Intervention de Louis Gautier

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Louis Gautier :

Madame Dumas, les réticences des Pays-Bas et de la Suède montrent que le modèle défini pour le FEDef, qui est cohérent, pose des problèmes à des pays qui ont un modèle industriel différent du nôtre. Il me paraît nécessaire que la France et l'Allemagne tiennent leur ligne. Il faut trouver un aménagement avec les Britanniques. De manière générale, la France aurait intérêt à avoir un accord bilatéral post-Lancaster House avec les Britanniques en cas de Brexit. Un tel accord bilatéral pourrait ouvrir la voie à un accord de sécurité pour une relation particulière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, qui me paraît également souhaitable.

Monsieur Bazin, la question de faire courir le risque de mort à des soldats dans des opérations européennes et des responsabilités qui en découlent ne se pose pas différemment que pour d'autres engagements multinationaux, en particulier ceux de l'OTAN. Cette question se pose évidemment aussi dans le cadre des coalitions de circonstance. Le fait que celui qui commande est un Américain n'allège pas la question politique et morale. S'il y a d'ailleurs un domaine de la PSDC dans lequel la majorité qualifiée ne peut pas être adoptée, c'est bien le domaine opérationnel : ce sont les États qui décident de s'engager ou non. On interrogera nécessairement la responsabilité des autorités nationales qui ont consenti à ce qu'une force européenne soit engagée, comme c'est déjà le cas aujourd'hui. En effet, même dans les opérations du bas du spectre, il peut y avoir des accidents, des actions qui dégénèrent et donc des risques de mort. Le problème se pose également pour nous quand nous agissons comme nation-cadre de certaines opérations.

Les préoccupations relevant de la cyberdéfense travaillent nos sociétés et nos démocraties. Il faut encourager les initiatives dans ce domaine, comme la création d'une agence européenne de protection de l'information. Le rapport cependant se consacre surtout aux questions de cyberdéfense de l'Union et de la protection de ses infrastructures et services essentiels.

Je n'ai volontairement pas utilisé le terme de « livre blanc », parce qu'il est galvaudé et qu'il peut rebuter par son effet d'affichage. Cependant, on peut bien s'entendre sur des éléments de doctrine communs et les valider politiquement.

Nous devons importer dans l'Union européenne une discussion du type de celle qui a lieu dans le cadre otanien à Tallinn. Dans le domaine de la cyberdéfense, le modèle français nous paraît pertinent, lequel repose sur l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), les services de renseignement et les armées. L'inconvénient du processus de Tallinn ou de l'OTAN est qu'il repose sur un modèle anglo-saxon beaucoup plus intégré, où il y a une confusion entre le rôle des services de renseignement et celui des services de protection. Le fait que l'ANSSI ne soit pas un service de renseignement lui permet d'agir au coeur de l'économie ou pour protéger la vie démocratique de notre pays, comme lorsque j'ai mobilisé l'ANSSI pour aider TV5 après l'attaque que cette chaîne de télévision avait subie en 2015, ou au profit de la Commission de contrôle de la campagne électorale et du Conseil constitutionnel pour protéger l'élection présidentielle de 2017. Le modèle français, qui est partagé par d'autres pays européens, me paraît donc être un bon modèle. Il faut veiller à ne pas le déséquilibrer. Même si l'ANSSI n'est pas un service de renseignement, la coopération dans le domaine de la cyberdéfense ou de la cyber-protection repose cependant sur les mêmes usages que dans les communautés du renseignement, c'est-à-dire sur des échanges entre pairs : on échange des savoirs faire et de l'information avec les meilleurs et, sur certains sujets, avec les plus pertinents. L'ANSSI développe ainsi des coopérations fortes avec les Anglais, les Allemands ou les Néerlandais parce que leurs systèmes reposent sur les mêmes connaissances technologiques et scientifiques mais elle partage moins avec d'autres pays.

Or, les brèches qui percent la cybermuraille de certains pays européens nous rendent aussi vulnérables.

L'Union européenne pourrait jouer un rôle moteur à travers un fonds d'intervention en cas de crise et la mobilisation de crédits de façon à financer des programmes de coopérations entre les grandes agences européennes, telles que l'Office fédéral de la sécurité des technologies de l'information (BSI) allemand ou l'ANSSI, pour qu'elles puissent mener des actions de mise à niveau des structures de cyberdéfense dans tous les pays qui n'ont pas les moyens d'assurer leur propre cyberdéfense dans des conditions satisfaisantes. On devrait obtenir en droit européen une clause de responsabilisation des États membres pour assurer un niveau minimal de cyberdéfense. Il faut imposer aux États de l'Union une obligation de diligence raisonnable pour élever progressivement le niveau de la cyberdéfense européenne.

Monsieur Larsonneur, lors des premières négociations sur le corps européen en 1991-1992, il y a eu une crise à l'OTAN qui a conduit à introduire cette règle inefficace de l'alternance du commandement tous les six mois entre l'OTAN et l'Union européenne. Le blocage par les Américains des initiatives européennes, avec l'aide de certains de leurs alliés comme le Royaume-Uni, n'est donc pas nouveau. Avec Donald Trump, au moins, les choses sont claires. Cependant, nous devons refuser de faire deux poids et deux mesures, pour l'armement et pour le reste. Le problème est que les 26 États ne sont pas unis sur cette question : certains ont des intérêts importants dans l'industrie de la défense et d'autres n'en ont aucun. Comment faire pour les intéresser à cette cause commune ? Je pense qu'il faut qu'ils y trouvent des avantages : il faut les faire participer à la reconquête du marché domestique européen, à la consolidation d'un certain nombre de secteurs, tels que les moteurs ou le secteur naval de surface. Il faut réorganiser les chaînes de sous-traitance pour les redéployer davantage en Europe.

Monsieur de Ganay, vous avez raison d'évoquer la disparité des capacités et des efforts budgétaires. À considérer le montant du budget allemand consacré à la défense, certains doutent, y compris outre-Rhin de la capacité à financer la régénération de l'armée allemande et le renouvellement de ses équipements. Tous les pays européens sont d'ailleurs confrontés au problème du renouvellement des capacités conventionnelles pour passer à une nouvelle génération d'appareils reposant sur l'intelligence artificielle, ce qui nécessite des investissements dans la recherche-développement. La France n'est pas en reste et doit également investir dans sa troisième génération de forces de dissuasion. Nous devons donc faire des investissements d'avenir pour renouveler un certain nombre d'équipements conventionnels et nucléaires. Il est donc nécessaire de développer des programmes communs car les budgets consacrés à la défense ne sont pas illimités.

Madame Gipson, il faut encourager des initiatives comme celles de la base d'Évreux. Il existe d'autres coopérations de ce genre dans le domaine aérien, telles que l'école de formation des pilotes d'hélicoptères de combat français et allemands ou l'école de pilotage de Cognac.

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