Intervention de Marie-Christine Dalloz

Séance en hémicycle du mardi 18 juin 2019 à 15h00
Couverture numérique du territoire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Christine Dalloz :

L'accès à internet est devenu l'une des premières préoccupations des Français, qu'il s'agisse d'un accès à un réseau fixe ou à un réseau mobile. À mesure que les performances de connexion augmentent, les usages se modifient et les besoins de connexion augmentent eux aussi. Comme la ministre l'a souligné lors de nos débats en commission, « le très haut débit est aujourd'hui quasiment un service de première nécessité ». En 2019, il est donc inacceptable que les réseaux fixes et mobiles n'offrent pas la même qualité de service partout en France. La fracture numérique aggrave la fracture territoriale et renforce le sentiment d'abandon qu'éprouvent nos concitoyens du monde rural. C'est un réel problème.

Mes propos ne concerneront ici que la couverture du territoire en réseaux fixes, dans la mesure où les modalités de financement des réseaux mobiles diffèrent. La proposition de résolution que nous examinons conclut les travaux que j'ai menés en tant que rapporteure spéciale de la commission des finances, dans le cadre du printemps de l'évaluation. Je vous invite donc à consulter le rapport que je viens de publier pour avoir un panorama plus précis des enjeux et des financements de ces infrastructures.

Permettez-moi de résumer la situation en quelques mots.

La France s'est dotée, dès 2010, d'un plan ambitieux pour couvrir l'ensemble du territoire en très haut débit, d'ici à 2022, en privilégiant la fibre optique. Ce qui était le programme « Très haut débit » est devenu, en 2013, le plan « France très haut débit », qui maintenait l'objectif de déploiement du très haut débit pour tous d'ici à 2022. Pour la mise en oeuvre de ce plan, on distingue globalement trois zones.

Les zones les plus denses, les plus rentables du territoire, sont équipées, sur leurs fonds propres, par les opérateurs privés Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Ces opérateurs déploient eux-mêmes leurs réseaux dans les plus grandes villes et proposent leurs offres commerciales.

En dehors des grandes agglomérations, deux opérateurs, Orange et SFR, se sont partagé les principales zones urbaines en répondant à un appel à manifestation d'intention d'investissement – AMII.

Dans les zones où les opérateurs n'ont pas souhaité investir, là où le coût par prise est le plus élevé, ce sont les collectivités territoriales qui ont la responsabilité de déployer des réseaux. On parle de RIP – non pas le référendum d'initiative populaire, mais les réseaux d'initiative publique. Pour assurer le déploiement de ces réseaux d'initiative publique, l'État a promis des subventions, financées dans un premier temps par le premier programme d'investissements d'avenir, le PIA 1, complété dans un deuxième temps par un nouveau programme du budget de l'État, le programme 343 de la mission « Économie ». Ces crédits sont versés à la Caisse des dépôts et consignations – CDC – qui en assure la gestion par le biais d'une convention conclue avec l'État. Quelle qu'en soit l'origine, PIA ou mission « Économie », ils alimentent le Fonds national pour la société numérique – FSN – , un fonds sans personnalité morale. C'est donc toujours dans une logique PIA que ces fonds sont dépensés, malgré le relais de financement de l'État.

Si, aujourd'hui, près de 3,3 milliards d'euros d'autorisations d'engagement ont été versés au fonds pour la société numérique, seuls 495 millions ont été décaissés : les subventions de l'État ne sont, en réalité, que des remboursements aux collectivités une fois que toutes les factures ont été payées aux opérateurs. Le calendrier de décaissement fourni par la Caisse des dépôts – que vous pouvez trouver dans mon rapport – est donc tout à fait incertain et s'échelonnera vraisemblablement bien au-delà de 2022.

En outre, le suivi de ces crédits est un peu bancal, certains ayant servi à financer d'autres actions que les subventions aux réseaux d'initiative publique. Ainsi, un avenant à la convention initiale entre l'État et la Caisse des dépôts a été conclu en 2016 afin de financer la couverture mobile – et non internet – du territoire ou encore le développement des infrastructures numériques à l'école. Comme le souligne la Cour des comptes dans la note d'exécution budgétaire, « cette pratique, non retranscrite dans les documents budgétaires [… ] est d'autant plus discutable que certaines nouvelles dépenses s'inscrivent dans le plan très haut débit et d'autres non ».

En décembre 2017, et sans concertation aucune avec les collectivités territoriales, le Gouvernement a décidé de la fermeture du guichet FSN des subventions étatiques. Pourtant, l'ensemble des acteurs impliqués dans la mise en oeuvre du plan « France très haut débit » estime qu'il manque encore 700 millions d'euros pour achever la couverture du territoire en réseaux fixes. Cette situation bloque les projets des collectivités territoriales et fragilise certains territoires où la population et les entreprises hésitent à s'installer faute d'une qualité suffisante de réseau.

À la place de crédits budgétaires, le Gouvernement a proposé un nouveau dispositif, intitulé AMEL – appel à manifestation d'engagements locaux. Il s'agit d'attirer des opérateurs privés dans les zones les moins denses dans la mesure où le coût par prise a baissé et où les investissements commencent à être rentables. Ce dispositif ne rencontre pas du tout le succès escompté. Le calendrier de déploiement est particulièrement incertain : les AMEL devaient être validés par l'État à l'été 2018 mais les premiers ne l'ont finalement été que très récemment, avec près d'un an de retard.

En outre, les collectivités territoriales sont particulièrement inquiètes de ce qu'elles considèrent comme un objet juridique non identifié, qui déroge aux règles de bonne gestion publique, sans mise en concurrence et sans garantie pour la puissance publique dans ces nouveaux contrats. Elles craignent également de perdre la propriété des réseaux dont elles bénéficient lorsqu'elles concluent des délégations de service public ou des marchés de travaux – ce qui est grave. On sait également que les AMEL ne couvriront pas tous les besoins, et notamment les logements les plus isolés en zones rurales, insulaires ou de montagne.

En conclusion, sur les trois zones de déploiement du très haut débit – zones très denses, zones AMII et zones d'initiative publique – , les acteurs du secteur ne semblent confiants que pour la couverture de la zone très dense en très haut débit d'ici à 2022. En zones AMII, les deux opérateurs ont mis beaucoup de temps à se lancer et redoublent actuellement d'efforts pour rattraper leur retard. En zone d'initiative publique, enfin, d'après l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – ARCEP – , 1,7 million seulement de lignes en fibre optique ont été déployées sur les 16,4 millions que compte la zone, soit à peine 10 %. Même si les déploiements des collectivités s'accélèrent, l'Agence du numérique estime qu'au moins 3,5 millions de locaux demeureront non éligibles au très haut débit en 2022.

À l'heure où une entreprise a besoin impérativement d'un accès internet performant pour se développer, à l'heure où l'on ferme des services publics de proximité au motif que les démarches s'opèrent via internet, à l'heure où même l'administration fiscale demande que les impôts soient déclarés en ligne – encore faut-il que cela fonctionne – , comment justifier que l'État abandonne les territoires les plus isolés en matière de couverture numérique ?

Lors de l'examen du projet de loi de finances – PLF – pour 2019, des amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale et au Sénat pour rouvrir des autorisations d'engagement sur le programme 343.

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