Merci pour ces mots chaleureux, Monsieur le président, et pour les regards, non moins chaleureux, que j'ai croisés dans cette salle tout au long de votre propos. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir une nouvelle fois parmi vous. Il est en effet probable que cette audition soit, pour moi, la dernière en tant que chef d'état-major de l'armée de terre, ce qui rend ce moment singulier. Si vous le permettez, mon propos liminaire sera donc un peu plus long que d'habitude. Au cours des cinq années écoulées, j'ai eu, avec les parlementaires de la commission de la Défense et des forces armées de l'Assemblée nationale, des relations de qualité, riches et denses. Depuis le début de cette législature, vous m'avez reçu à de nombreuses reprises, pas moins de six fois en deux ans, en comptant aujourd'hui. Ces auditions sont des moments importants – et je le dis régulièrement à mes hommes en unités – qui complètent utilement, à mon sens, le travail que vous faites, en vous rendant très régulièrement dans les forces, que ce soit à l'occasion de missions d'information, de rapports thématiques, ou simplement dans vos circonscriptions. J'ai d'ailleurs noté avec beaucoup de satisfaction que vous étiez nombreux à visiter le centre d'entraînement en zone urbaine (CENZUB) le 30 avril dernier. Pour ma part, je présidais la cérémonie de Camerone, à Aubagne, et déplacer Camerone le 30 avril, c'est évidemment très compliqué. Mille excuses, donc, pour ne pas vous avoir vu alors !
Au fil de ces auditions et des relations que nous avons nouées, je crois pouvoir dire que nous avons toujours travaillé en pleine confiance, ce qui m'a permis d'être extrêmement libre dans mes propos. De votre côté, j'espère que cette relation de confiance vous a amené à remplir votre mission dans de bonnes conditions. Je suis persuadé que vous saurez établir des relations de la même qualité avec mon successeur. Dans ce propos liminaire, et au moment où je me prépare à quitter l'armée de terre, je vous propose, non pas un testament – ce serait bien triste ! –, mais une appréciation de situation déclinée en trois points : ma vision de l'armée de terre aujourd'hui, ce que je perçois comme les défis qui l'attendent à l'avenir et les points d'attention qui sont les miens et que je transmettrai à mon successeur, alors que nous sommes désormais au milieu de la première année de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025.
Notre armée de terre est très engagée en opérations extérieures comme sur le territoire national. Elle fait la Guerre – avec un G majuscule – au Sahel et au Levant notamment, où nos soldats conduisent, toutes les semaines, des opérations de combat difficiles. Une des caractéristiques de notre engagement, par rapport à bon nombre de nos alliés, est que nous sommes une armée d'emploi et que, de fait, nous nous exposons. Nous combattons sur le terrain et délivrons des feux. La task force Wagram a été, par exemple, la seule force terrestre conventionnelle non américaine engagée au combat pendant l'opération Inherent Resolve et ce, pendant huit mandats depuis août 2017 (soit 18 000 coups de canon tirés en deux ans). L'armée de terre est aussi devenue un acteur majeur de la protection du territoire national, par ses unités engagées, en alerte et en réserve. Elle use de la force, en dernier recours et toujours avec retenue, comme en témoigne l'intervention de soldats de Sentinelle du 152e régiment d'infanterie pour neutraliser un terroriste qui s'en était pris à la population française, lors du marché de Noël de Strasbourg, le 11 décembre dernier.
Mais si l'armée de terre fait la guerre, elle se doit, en contrepartie, de soutenir ses blessés et ses familles de militaires décédés. En cinq ans, j'ai rendu hommage à vingt soldats morts en service et suis resté en contact avec 107 familles endeuillées ou proches de soldats blessés grièvement. Je ne veux surtout pas que l'armée de terre les oublie mais bien plus, je souhaite que toute notre communauté nationale continue à exprimer son soutien à leur égard. Je veux d'ailleurs souligner très positivement l'action de Mmes Anissa Kheder et Laurence Trastour-Isnart qui conduisent, depuis janvier, une mission d'information sur le suivi des blessés et qui visitent nos régiments. C'est pour moi une preuve de l'attention que vous leur accordez. De mon côté, je poursuis mon objectif de donner de la visibilité sur le sujet des blessés. Le samedi 22 juin prochain, nous organiserons la 3e édition de la Journée nationale des blessés de l'armée de terre (JNBAT), une journée que chaque régiment et garnison va relayer au niveau local. Cette 3e JNBAT aura une visibilité particulière dans Paris : elle se déroulera, toute la journée, au parc André Citroën, avec des concerts de musique militaire l'après-midi et l'ouverture au grand public de trente stands tenus par des organismes et associations d'entraide. De nombreuses actions menées au profit des blessés seront d'ailleurs présentées au grand public comme l'innovation dans les domaines de la protection et de la reconstruction physique et morale. Vous y êtes cordialement invités à partir de 10 heures, que ce soit à Paris ou dans les régiments de vos circonscriptions. Pour les courageux qui seront à Paris, vous pourrez arriver dès 8 h 45 pour assister au lever des couleurs et au footing de cohésion, avec les familles ! Ceux qui veulent découvrir les tenues de sport rénovées de l'armée de terre sont ainsi les bienvenus sur une boucle qui peut faire deux, quatre, six ou huit kilomètres, de sorte que chacun pourra trouver chaussure à son pied ! (Sourires.) Je transmettrai également à mon successeur un projet ambitieux de « maison des blessés » afin de compléter l'accueil et la reconstruction des soldats en situation de handicap, pendant la période située entre la fin des soins donnés par le service de santé des armées et le retour à l'emploi, qui peut durer entre zéro et trois ans. Pendant ce temps, nos garçons et nos filles sont des convalescents militaires ou des militaires convalescents, qui ne trouvent pas forcément dans les congés de longue maladie passés à domicile un cadre propice à retrouver un emploi le moment venu. J'attire enfin votre attention sur le fait que nos morts et nos blessés ne sont pas des victimes mais bien des héros, dont le sacrifice nous oblige.
Le deuxième point que je voudrais souligner, c'est la prise de poids, ou la prise de muscle, de l'armée de terre depuis les attentats de 2015. À travers le modèle « Au contact », l'armée de terre s'est profondément transformée, alors qu'elle arrivait à la fin du cycle de la professionnalisation. Elle a gagné 11 000 hommes par la création de 33 unités élémentaires et l'installation de la 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE) sur le plateau du Larzac. L'armée de terre est désormais « sur ses chiffres » au prix d'efforts considérables pour tenir le cap de l'attractivité, du recrutement et de la fidélisation. Cette remontée en puissance nous a confrontés à des seuils critiques en termes de formation, de taux d'encadrement, d'infrastructures, d'équipements ou encore de soutiens. Elle a également conduit à un fort rajeunissement de nos soldats. Pour ce qui concerne la partie stationnement, l'armée de terre s'est beaucoup réformée, restructurée et a besoin d'un peu de stabilité, pour retrouver son équilibre.
Troisièmement, l'armée de terre est reconnue et respectée. Elle a trouvé ce qui lui manquait pour être pleinement épanouie, c'est-à-dire une forme d'estime de soi. Elle a fait son retour dans le coeur des Français. Elle incarne l'unité de la Nation et en assure la continuité. Elle fait aujourd'hui l'objet d'une popularité qui nous oblige. Elle est estimée par nos concitoyens parce qu'elle est un creuset de civisme, un symbole de méritocratie et parce qu'elle incarne un corpus de valeurs. Fort de ce constat, elle attire d'autant plus que nos jeunes concitoyens sont à la recherche de sens et de valeurs. Je suis très heureux de la courbe de recrutement de 2019 et de nos objectifs remplis dans les trois catégories de recrutement : officiers, sous-officiers et militaires du rang. L'armée de terre est aussi reconnue parce que les attentats sur le territoire national et les opérations extérieures ont rappelé à tous les Français que la guerre était une des vérités de l'Histoire. Cette guerre, l'armée de terre la fait avec courage, détermination mais aussi retenue. Ce regard bienveillant porté sur l'armée de terre s'accompagne d'une exigence d'excellence de la part des Français et de nos dirigeants politiques. L'armée de terre est enfin reconnue par nos Alliés, pour son efficacité opérationnelle, mais également pour sa réflexion prospective et stratégique. J'ai pu constater toute l'attention portée à l'armée de terre lors du séminaire Action terrestre future (ATF) en Grande-Bretagne les 13 et 14 mars derniers.
Dernier point : l'armée de terre est désormais entrée dans le compartiment de terrain de l'innovation. Elle est solide car elle dispose d'une doctrine cohérente avec le contexte actuel et qui fait face aux menaces futures. C'est dans cette perspective que l'armée de terre a refondu tout son corpus de textes fondateurs : Action terrestre future à but prospectif, le Livre bleu sur l'exercice du commandement, le Livre vert sur l'exercice du métier des armes, que je vous avais distribué en septembre 2018 et enfin, le Livre kaki sur les traditions militaires dans l'armée de terre que j'ai l'honneur de vous remettre aujourd'hui. Il me semble important de m'arrêter sur ce Livre kaki, troisième livre de la trilogie, car les traditions sont souvent mal comprises. Les traditions, comme la vie de l'unité du soldat, sont un référentiel qui lui donne le courage de surmonter les épreuves, de la fierté et de la confiance dans l'avenir. Comme l'a montré la récente visite de la ministre et du chef d'état-major des armées au régiment de marche du Tchad, hériter du serment de Koufra du général Leclerc, les traditions ont ce pouvoir d'enraciner les soldats dans un « plus grand que soi » et de donner du sens à son action.
Nous devons également relever les défis des nouvelles menaces et des nouveaux moyens qu'offre la technologie. Je pense, par exemple, aux robots, à l'intelligence artificielle (IA), mais aussi aux drones. L'armée de terre disposera à terme de 1 300 drones, allant du nano drone de quelques grammes au drone tactique dont les performances permettront d'appuyer l'engagement d'une unité au combat dans la durée et sur de fortes distances. Mais les défis technologiques les plus médiatisés ne doivent pas nous faire oublier des capacités structurantes, tout autant nécessaires mais parfois moins connues. Si la réalité de la menace cyber est bien réelle et si l'armée de terre doit y prendre toute sa part, il est essentiel que nous restions à la pointe de l'innovation dans le domaine des systèmes de commandement et de renseignement tactiques qui nous permettent, en opérations, de garder l'ascendant sur l'adversaire. Je rappelle d'ailleurs que SCORPION, que l'on résume maintenant un peu rapidement au Griffon, est avant tout une bulle opérationnelle aéroterrestre, c'est-à-dire un système d'armes complet et intégré, avec hommes et matériels, et qui dispose de moyens d'information et de communications particulièrement aboutis.
L'armée de terre cherche aussi à garder un temps d'avance sur ses adversaires grâce à sa capacité d'appropriation rapide des innovations. L'état-major de l'armée de terre se réorganise en créant un pilier « Numérique et Innovation » aux ordres d'un officier général directement subordonné au major général de l'armée de terre. La meilleure illustration est probablement la création du Battle Lab Terre qui viendra concrétiser les efforts de structuration du Pôle Innovation Terre et dont j'ai souhaité planter le drapeau sur le plateau de Satory. Pourquoi le plateau de Satory ? Parce que c'est l'endroit où est établie la section technique de l'armée de terre (STAT), qui est un peu le noyau historique des travaux de haute technologie, mais aussi les bureaux de recherche de Nexter, d'Arquus, le cluster de Saclay ou le laboratoire de l'école Polytechnique.
Toutefois, même si l'armée de terre a besoin de compétences techniques de pointe dans ses rangs, il lui faut toujours cultiver certains fondamentaux. Vous le savez, l'armée de terre suit depuis 2019 un fil directeur autour de « l'esprit guerrier », combinaison d'aguerrissement, de haute technologie et de traditions militaires. Cette idée d'esprit guerrier peut sembler datée. Mais c'est tout l'inverse : je suis persuadé qu'elle est pleinement actuelle. L'issue d'un engagement armé ne dépend pas que du nombre de combattants, de la qualité des matériels, ou même de la stratégie des chefs. La victoire est intimement liée aux forces morales qui permettent au soldat de faire la différence sur le terrain. En cette année du Centenaire, nous pouvons évoquer nos « Poilus » de 14. Entretenir l'aguerrissement et cultiver les traditions cimentent la cohésion d'une unité. Cet esprit guerrier, cette mobilisation de ressources physiques, mentales et psychologiques pour surmonter l'adversité, ne vient pas seul. Il est sans cesse à forger, à entretenir et à transmettre. C'est l'une de nos missions majeures. Voilà dépeinte en quelques traits l'armée de terre telle que je la vois aujourd'hui.
J'en viens maintenant aux défis à venir. Je ne les ai pas hiérarchisés. Le premier vous surprendra peut-être. Il s'agit de la maîtrise du temps ou la recherche des équilibres. La remontée en puissance des effectifs sous forte contrainte opérationnelle a entraîné un déséquilibre dans le cycle formation-entraînement-engagement-remise en condition. Monsieur Thomas Gassilloud l'a d'ailleurs noté, dans son dernier rapport. Même si ce déséquilibre est, en partie, résorbé, des points de vigilance persistent. Le rythme et l'intensité de nos engagements opérationnels, conjugués à l'importance de maintenir un entraînement de haut niveau ont un effet d'érosion sur nos unités et leurs équipements. Pour autant, si la suractivité est réelle, surtout dans les unités pourvoyeuses de l'opération Sentinelle, avec des conséquences sur le taux d'absence, qui a un fort impact sur le moral et les familles, celui-ci est en cours de rééquilibrage. Je souligne quand même, qu'en moyenne, en 2018, les soldats de la force opérationnelle terrestre ont passé 136 jours hors de leur domicile.
Nous avons aussi le devoir de veiller à l'organisation du temps de service de nos soldats et de générer de la respiration entre les activités pour faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place un dispositif de pilotage qui suit avec acuité le nombre de jours hors domicile et le nombre de jours d'entraînement. Tout ceci milite pour une gestion intelligente du temps de service. Le président de la République a clairement dit qu'il était opposé à une transposition, aux militaires, de la directive européenne sur le temps de travail (DETT) de 2003. Vous connaissez ma position, je n'en veux pas non plus. Mais refuser la DETT ne nous exonère pas d'un travail interne sur la façon de mieux organiser et sans doute d'optimiser le temps passé au régiment.
Le deuxième défi réside dans la préservation du capital humain et la bataille des compétences. Nous avons gagné la bataille des effectifs – 11 000 hommes en deux ans – et retrouvé une masse critique au moment de la remontée en puissance, en 2015. Il nous faut désormais gagner la bataille des compétences. À partir de 2020, nous allons être confrontés au renouvellement des contrats des cohortes de la remontée en puissance initiée en 2015. Tout ceci nous impose un effort important en matière de fidélisation. Pour fidéliser, il nous faut donner des repères, dissiper au maximum les incertitudes. Nous devons éclairer l'avenir en ayant un discours de clarté et utiliser tous les leviers possibles pour fidéliser. À cet égard, le chantier de la réforme des retraites ou les travaux relatifs à la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) représentent des enjeux majeurs pour l'avenir de l'armée de terre. Ils doivent être envisagés de manière globale en respectant notre singularité et en prenant en compte leur impact sur le moral, sur l'attractivité du métier des armes et sur la condition du personnel. Il faut conserver à l'esprit, dans ces travaux de réformes, que les équilibres sont d'autant plus fragiles que nous touchons à l'humain. À chaque fois que des travaux étaient entrepris sur la question des retraites, nous avons constaté des départs parmi nos sous-officiers supérieurs spécialistes. Mais je voudrais vous rassurer : même si le sujet reste le premier abordé au cours des tables rondes en 2019, je n'ai pas constaté une hausse de départ par rapport à la moyenne, ce qui est plutôt un signe positif.
Troisième défi : la maîtrise des ressources et la consolidation de la remontée en puissance. La LPM 2019-2025 nous offre l'opportunité de rapprocher les moyens de nos ambitions et d'inscrire la remontée en puissance de l'armée de terre dans la durée, notamment au travers de l'approche « à hauteur d'homme ».
Vous savez à quel point il était devenu essentiel de remplacer des équipements à bout de souffle. Pour autant, comme le dit la ministre « chaque euro dépensé doit être un euro utile ». Nous devons donc veiller à quantifier et justifier le plus précisément possible nos besoins ; à être exigeants quant à la qualité et à la pertinence de la dépense ; à être rigoureux dans l'armement et l'exécution des contrats opérationnels. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au commandant des forces terrestres de consolider le cadrage de la préparation opérationnelle par les ressources. C'est un peu nouveau. Auparavant nous avions l'habitude d'allouer le temps par tiers. Il s'agit maintenant d'optimiser l'emploi de toutes les ressources : le potentiel des véhicules, les munitions, les infrastructures de préparation opérationnelle, et naturellement le temps disponible des unités.
Sans détailler les livraisons depuis janvier 2019, il faut noter que l'armée de terre a notamment reçu 5 000 fusils d'assaut HK 416 F sur les 9 600 prévus en 2019, dont 1 000 livrés en mai, soit l'équivalent d'un régiment ; deux hélicoptères Caïman sur les neuf prévus en 2019 (un livré le 7 mai 2019) ; un Cougar sur les quatre prévus en 2019 ; 75 postes de tir missiles à moyenne portée – MMP (soit la totalité de ce qui était prévu en 2019). La balle est désormais dans le camp des industriels pour les livraisons attendues en 2019.
Quatrième éclairage : l'armée de terre doit être une armée ouverte à d'autres champs, avec le défi du rayonnement. Cela passe notamment par la communication qui doit être adaptée aux attentes de la jeunesse, en tirant le meilleur parti des réseaux sociaux. Il est vrai que le recrutement se fait maintenant beaucoup grâce aux réseaux sociaux au travers notamment de clips du service d'informations et de relations publiques des armées (SIRPA) Terre, de Twitter ou de la communication très réussie de certains régiments. Mais la communication et les réseaux sociaux posent la question de l'équilibre délicat à trouver entre liberté d'expression et devoir de réserve. Pour autant, je note que les choses se déroulent plutôt bien cette année. L'armée de terre est aussi présente dans le champ des idées. C'est dans cette dynamique que s'inscrit le renouveau de la pensée militaire, dont l'École de Guerre Terre est une des illustrations. Nous inaugurerons, jeudi prochain, à l'École militaire, un colloque sur les grands principes de la guerre. J'ai délibérément voulu poser la question de savoir si, plus d'un siècle après Foch, les grands principes de la guerre demeuraient inchangés. J'ai choqué beaucoup de gens ! (Sourires.) Mais je note avec intérêt que tous les pays qui vont concourir à l'Initiative européenne d'intervention (IEI) ont répondu présents. Cela veut dire que l'armée de terre reste une référence grâce à plusieurs grands officiers penseurs en la matière.
Il nous faut en effet penser les guerres de demain. Le paysage guerrier est en mutation très rapide. La supériorité militaire occidentale qui était jusqu'alors difficilement contestable pourrait être concurrencée par des puissances mondiales. L'amiral Prazuck ne dit-il pas que la Chine produit l'équivalent de la marine française tous les quatre ans ? Les décennies à venir risquent donc de voir le rapport de force s'équilibrer avec le retour de la « haute intensité » (capacités de déni d'accès, technologies nivelantes). Que nous le voulions ou non, le combat aéroterrestre perdurera, voire restera au centre de tous les conflits.
Un dernier point : je ne veux pas terminer mon propos consacré aux défis sans affirmer la place de l'armée de terre dans les alliances et les grandes organisations internationales et rappeler que nos relations internationales militaires restent un défi. J'ai souhaité positionner l'armée de terre comme une référence en Europe. 11 000 hommes servent en permanence à l'extérieur de nos frontières, au contact de nos alliés et partenaires (OPEX, OME, PPE). L'armée de terre est naturellement et culturellement tournée vers l'international. On le dit trop peu. C'est pour renforcer son interopérabilité avec ses principaux partenaires que l'armée de terre développe des capacités intégratrices (CaMo, Main Ground Combat System – MGCS). Cette interopérabilité est la clé du succès en opération. C'est dans cet esprit que nous soutenons la constitution, à terme, d'une communauté SCORPION – on peut la rêver ! – comme il existe aujourd'hui une communauté Léopard. C'est d'ailleurs par ce type d'initiatives que nous garantissons notre capacité à jouer un rôle et à influer au sein d'opérations, en coalition, dans un cadre européen, Otanien ou ad hoc. Le corollaire est que nous devons réfléchir à notre niveau d'ambition dans l'OTAN, ainsi qu'à l'articulation entre notre investissement dans l'OTAN et notre investissement dans l'Union européenne.
Je terminerai par quelques grands points d'attention, au cours de cette première année de programmation militaire. Comme je vous l'avais présenté schématiquement, lors de l'audition du 26 septembre, la LPM 2019-2025 s'inscrit dans l'ambition du président de la République de disposer d'une armée de premier plan et de référence. L'armée de terre est aujourd'hui en ordre de bataille et « prête à déboucher ». Les moyens humains et financiers sont au rendez-vous. Les moyens capacitaires sont sur axe. Ils nous donnent les moyens de nous engager simultanément dans les quatre compartiments de la LPM (hauteur d'homme, réparation, modernisation et innovation) pour atteindre nos objectifs. Pour autant, j'identifie trois points auxquels je suis particulièrement attentif et qui conditionnent cette manoeuvre d'ensemble.
Le premier point d'attention concerne le moral. Celui-ci est bon, légèrement à la hausse, mais je considère qu'il demeure fragile. L'armée de terre est le reflet de la société. Elle n'est pas immunisée contre ses fragilités et ses maux. Toutes les tables rondes auxquelles je participe me le confirment : il y a de nombreuses préoccupations. Il y a des préoccupations liées au pouvoir d'achat. Les rémunérations et leur faible évolution sont problématiques, dans un contexte de pression fiscale et d'augmentation du coût du logement. Cette pression est renforcée par le coût de la mobilité. Je me réjouis que MM. Lainé et Furst abordent ce sujet à travers leur mission d'information sur la politique immobilière du ministère car c'est une préoccupation de premier ordre qui est grandissante.
Il y a aussi des attentes fortes quant à la concrétisation de la LPM. L'objectif d'un effort de défense porté à 2 % du PIB en 2025, l'annonce d'une LPM « à hauteur d'homme » ont fait naître, chez les soldats, de fortes attentes qu'il ne faut pas décevoir, notamment en matière d'habillement ou d'équipements individuels. Concernant le plan Famille, engagé par Madame la ministre, et dont l'armée de terre a été l'un des principaux contributeurs, il est globalement positif. Notre ambition est maintenant que chaque unité de l'armée de terre puisse porter un projet fédérateur en 2019 et le concrétiser dans sa garnison. Nous devons être très attentifs à ces sujets et donner des repères, dissiper au maximum les incertitudes.
Le deuxième point d'attention est la lutte contre le détournement de nos ressources. Ce sont des mots qui sont peut-être un peu forts. Mais il y a eu jusqu'à l'année dernière une tentation récurrente d'employer nos soldats comme force d'appoint des forces de sécurité intérieures, ce qui n'est pas leur vocation. Je le rappelle, nos soldats ne sont ni équipés, ni entraînés, ni commandés pour remplir des missions de maintien de l'ordre. Nous avons veillé à ce que notre singularité militaire soit préservée. Nous sommes aussi très attentifs à la façon dont le service national universel (SNU) se met en place. Cette année, la contribution des armées à la mission de préfiguration du SNU a été décisive pour la réussite de cette première étape, avec la conception et la conduite du stage de formateurs de formateurs à Brettigny et aux écoles de Coëtquidan, il y a quinze jours. Nous en sommes fiers d'ailleurs ! Mais l'investissement pour la préfiguration du SNU ne peut être représentatif de ce que pourra soutenir l'armée de terre dans un dispositif qui concernera plus de 700 000 jeunes. Si nous devions être sollicités en 2020 pour 40 000 jeunes à la même hauteur que ce que nous faisons cette année pour la préfiguration (2 000 jeunes), cela aurait des conséquences majeures sur notre propre capacité de formation et sur notre capacité à remplir notre contrat opérationnel. Le SNU doit s'orienter vers une certaine autonomie avec, à terme, une administration dédiée et un budget spécifique, conformément à ce qui a été décidé initialement.
Le troisième et dernier d'attention est notre ambition capacitaire. L'armée de terre participe également à l'ambition européenne de défense, au plan industriel. Afin de prolonger SCORPION, il faudra lancer sérieusement le programme MGCS. La France doit en effet continuer à peser pleinement dans la définition de nos futurs matériels terrestres et elle ne pourra sans doute le faire qu'en coopération avec nos alliés les plus proches. C'est la raison pour laquelle je défends de plus en plus l'idée d'un trinôme associant armée de terre, direction générale de l'armement et industries de défense pour réussir la transition capacitaire et dépasser certaines difficultés. Ces dernières sont essentiellement culturelles et historiques. Entre l'armée de terre et les industries de défense, les visions peuvent parfois être en décalage, le segment terrestre au profit de notre armée de terre n'étant pas toujours le plus valorisant pour certains de nos industriels, par rapport à d'autres segments qui sont sans doute économiquement plus intéressants. C'est la raison pour laquelle j'appelle de mes voeux la tenue de revues des principaux programmes de la LPM. Nous devons veiller à ce que la dynamique engagée dans cette LPM « percole » jusque dans les usines de nos industriels.