Intervention de Mansour Kamardine

Réunion du mercredi 12 juin 2019 à 11h55
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMansour Kamardine, rapporteur :

Madame la présidente, chers collègues, 84 % de la population de Mayotte vit sous le seuil de pauvreté. Pourtant, le panier de la ménagère y est plus cher que la moyenne nationale de 73 %. La solidarité nationale s'y exprime moins que partout ailleurs dans les départements de métropole et des outre-mer.

Mayotte est un trésor environnemental de niveau mondial à valoriser, à préserver et à transmettre aux générations futures. Mais cet environnement est en danger, comme les trente-trois autres points chauds de la biodiversité mondiale répertoriés.

Mayotte est le seul département ultramarin dont l'aéroport ne possède pas de piste d'une longueur adéquate. Je suis persuadé que Mme la présidente et les deux vice-présidents de la Commission, qui nous ont fait l'honneur de leur visite, peuvent en témoigner : l'atterrissage est toujours assez sportif… Or, la population mahoraise sera la deuxième des outre-mer à l'horizon d'une génération et la position géographique de l'archipel est remarquable.

Mayotte est le seul département français d'outre-mer ne possédant pas de grand port maritime malgré une situation régionale stratégique reconnue de tous. C'est la porte d'entrée de la France et de l'Europe ainsi que de leurs entreprises en Afrique de l'Est et australe, où les perspectives de croissance économique sont importantes en comparaison avec la saturation des marchés européens.

Mayotte est la région française qui nécessite le plus d'investissements de la part des collectivités locales alors que les dotations de l'État par habitant sont, de loin, les plus faibles des départements français.

Mes chers collègues, Mayotte n'en peut plus des attitudes dilatoires qui consistent à remettre à après-demain ce qui avait été décidé hier. Mayotte souffre mais résiste et refuse de désespérer. Nos concitoyens de Mayotte rongent leur frein pour enfin être considérés pour ce qu'ils sont : des Français à part entière et non des citoyens de seconde zone. Les Mahorais demandent qu'on les libère des chaînes du sous-développement, des chaînes du sous-équipement, des chaînes de l'inégalité. Les Mahorais demandent qu'on libère leur énergie pour qu'ils puissent participer au développement économique et social de leur territoire, pour qu'ils puissent contribuer au destin de la nation et à la préservation de notre maison commune.

Il y a un an, l'État a présenté un plan de 1,3 milliard d'euros comme réponse à la grave crise sociale, migratoire et sécuritaire de 2017-2018. Dans ces conditions, pourquoi cette proposition de loi ? D'aucuns se posent la question. Ma réponse est simple : le plan gouvernemental de 2018 a répondu simplement à l'urgente nécessité de débrayer la colère sociale, mais il est resté muet sur la trajectoire d'un développement durable dont l'île a besoin.

Du reste, lorsque nous regardons de près ce plan de 1,3 milliard d'euros, nous notons qu'il ne comporte que 10 % à 15 % de mesures nouvelles en termes financiers. De plus, les axes principaux du plan gouvernemental visent à permettre l'intégration à travers l'accès à l'école et à l'hôpital des flux migratoires consécutifs à l'absence de maîtrise des frontières. Aussi, le plan de 2018 ne parle-t-il pas aux Mahorais car il ne tient pas compte de leurs priorités.

Tout le monde connaît ce proverbe probablement chinois : « Si tu veux nourrir un homme un jour, donne-lui un poisson ; si tu veux nourrir un homme toute sa vie, apprends-lui à pêcher. » Voilà ce que veulent les Mahorais : qu'on leur donne les moyens d'un développement durable endogène et la capacité d'être un moteur du développement régional.

Pour l'heure, je dirais que le Gouvernement s'évertue à livrer à Mayotte des poissons maigres en qualité et en quantité, mais en nombre suffisant pour attirer ceux qui dans la région peinent à survivre. L'État ne règle donc pas le problème ; en fait, il l'aggrave tout en allumant inconsciemment le feu des passions tristes, car on ne contraint des pauvres à partager la pauvreté avec plus pauvres qu'eux sans créer des ressentiments. N'oublions pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions !

Nous devons changer de paradigme. Ce n'est pas en maintenant Mayotte dans le sous-développement que nous enraierons la pression migratoire ; c'est en faisant de Mayotte un moteur puissant d'entraînement du développement régional que nous favoriserons le décollage économique et social de nos voisins et que nous désamorcerons la pompe infernale.

Voici l'objet de cette proposition de loi : doter Mayotte des infrastructures nécessaires à son développement durable et à son insertion régionale ; assurer la protection de son environnement ; rectifier la dotation de l'État aux collectivités locales.

Ce texte comporte un chiffrage clair de ce dont Mayotte a besoin pour casser la spirale de l'isolement, de la misère et du sous-équipement. Actuellement, nos infrastructures sont vieillissantes, insuffisantes ou détruites. Vieillissantes comme l'est la centrale électrique diesel des Badamiers dont la Commission de régulation de l'énergie disait déjà, en 2015, qu'elle n'était pas aux normes environnementales. Insuffisantes, comme l'est l'aéroport de Pamandzi où aucun Airbus ne peut se poser tellement elle est courte et où l'on maintient de ce fait un monopole aux conséquences tarifaires néfastes. Détruites, comme l'est l'usine de dessalement d'eau de mer de Petite-Terre qui a brûlé il y a un an et que personne ne semble vouloir réparer.

Je n'ai cité ici que quelques exemples marquants. Je vous invite à consulter le projet de rapport qui vous a été communiqué. Vous verrez que les routes sont dans un état si déplorable que des enfants se lèvent à quatre heures du matin pour arriver en classe à l'heure, alors que le collège ou le lycée n'est situé qu'à quelques kilomètres de leur domicile. Vous lirez que la population, la plus pauvre de France, se situe dans la dernière moitié des classements internationaux en termes d'indice de développement humain. Oui, mes chers collègues, Mayotte, terre de France, est derrière les Seychelles, l'Île Maurice, le Venezuela et Cuba en termes d'indice de développement humain !

Il faut sortir de ce cercle négatif dans lequel nous entraîne une croissance démographique incontrôlée. Quand on rencontre les statisticiens, ils disent que les flux entrants sont élevés parce que les arrivées depuis les Comores ne tarissent jamais. Ces flux ont même été multipliés par dix dans la période 2013-2017, comparée à la période 2008-2012, alors que les jeunes Mahorais, pourtant éduqués et de nationalité française mais désespérant de construire un avenir sur leur territoire, quittent Mayotte en masse pour rejoindre la métropole ou La Réunion. Entre 2013 et 2017, plus de 26 000 jeunes ont quitté le territoire parce qu'ils désespèrent de Mayotte.

Nous devons rétablir l'égalité républicaine pour favoriser le maintien à Mayotte des natifs qui le souhaitent. Dans ce texte, je vous propose d'instaurer l'égalité sociale, et pas en 2036 comme projeté actuellement. Je vous propose aussi de soutenir les collectivités territoriales confrontées à des défis d'investissements insolubles parce qu'elles reçoivent moins que ce qu'elles devraient de la part de l'État. Oui, il faut le dire : un Mahorais reçoit moins de l'État, en moyenne, qu'un métropolitain ou qu'un ultramarin. Ce n'est pas moi qui le dis : la Cour des comptes l'a écrit, de même que les deux derniers rapporteurs de notre commission des Lois sur le budget de la mission « Outre-mer » – Mme Huguette Bello et M. Philippe Dunoyer. Je n'invente donc rien en parlant de ce beau territoire que je porte en moi. Encore faut-il préciser que leurs calculs se fondent sur le recensement de l'Institut national de la statistique et des études économiques qui est bien moins fiable à Mayotte dans la mesure où une bonne partie de la population, en situation irrégulière, évite les contacts avec les agents recenseurs.

Nous devons aussi, et surtout, offrir des perspectives pour le futur. Mon texte vous propose un futur responsable écologiquement, sur la base de constats simples, en partant des réalités. Je vous donne un seul exemple : constatant que l'assainissement est défaillant, l'État va financer huit centrales d'épuration d'ici à 2022, mais comme le réseau des eaux usées est extrêmement lacunaire, voire inexistant dans les bidonvilles, nous savons que les déchets finiront immanquablement dans le sous-sol et dans le lagon… Il ne faut pas replâtrer ; il faut construire en ayant l'environnement toujours en tête. Les discours sur la préservation de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique, c'est bien. Je vous propose maintenant de passer aux actes.

Nous devons aussi profiter des atouts que la nature met à notre disposition. Depuis plus de cent cinquante ans, des marins français s'émerveillent devant la baie de Longoni qui est un port naturel absolument parfait. Nous sommes un territoire français, pauvre mais sûr, qui pourrait accueillir les investisseurs. Dans le modèle du commerce international maritime, nous devrions logiquement être la plateforme d'éclatement de toute la sous-région et rayonner sur l'ensemble du canal du Mozambique. Ce n'est pas le cas parce que le port est mal géré, parce que c'est le seul port outremer dans la gouvernance duquel l'État ne joue pas son rôle, parce que nous manquons d'infrastructures. J'ai déposé un amendement sur ce sujet, hélas incomplet pour cause de recevabilité financière, mais dont je vous reparlerai tout à l'heure.

Mes chers collègues, alors que les braises couvent et menacent comme l'attestent les résultats d'une élection récente, alors que notre maison commune brûle, les Mahorais vous demandent de ne pas regarder ailleurs. Pour une fois, pour la seule fois depuis 2017, il vous est proposé de prendre en compte globalement leurs aspirations. Les mots coconstruction, considération, projet partagé, intégration régionale, égalité républicaine, conquête des marchés internationaux, fraternité ne sont pas que des slogans. Osez en faire des réalités !

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