-Luc Marx – comme moi-même, d'ailleurs – a rencontré l'ensemble des présidents de conseils départementaux. Le projet est donc issu des échanges avec l'ensemble des représentants de la région Grand Est. Je vous rappelle également que l'accord de Matignon du 29 octobre dernier a, bien entendu, été signé par le président de la région. Aucun équilibre ne sera modifié au sein de la région Grand Est du fait de la constitution de la nouvelle collectivité alsacienne, y compris les dispositifs de péréquation mis en place par la région. Je veux rassurer tous les autres départements de la région Grand Est : on ne leur prend rien. Il s'agit simplement d'une organisation nouvelle de l'Alsace.

Je crois avoir déjà répondu en ce qui concerne le trafic : le scénario d'un délestage sur l'A31 n'entraînerait qu'un report de douze poids lourds par jour. Pour mémoire, ces dernières années, on a comptabilisé 104 000 véhicules par jour sur l'A31 au nord de Metz, dont 11 705 poids lourds, contre 34 000 véhicules sur l'A35 et 71 000 sur l'A5, au nord de Strasbourg, dont 12 000 poids lourds. Il apparaît que l'affirmation selon laquelle il y aurait un déport d'une partie importante du trafic sur l'A31 en cas de mise en place d'une taxe routière en Alsace n'est pas assise sur des éléments objectifs. C'est ce qui ressort précisément de l'étude réalisée par le ministère des Transports.

Monsieur Molac, en ce qui concerne la mise en place d'un rapport de compatibilité entre le schéma alsacien de coopération transfrontalière et les schémas régionaux et métropolitains qui lui sont liés, je n'ai pas très bien compris ce que vous avez voulu me dire : êtes-vous pour la compatibilité ou pour la cohérence ? Le texte initial prévoyait une cohérence entre les deux. Le Sénat l'a modifié pour instaurer une compatibilité. Nous demandons qu'on en revienne à la cohérence. Sylvain Waserman est favorable à cette solution.

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