La présente proposition de loi, adoptée par le Sénat le 22 janvier dernier, est le prolongement des longs débats qui animèrent le Parlement, il y a maintenant un an, à l'occasion du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN).
Le 19 septembre 2018, après une lecture à l'Assemblée nationale et une lecture au Sénat, la commission mixte paritaire (CMP) convoquée sur le projet de loi ELAN parvenait à conclure à un accord sur un texte comportant 234 articles et abordant des sujets aussi variés que le logement social, l'aménagement commercial et le déploiement du numérique. Cet accord avait alors surpris beaucoup d'observateurs, tant les divergences initiales étaient nombreuses et tant ce type d'accord entre deux chambres aux majorités politiques différentes est devenu aujourd'hui de plus en plus rare. Cet accord était le fruit du compromis et témoignait de l'esprit de responsabilité des deux chambres, afin que les mesures utiles et consensuelles du projet de loi, comme l'amélioration de la lutte contre l'habitat indigne ou la simplification de l'acte de construire, s'appliquent sur le terrain le plus rapidement possible.
Le 16 octobre 2018, après un peu moins de six mois de débats à l'Assemblée nationale et au Sénat, le Parlement adoptait donc définitivement le projet de loi ELAN.
Un mois plus tard, dans sa décision 2018-772 DC du 15 novembre 2018, le Conseil constitutionnel, saisi par plus de 60 députés, déclarait conformes à la Constitution les dispositions contestées de la loi ELAN relatives à l'accessibilité des logements et à la loi Littoral. Mais dans la même décision, sur le fondement de l'article 45 de la Constitution, le Conseil censurait d'office 19 articles au motif qu'ils constituaient des cavaliers législatifs, sans lien direct ou indirect avec les dispositions du projet de loi initial.
Parmi ces 19 articles censurés pour des raisons de forme, et non de fond, plusieurs mesures étaient particulièrement attendues par les acteurs de terrain. C'était le cas de l'assouplissement de l'interdiction des pré-enseignes, qui a déjà fait l'objet depuis d'une proposition de loi de M. Richard Ramos, adoptée par l'Assemblée nationale le 9 mai 2019. C'était aussi le cas des articles 91 et 121 qui donnaient aux organismes HLM de nouveaux outils pour préserver la tranquillité et la sécurité de leurs locataires.
Ces deux articles ont donc fait l'objet d'une nouvelle proposition de loi de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, déposée sur le bureau du Sénat dès le 4 décembre 2018, soit quinze jours seulement après la promulgation de la loi ELAN. Cette démarche s'accompagnait de l'espoir que le Parlement réitère rapidement son vote.
Les articles 1er et 2 de la PPL que nous examinons aujourd'hui reprennent à l'identique les articles 91 et 121 de la loi ELAN, tels qu'ils avaient été adoptés définitivement par le Parlement.
L'article 1er prévoit un accès permanent de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la police municipale aux parties communes des immeubles du parc social. Cette disposition est le fruit des débats qui avaient animé la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale à l'occasion du projet de loi ELAN. Depuis 1995, la loi permet à tous les propriétaires d'immeubles d'autoriser de façon permanente les forces de l'ordre à pénétrer dans les parties communes de leurs immeubles. De nombreux organismes HLM le font déjà, eu égard aux enjeux particuliers de sécurité auxquels ils sont confrontés. Toutefois, comme l'avait souligné M. Stéphane Peu, les procureurs de la République demandent que ces autorisations d'accès soient renouvelées tous les six mois, ce qui limite fortement leur caractère permanent. Votre rapporteur avait donc lui-même déposé un amendement en séance publique afin de simplifier cette procédure et de poser le principe selon lequel les bailleurs sociaux accordent cette autorisation permanente. Cette mesure de simplification avait été adoptée à une large majorité, avec le soutien du Gouvernement.
L'article 2 de la présente proposition de loi élargit et aggrave les sanctions applicables en cas d'occupation abusive des halls d'immeuble et autorise une résiliation automatique du bail dans le cas où le locataire ou l'un de ses enfants mineurs a été condamné pour trafic de stupéfiants. Ces deux mesures visent à répondre au sentiment d'impuissance que ressentent souvent les bailleurs et les locataires face au fléau du trafic de stupéfiants. Ces trafics, qui s'accompagnent de violences et d'intimidations, pourrissent la vie quotidienne de très nombreux habitants des quartiers sensibles et populaires. Il suffit de deux ou trois trafiquants dans une « barre » d'immeuble pour que la vie de tous les autres locataires de ces immeubles bascule. Les bailleurs sont souvent démunis face à ces situations et les locataires ne comprennent pas l'inaction du bailleur, lequel ne peut engager d'action efficace en résiliation de bail qui aboutisse, en raison notamment de l'insuffisance de preuves.
C'est la raison pour laquelle un amendement avait été adopté au Sénat à l'initiative de la rapporteure et du groupe socialiste, afin de prévoir que la condamnation définitive d'un locataire pour trafic de stupéfiants, concernant des faits s'étant produit dans le logement, l'immeuble ou le groupe d'immeubles, justifierait la résiliation de plein droit du bail. Une telle disposition législative permettrait aux bailleurs d'engager plus facilement des actions contentieuses dans le but d'expulser les locataires concernés. Cette mesure est très attendue par les bailleurs sociaux et a bénéficié jusqu'à aujourd'hui d'un soutien consensuel sur divers bancs de notre Assemblée. Elle avait, en effet, déjà été adoptée définitivement, sous la précédente législature, par la majorité socialiste de l'Assemblée nationale à l'occasion de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, avant d'être, là encore, censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu'il s'agissait d'un cavalier législatif.
Votre rapporteur considère qu'il est donc temps que cette mesure, déjà approuvée deux fois par des majorités politiques successives et jamais censurée sur le fond par le Conseil constitutionnel, entre en application.
Alors que la proposition de loi initiale ne contenait que deux articles, celle qui est examinée aujourd'hui par l'Assemblée nationale en contient cinq. Lors de son examen en séance publique au Sénat, trois amendements de MM. Jean-Pierre Grand et Alain Richard, ayant reçu un avis favorable du Gouvernement, ont en effet ajouté trois autres articles censurés de la loi ELAN : les articles 123, 144 et 152. Ces trois articles ne sont pas sans lien avec les deux précédents : ils traitent également de la question de l'accès de certains services publics aux parties communes des immeubles d'habitation.
L'article 3 de la présente proposition de loi reprend ainsi l'article 123 de la loi ELAN. Il accorde aux huissiers de justice les mêmes facilités d'accès aux boîtes aux lettres particulières des immeubles d'habitation que celles dont bénéficient les postiers. Cette disposition avait été introduite à l'Assemblée nationale par la rapporteure Mme Christelle Dubos, afin de faciliter l'exercice des missions des huissiers de justice, en particulier dans le cadre de la procédure d'expulsion locative. À l'heure actuelle, les huissiers de justice sont très souvent confrontés à une impossibilité matérielle de parvenir physiquement jusqu'à la boîte aux lettres des personnes à qui ils doivent remettre un acte, en raison de la multiplication des systèmes de sécurité dans les immeubles. Certains d'entre eux se heurtent même à des stratagèmes dans les zones sensibles consistant à indiquer peu de noms sur les boîtes aux lettres afin d'éviter les contrôles ou les contacts. Il en résulte des pratiques parfois absurdes comme le fait de coincer dans la porte d'un hall d'immeuble des actes aussi importants que des commandements de payer. Le fait de donner aux huissiers de justice des badges d'accès similaires à ceux des postiers permettrait ainsi d'améliorer sensiblement les missions de conseil et de médiation des huissiers de justice dans le cadre de la prévention des expulsions locatives. Cette mesure, très attendue par la profession, a également été adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, mais a été, là encore, censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2019, au motif qu'il s'agissait d'un cavalier législatif.
L'article 4 de la présente proposition de loi reprend, quant à lui, l'article 152 de la loi ELAN et a lui aussi été adopté puis censuré à deux reprises par le Conseil constitutionnel, au motif qu'il s'agissait d'un cavalier législatif. Avant la loi ELAN, ces dispositions avaient en effet déjà été adoptées dans le cadre de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté. Il accorde aux agents de l'INSEE et des services statistiques ministériels un droit d'accès aux parties communes des immeubles, afin qu'ils soient en mesure d'assurer leurs missions de service public. Ces derniers sont de plus en plus confrontés à l'impossibilité d'entrer en contact avec les occupants des immeubles collectifs alors que la réalisation d'enquêtes ou de sondages nécessite des échanges directs avec les ménages.
Enfin, l'article 5 de la présente proposition de loi reprend l'article 144 de la loi ELAN. Il donne aux agents assermentés du service municipal ou départemental du logement un droit d'accès aux parties communes des immeubles d'habitation et autorise les propriétaires à leur accorder une autorisation permanente d'accès dans ces parties communes. Ces agents ont notamment pour mission de contrôler les conditions d'occupation des logements afin de rechercher et de constater les infractions à la législation relative aux meublés de tourisme. À Paris et dans les grandes villes, ils jouent ainsi un rôle déterminant dans le contrôle des locations touristiques des plateformes comme Airbnb, qui assèchent le marché locatif. Les sanctions légales contre les pratiques abusives de ces plateformes ont été renforcées par la loi ELAN. Mais encore faut-il que les mairies aient les moyens d'enquêter ! Or, si la loi habilite aujourd'hui ces agents à visiter les logements qu'ils souhaitent, rien n'impose aux gardiens ou aux syndics de les laisser pénétrer dans les parties communes. L'article 5 répond à cette incohérence.
Ces cinq articles censurés de la loi ELAN sont très attendus et ont déjà fait l'objet d'un, voire de deux votes positifs de notre Parlement. Ils se heurtent, depuis deux ans, à de simples questions de procédure, alors qu'ils sont de nature à améliorer sensiblement la vie de nombreux quartiers ou l'accomplissement de missions essentielles de service public.
Le groupe Les Républicains a donc choisi d'inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour de sa « niche », avec l'espoir que notre Assemblée l'adopte sans modification. Fidèle au compromis de la CMP, le Sénat a rejeté tous les amendements qui souhaitaient modifier l'équilibre trouvé à cette occasion.