La proposition de résolution dont nous discutons ce soir propose un objectif sur lequel il semble que nous nous retrouvions sur tous ces bancs, même si le terme de rationalisation mérite évidemment d'être précisé.
Le raisonnement qui a conduit les collègues à présenter ce texte part d'un constat que nous avons tous déjà fait. Les gouvernements précédents, dès les années 2000, ont ainsi pointé un écosystème très français qui certes, foisonne d'imagination, mais qui pose problème en termes d'efficacité quant aux objectifs atteints dans l'accompagnement des politiques publiques, de pertinence quant au périmètre opérationnel et aux missions quelquefois floues de ces agences, de manque d'évaluation fine des résultats ainsi que d'un manque de rigueur dans la gouvernance de certaines de ces structures qui se sont révélées des coquilles vides. Tous ces éléments sont venus interroger le bien-fondé des dépenses occasionnées par l'inflation de structures qui a prévalu pendant de longues années.
Un effort de rationalisation était donc nécessaire pour répondre aux critiques de nombreux parlementaires et citoyens, et il convient donc de poursuivre la clarification dans ce domaine.
Dans un premier temps, avant même de parler d'une rationalisation du nombre de ces structures, il conviendrait de rationaliser les catégories juridiques sur lesquelles sont adossés ces 484 opérateurs de l'État dont la nature est floue : ils peuvent en effet appartenir au champ des organismes divers d'administration centrale – ce qui n'est pas systématique – tous les ODAC n'étant pas a contrario opérateurs de l'État.
En outre, ces mêmes opérateurs de l'État se caractérisent par une diversité de statuts juridiques – neuf aujourd'hui, comme mentionné dans la proposition de résolution. Inutile d'en dresser une nouvelle liste. Il est à noter, d'ailleurs, que les organismes de l'administration centrale dont la liste intégrale ne fait pas l'objet d'une annexe budgétaire mais figure dans un document officiel de l'INSEE étaient environ 700 en 2016. On retrouve dans cette liste des opérateurs de l'État mais, aussi, des AAI, autorités administratives indépendantes, et des API, autorités administratives publiques, ce qui rend la lecture des chiffres et l'analyse des budgets encore plus délicats.
Viennent ensuite les 387 commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre, des ministres ou de la Banque de France – celles-ci sont annexées au budget – et, enfin, les 26 autorités administratives qui font elles aussi l'objet d'une annexe budgétaire.
Il conviendrait donc, pour une lecture réellement accessible, de revoir ces catégories et de fusionner toutes les annexes budgétaires.
Si l'on est passé de 560 opérateurs de l'État en 2012 à 492 en 2017 suite à la mise en place de la circulaire d'avril 2013 relative au recours à la formule de l'agence, puis, de la circulaire de juin 2015 relative au pilotage des opérateurs – , il n'en reste pas moins que 33 % de ces opérateurs ne disposent toujours pas d'un contrat pluriannuel en vigueur passé avec leur tutelle.
Lorsque l'on parle d'un volume financier de presque 51 milliards d'euros publics et de 485 000 emplois, on pourrait s'attendre à ce que de telles situations ne perdurent pas. Là encore, un rapport de l'Inspection générale des finances montre des dysfonctionnements : 17 % des emplois hors plafond ne respectent pas les conditions requises.
Ces structures ont pour objet de participer à un pilotage global des politiques publiques et de contribuer à la performance des programmes. Elles sont soumises à un suivi de la part de leur ministère de tutelle qui est censé s'assurer d'une cohérence dans les actions menées. La Cour des comptes, qui contrôle ces opérateurs, observe cependant que l'information disponible sur les dépenses des opérateurs est incomplète, fragile et tardive.
Dans le « jaune budgétaire » 2019, plus de vingt opérateurs de l'État, en particulier sous la tutelle du ministère de la culture, ne sont pas renseignés : l'Orchestre de Paris, le Théâtre national de Chaillot, celui de la Colline, l'École nationale supérieure des arts décoratifs – ENSAD – ou les écoles d'art en région – je vous épargne la liste complète. Au moment où nous sommes sur le point de créer un centre national de la musique et un établissement public à caractère industriel et commercial – EPIC – pour gérer la rénovation de Notre-Dame, ces éléments ne sont pas très encourageants.
Il est à noter aussi que ces agences publiques recouvrent des missions très différentes, qui vont des missions de contrôle et de régulation à des missions de recherche, d'autres encore étant des opérateurs de moyens de financement ou de prestations de service.
On comprend bien là qu'il est difficile de traiter uniformément, par exemple, nos universités et des théâtres tant leurs missions répondent à des critères différents et impliquent des budgets et une gestion des personnels spécifique.
On comprend bien aussi que la doctrine qui consiste à afficher la réduction du nombre d'agents de la fonction publique comme l'alpha et l'oméga de toute politique moderne et ambitieuse est non seulement fragile mais dangereuse.
En effet, comment imaginer les contours de cette rationalisation sans risquer d'affaiblir des missions particulièrement importantes ? L'exemple du CNRS montre le manque de cohérence entre les discours, l'affichage de nos ambitions et la réalité des politiques mises en oeuvre. Le nombre d'emplois sous plafond n'a pas bougé dans le monde de la recherche entre 2017 et 2018 : il est resté à 70 711. Au CNRS, le nombre de chercheurs, ingénieurs et techniciens, quant à lui, a diminué en passant de 28 618 à 28 597 personnes quand, dans le même temps, la masse salariale a augmenté, conséquence d'une juste et tardive mise en place d'une revalorisation attendue, glissement vieillissement technicité non compensé par la subvention de l'État.
Malgré un budget qui pourrait sembler très conséquent, nous savons que l'emploi scientifique n'est pas en augmentation, qu'avec une part d'investissement, en France, de 2,2 % du PIB contre 2,74 % aux États-unis, 3 % en Allemagne ou 4 % en Israël, le budget est stable depuis vingt ans alors que de nouvelles ambitions en matière de recherche fondamentale mais, aussi, en termes de valorisation de la recherche sont indispensables – par exemple, augmenter les jeux de transferts du CNRS vers le monde économique, lui donner les moyens de venir en appui aux start-up, le soutenir pour qu'il puisse proposer des formations vers les PME et renforcer ainsi le dialogue avec les décideurs.
Dans le même temps, l'ANR, l'Agence nationale de la recherche, qui est classée comme opérateur de recherche alors qu'elle n'en effectue pas, voit ses emplois passer de 225 à 254 équivalents temps plein – ETP. Il y a probablement là matière à concertation.
Cette situation témoigne d'une profonde contradiction entre les discours du Président et l'ambition réelle de la France dans le champ des nécessaires ruptures technologiques aptes à augmenter la compétitivité du pays. Interrogée sur la question de la place insuffisante de la recherche dans notre paysage universitaire, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche renvoie à l'autonomie des universités, laquelle permet à ses instances dirigeantes de faire les choix qu'ils jugent les plus judicieux. On imagine bien le choix cornélien de ces établissements universitaires, qui voient leur nombre d'ETP diminuer pour passer de 144 977 en 2017 à 144 327 en 2018 alors même que le nombre d'étudiants ne cesse, lui, d'augmenter.
Ces deux exemples illustrent la nécessité de redéfinir le rôle que l'on entend donner à la puissance publique et à la mise en oeuvre de politiques plus ou moins ambitieuses. Rationaliser cette pléthore d'opérateurs prendrait donc la forme d'un incroyable défi pour chaque ministère, contraint à concilier des missions de service public tout en maîtrisant les financements publics. Il s'agit bien là d'actes politiques forts sur lesquels les différents groupes de ce parlement n'apportent pas tous les mêmes réponses.
Puisque nous parlons de moderniser l'État, cette résolution aurait pu aborder me semble-t-il la question des niches fiscales. Là aussi, dans une récente note d'analyse de l'exécution budgétaire 2018, la Cour des comptes a dénombré 474 niches fiscales pour un coût de 100,17 milliards d'euros. L'une date de 1810, 110 d'entre elles n'ont pas été actualisées depuis 2000, 13 % ne sont pas chiffrées. Finalement, l'identification du nombre des bénéficiaires n'est possible que pour 252 niches. Vous reconnaîtrez qu'en matière d'efficacité et de justice fiscale, il y a là encore beaucoup à faire, et sûrement mieux à faire que de ponctionner l'aide personnalisée au logement à des personnes fragiles ou supprimer des contrats aidés dont le monde associatif a besoin.
Enfin, pour en venir aux commissions et instances consultatives auxquelles le Premier ministre semble s'intéresser, l'année 2018 a vu la suppression de vingt instances, poursuivant ainsi la démarche de rationalisation. L'intitulé de « commission » désigne des groupes dont les rôles sont toutefois multiples, les activités variées, de même que leur composition, et des effectifs très inégalement répartis : alors qu'elles comptent un total de 20 000 sièges, le nombre par commission s'élève de 3 à 330 personnes pour un coût de fonctionnement annuel moyen de 50 000 euros. Il faut cependant garder à l'esprit que la plupart des fonctions au sein de ces observatoires, conseils supérieurs, hauts comités et commissions ne sont pas rémunérées. Les coûts correspondent surtout à des mises à disposition de locaux sauf, bien sûr, pour celles qui distribuent des budgets. En tout état de cause, la traçabilité n'y semble pas être le critère le mieux partagé.
Des mesures de bon sens comme celles qui consistent à supprimer les structures qui n'ont pas tenu de réunion au cours des deux dernières années ou à soumettre la création de nouvelles entités à des règles plus contraignantes ont permis de descendre en dessous du seuil des 400. C'est bien le moins, me direz-vous, que l'on puisse attendre de responsables de l'État, mais la réalité montre qu'il est plus facile de faire que de défaire. Et je m'abstiendrai ici de parler de notre arsenal législatif qui, comme l'a déjà remarqué M. Vigier, ne cesse de croître.
Reste que, sur cette question, il semble que les intentions du Gouvernement soient à géométrie variable. L'exemple récent de la commission du débat public qui avait vocation à organiser et à encadrer le « grand débat » et qui a finalement été « cornérisée » suite à une actualité brûlante, nous interroge : question de contrôle qu'il ne fallait pas risquer de perdre ? Une nouvelle fois, il y a là un peu d'hypocrisie à multiplier les agences puis à les écarter lorsque la situation devient instable.
Pour mon groupe, ce n'est donc pas forcément la bonne question que celle de savoir s'il conviendrait de fusionner le CESE avec ces commissions. Le Premier ministre affiche l'ambition de remplacer ces commissions par des consultations plus ouvertes. Cela ne peut que nous convenir, comme tous les collègues qui, ici, ont été à l'initiative de la mise en place d'un référendum d'initiative partagée parce qu'ils croient justement que notre démocratie doit utiliser les outils que la Constitution lui donne afin de prendre en compte la voix de nos concitoyens.
Il est urgent de redonner du sens à la représentativité des élus que nous sommes. Cependant, s'agissant de cette dernière proposition, nous pensons qu'elle doit résulter d'une large concertation qui concerne élus et citoyens. Aussi, le groupe Socialiste et apparentés s'abstiendra sur ce texte, dont il partage la philosophie générale, mais qui ne définit pas assez clairement la rationalisation et la mutualisation désirées.