Les rapports de la Cour sont toujours conclus par des recommandations. Nous en avons formulé sept, qui sont dans l'ordre du rapport.
La première concerne les systèmes d'information. Les systèmes d'information sont clairement sous-évalués et leur importance est pourtant cruciale. Leurs défauts expliquent souvent les retards et les risques de corrections financières ou de dégagements d'office. Nous recommandons en premier lieu de lancer dès maintenant la réflexion pour la prochaine programmation qui démarrera dans un an et demi. Parmi l'ensemble des systèmes d'information des quatre fonds européens structurels, l'un a nécessairement besoin d'être remplacé, celui qui concerne une partie du FEADER et qui s'appelle Osiris. Il n'est absolument pas adapté à la décentralisation ; il est adapté uniquement à la gestion par l'organisme payeur. Ce système d'information a conduit à d'énormes retards de paiement, insolubles à ce stade.
Les deuxième et troisième recommandations portent sur les questions financières. Elles ne concernent que le FEDER et le FSE, parce que les fonds du FEADER et du FEAMP ne transitent pas par les budgets régionaux. Nous recommandons d'abord la transparence, c'est-à-dire qu'à l'occasion des débats d'orientation budgétaire des régions, les flux financiers concernant les différents fonds européens soient présentés, surtout en distinguant les deux programmations. Actuellement, la programmation précédente et l'actuelle sont souvent mises dans un pot commun. La deuxième recommandation financière, la recommandation n° 3, est de sanctuariser la trésorerie des préfinancements de la Commission européenne, afin d'anticiper la seconde période de cette programmation qui commencera à partir de 2020, où l'excédent actuel de trésorerie de financements européens va se muer en solde très largement négatif. Pour une traçabilité et par mesure de précaution, il faudrait sanctuariser cette trésorerie du FEDER et du FSE sous forme de provisions ou d'autres solutions.
La quatrième recommandation est absolument essentielle. Nous recommandons de rationaliser l'organisation de la gestion et de la programmation des fonds, d'une part en réduisant le nombre de programmes. Les programmes opérationnels ou les programmes de développement rural, pour le FEADER, sont en nombre très important – soixante-dix – ce qui conduit à des coûts de gestion démultipliés et donc à une perte d'efficience que nous avons critiquée. En corollaire, il faut fixer des priorités d'emploi en petit nombre et limiter le nombre de mesures. Pour prendre l'exemple du FEADER, pour les mesures agroenvironnementales et climatiques, les fameuses MAEC, il existe plus de 9 000 mesures différentes qui doivent chacune être implémentées par un logiciel différent, pour environ 25 000 bénéficiaires, soit un système assez compliqué. Troisièmement, il faut fixer des seuils d'aide peut-être plus élevés, car bien souvent, les montants sont très bas. Or les fonds européens ne sont pas faits pour distribuer des aides de petits montants pour lesquelles des aides nationales ou régionales sont plus adaptées. Enfin, il faut mener une réflexion sur la répartition des aides entre les différents niveaux, européen, national et régional.
La cinquième recommandation est d'encourager la création de portails ou de guichets communs à l'État et aux régions et chaque fois qu'il est possible, de mutualiser l'instruction des dossiers. En effet, le manque d'esprit de coopération entre l'État et les régions est très patent. Le constat n'est pas homogène suivant les régions. Dans certaines régions, l'esprit de coopération est tout à fait ancien et développé, mais malheureusement, dans beaucoup de régions, il est constaté une certaine rivalité, l'État se défaisant avec difficulté de ses prérogatives et les régions clamant la libre administration locale pour refuser toute coopération. Cette situation est tout à fait nuisible à la bonne gestion des fonds européens.
La sixième recommandation porte sur la nécessité de faire évoluer l'organisation du FEADER. Comme il a été dit, nous posons une recommandation de principe qui est une stabilité institutionnelle. Faire bouger les lignes entre l'État et les régions consomme énormément d'énergie qui serait mieux employée à gérer les fonds. Que ce soit pour le FEDER, le FSE ou le FEAMP, nous pensons qu'il ne faut pas revenir sur le partage réalisé lors de la décentralisation de 2014-2020. En revanche, pour le FEADER, le système actuel ne fonctionne pas. Il doit être absolument clarifié. Comme cela relève d'une décision politique, nous nous sommes bornés à définir trois scenarii que je vais développer. Nous aurions pu en proposer davantage, mais je vous indiquerai également les raisons pour lesquelles nous n'avons pas retenu les autres.
Le premier scénario est celui d'une autorité de gestion unique aux mains de l'État, soit une recentralisation complète, scénario de la Commission européenne qui a publié ses propositions en mai 2018. Pourquoi cette proposition de la Commission européenne ? Parce que telle est la situation actuelle dans vingt des vingt-huit États membres de l'Union européenne. Cette proposition a d'ailleurs toutes ses chances d'être adoptée, puisqu'elle reflète la situation dans une majorité des États membres. Ce scénario est rejeté par régions de France et a fait l'objet d'une déclaration du Premier ministre, en octobre, après une réunion avec Régions de France, disant que la France n'y était pas favorable.
Le deuxième scénario est celui d'un statu quo amélioré, l'amélioration portant sur le cadre national. Nous pourrions penser que le cadre national soit un facteur de simplification. C'est le cas en Allemagne et en Espagne, dont nous avons étudié les pratiques, puisqu'il s'agit d'un État fédéral ou largement décentralisé où la coopération institutionnelle entre l'État, les Länder ou les provinces est très bien organisée. En France, le cadre national est à la fois beaucoup moins développé – il concerne moins de mesures – et il est beaucoup moins accepté. Il a aussi laissé la voie à une imagination débridée de mesures. Je parlais tout à l'heure des mesures agroenvironnementales et climatiques, des MAEC. Ces nombreuses mesures conduisent de fait à une situation qui devient en pratique assez ingérable. Ce cadre national doit être revu et doit être un facteur de simplification et non pas de complexification, comme actuellement en France.
Le troisième scénario est celui d'une nouvelle répartition entre l'État et les régions. La situation actuelle se caractérise par une décentralisation théorique d'environ 95 % du FEADER. En pratique, l'État garde la main sur de nombreux leviers. Ce scénario consisterait en ce que l'État gère l'ensemble des mesures dites surfaciques, qui représentent environ 55 % du FEADER et qui sont gérées de la même manière que le premier pilier de la politique agricole commune, le FEAGA. Cela permettrait une cohérence en termes de gestion et de philosophie des mesures. Les régions géreraient les mesures qui ne sont pas liées à la surface des exploitations, c'est-à-dire les investissements, le développement rural, le développement local Leader, etc. qui sont des financements de projets et non pas des financements de surfaces.
Le quatrième scénario aurait été une décentralisation complète du FEADER, qui a été demandée dans le livre blanc des régions, au mois de décembre. Nous ne l'avons pas retenu parce que cette demande impliquait une multiplication des organismes payeurs, ce qui est totalement impossible. La Commission a fait savoir qu'il était hors de question de multiplier les organismes payeurs. Il nous semblait donc que ce scénario n'était absolument pas réaliste.
Enfin, la septième et dernière recommandation concerne la simplification. Le sujet est en débat. La Commission européenne a fait des propositions pour 2021-2027. Celles-ci doivent être prises en compte, ce qui nous paraît une évidence.