Cette proposition de loi que j'ai l'honneur de rapporter au nom du groupe Les Républicains, au-delà du message de reconnaissance, se veut un engagement à l'égard de ceux qui nous protègent et assurent notre sécurité au quotidien, au péril de leur vie. Depuis de très nombreuses années, et plus encore depuis cinq ans, nos policiers, nos gendarmes, nos policiers municipaux ont subi des épreuves extrêmement lourdes. En témoigne malheureusement le chiffre terrifiant de 31 suicides de policiers depuis le 1er janvier.
Depuis 2015, ils sont en ligne de front contre le terrorisme et confrontés à une société de plus en plus violente : près de 2 000 policiers et gendarmes ont été blessés depuis le début des manifestations le 17 novembre dernier. Sans oublier la crise migratoire. Alors que les risques auxquels ils s'exposent ne cessent d'augmenter, ils subissent des contraintes matérielles de plus en plus incompréhensibles pour eux, et qui doivent l'être tout autant pour nous.
Près de dix ans après l'adoption de la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, il est indispensable d'engager à nouveau une réflexion programmatique sur la sécurité qui dépasse les lois qui répondent à un problème ponctuel, des lois que l'on pourrait dire de circonstance, adoptées sous le coup de l'émotion.
Nous vous proposons une méthode différente, une programmation qui embrasse plusieurs perspectives sur le moyen terme. Nous proposons une réponse matérielle à la crise, car rien ne pourra évoluer sans moyens supplémentaires très importants pour les forces de l'ordre ; nous proposons aussi une protection accrue pour ceux qui portent l'uniforme de la République et qui, de ce fait, détiennent une parcelle de l'autorité publique.
En 1965, en incluant la défense nationale, les dépenses régaliennes représentaient 6,5 % de la richesse nationale ; cinquante ans plus tard, elles sont tombées à 3,15 %. L'effort de protection consacré par la Nation a donc été divisé par deux. Les dépenses liées à la sécurité – police nationale, gendarmerie, sécurité civile et sécurité routière – totalisent à peine 0,85 % du produit intérieur brut (PIB) en 2018. Ce chiffre peut paraître abstrait : cela veut tout simplement dire que pour 1 000 euros de dépenses publiques, l'État mobilise à peine 25 euros pour la sécurité et 4 euros pour la justice. C'est dire l'ampleur de la difficulté à laquelle nous sommes confrontés ; c'est dire la faiblesse des moyens accordés à la protection de nos concitoyens. Mais c'est dire aussi que l'effort que nous vous proposons est bien modeste par rapport aux dépenses publiques qui n'ont cessé de progresser. Ainsi, quand les dépenses en faveur de l'État régalien diminuaient, celles de l'État que l'on pourrait qualifier de social, de redistributif ou de providence ont doublé, passant de 16 % à 32 % du PIB. L'État social est devenu obèse quand l'État régalien devenait squelettique. Nous en payons malheureusement le prix.
Cette proposition de loi poursuit une triple ambition. Il s'agit d'abord, et prioritairement, de redonner des marges de manoeuvre budgétaire à nos forces de l'ordre, afin qu'elles puissent exercer pleinement et efficacement leurs missions. Je le dis solennellement – et je l'espère, de façon consensuelle : la France doit accorder des conditions de travail plus dignes à ceux qui protègent la nation et nos concitoyens au quotidien, très souvent au péril de leur vie. Le patrimoine immobilier de la police et de la gendarmerie est trop souvent vétuste – 400 bâtiments ont été recensés comme étant en situation de vétusté pour la seule police nationale et c'est malheureusement aussi le cas pour la gendarmerie, chère à notre collègue Jean-Louis Masson. L'équipement des forces de l'ordre n'est pas à la hauteur, les voitures tombent trop souvent en panne : leur durée de vie est en moyenne de dix ans.
À cet effet, cette proposition de loi propose, dans le cadre d'une démarche programmatique, cette vision à moyen terme à laquelle nous sommes très attachés, un engagement supplémentaire de 15 milliards d'euros sur la période 2020-2025, détaillé dans le rapport annexé à l'article 1er de la proposition de loi, avec notamment une augmentation des effectifs de 15 000 policiers et gendarmes – incluant, je le précise, les 10 000 annoncés par le Gouvernement.
L'article 3 vise à remédier à une situation intolérable : le non-paiement des 25 millions d'heures supplémentaires. Les policiers sont soumis à une pression opérationnelle inédite et renforcée depuis plusieurs années, qui a entraîné une forte progression des heures supplémentaires, dont une proportion énorme n'est toujours pas payée.
Ensuite, et cette volonté doit être unanimement partagée, il s'agit de rendre l'uniforme inviolable en prévoyant une plus grande automaticité des sanctions et des peines plus sévères en cas d'agression contre les forces de l'ordre, mais également les pompiers. L'attaque de policiers au cocktail Molotov à Viry-Chatillon en octobre 2016 – véritable guet-apens – n'est, hélas ! qu'un des nombreux exemples d'agressions à l'encontre des forces de sécurité intérieure. Ces dernières sont de plus en plus souvent prises pour cible, en particulier lors des opérations de maintien de l'ordre. En 2016, près de 2 000 gendarmes et 2 280 sapeurs-pompiers ont été blessés à la suite d'une agression. Précisons qu'un quart des mis en cause sont des mineurs – en tout cas au moment des faits.
Dans ces conditions, nous avons la volonté de proposer des dispositions précises pour renforcer la force dissuasive de la sanction. Nous devons réaffirmer avec détermination qu'il est impossible de toucher à un policier, à un gendarme, à un policier municipal, à un pompier sans être menacé d'une sanction systématique, lourde, à la hauteur de l'agression commise à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, mais également contre le pacte républicain. Si nous ne protégeons pas ceux qui nous protègent, c'est tout l'édifice républicain qui est altéré, c'est toute la force dissuasive de la loi qui est affaiblie.
L'article 4 instaure des peines minimales de prison pour les personnes reconnues coupables de crimes ou délits commis contre un gendarme, un policier, un sapeur-pompier ou un douanier, sur le modèle des peines planchers qui existaient dans notre droit entre 2007 et 2014 et qui avaient fait leur preuve, à cette différence près que la peine minimale s'appliquera non pas en cas de récidive légale, mais dès la première infraction. Ce n'est donc pas la récidive qui entraîne l'application de la peine minimale, mais le fait de porter atteinte à une autorité qualifiée.
L'article 5 rend obligatoire le prononcé d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire français à l'encontre de toute personne de nationalité étrangère ne justifiant pas d'un séjour régulier en France ou de tout étranger séjournant de façon régulière en France depuis moins de cinq ans et déclaré coupable des mêmes crimes ou délits. Là encore, le principe est simple : vous venez en France, vous bénéficiez d'un titre de séjour ; si vous commettez une agression contre un policier ou un gendarme, il n'y a plus aucune raison que la France vous conserve sa confiance.
L'article 7 tire les conséquences du nombre croissant de mineurs impliqués dans ces affaires en écartant l'application de l'excuse de minorité à l'égard des auteurs âgés de plus de seize ans.
Je précise qu'en laissant la possibilité à la juridiction de jugement d'y déroger par décision spécialement motivée, la rédaction de ces dispositions est conforme aux exigences constitutionnelles.
Pour être respectés, nos policiers et gendarmes ne doivent plus être l'objet, comme c'est, hélas ! devenu trop souvent le cas, d'injures publiques laissées sans réponse. L'injure s'est banalisée, elle est devenue commune. C'est pourquoi l'article 8 transfère ce délit de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal, pour le réprimer plus lourdement et plus efficacement sur le plan procédural et sanctionner plus sévèrement ses auteurs, au-delà de la peine d'amende actuelle – dérisoire – de 12 000 euros, par une peine de prison.
Enfin, et c'est le troisième pilier de cette proposition de loi, il s'agit de renforcer les prérogatives des policiers municipaux, dans le cadre d'un continuum de sécurité que nos collègues Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot ont parfaitement décrit et qu'il convient de privilégier entre les différentes forces de sécurité intérieure – certaines dispositions de notre texte s'inspirent du reste de leur excellent rapport.
Au cours des dernières années, les polices municipales ont connu une importante montée en puissance ; leurs prérogatives ont été progressivement étendues, mais pas suffisamment. Très présentes sur le terrain, au plus près des populations, elles constituent de fait la police de sécurité du quotidien. Leur rôle est essentiel dans la coproduction de sécurité et doit être mieux valorisé. Nous proposons à cet effet de leur attribuer de nouvelles prérogatives de police judiciaire : l'article 9 confère aux directeurs de police municipale la qualité d'agent de police judiciaire dans des conditions très encadrées ; l'article 10 habilite les agents de police municipale – agents de police judiciaire adjoints (APJA) – à réaliser des contrôles d'identité sous le contrôle des officiers de police judiciaire.
J'aurai également l'occasion de vous proposer d'autres évolutions législatives, qui résultent de propositions formulées au cours des auditions et me semblent de nature à recueillir un large consensus.
Voilà, mes chers collègues, l'essence de cette proposition de loi de programmation. La méthode trouve ses limites dans le cadre dans lequel elle est débattue – sa durée d'examen sera brève. Nous aurions pu inclure la justice, mais avons volontairement limité notre ambition aux forces de sécurité intérieure, même si je suis persuadé qu'une grande loi de programmation sur la sécurité intérieure et la justice serait de nature à répondre à l'ensemble des problématiques auxquelles sont confrontés ceux qui assurent notre sécurité. Certes, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, adoptée récemment, participe à la lutte contre la paupérisation de la justice, mais de façon beaucoup trop modeste et imparfaite.
Cette méthodologie nouvelle, nous la devons à ceux qui assurent la protection de nos concitoyens. Il ne suffit pas d'adresser des messages de reconnaissance et parfois, hélas ! d'hommage après un drame. Cette reconnaissance et ces hommages doivent changer de dimension, afin que les contingences matérielles ne limitent plus l'action des forces de l'ordre. La violence, la délinquance, la menace terroriste, la pression migratoire exposent nos policiers et nos gendarmes. Nous leur devons une réponse globale et mieux adaptée ; c'est l'ambition de cette proposition de loi.